Vendredi 14 Décembre 2018, le Gouverneur de la Banque de France expose son diagnostic des économies française et européenne. D’après ses dires les “réformes” menées par le Président Macron ont, paraît-il, mis sur les rails de la croissance l’économie française : l’indice de croissance français aurait progressé de -0,6, voici 18 mois, à -0,4 , actuellement! La France serait en bonne voie de rattraper l’Allemagne. La zone Euro se porterait bien. Ce monsieur a à peine mentionné les “Gilets jaunes”.
Mais de quoi se mêlent-ils, “ces gens qui ne sont rien”, diront ceux d’entre nous se reconnaissant parmi les 15 à 18% du corps électoral qui nous ont imposé ce Président qui fait, enfin ! “les-réformes-dont-le-pays-a-tant-besoin” !
Vers quoi tendent ces réformes ?
Durant tout le XIXè siècle et jusqu’au programme du Conseil National de la Résistance, les Puissants ont joui du privilège d’imposer leur loi au nom de la “liberté”. Les dispositions prises à la Libération ont un peu limité cette “liberté”. Le but des “réformes” du “monde nouveau” est de “détricoter” les lois sociales protectrices des travailleurs pour rendre aux Puissants leur liberté du XIXè siècle. Le vocabulaire nouveau parle plutôt d’“investisseurs”, de “premiers de cordée” … Pour justifier ce virage vers le passé, les dirigeants (politiques et économiques) français s’appuient sur l’exemple de l’Allemagne du chancelier social-démocrate G. Schröder. Ces réformes allemandes, prises au début des années 2000, ont creusé en France le fatidique écart de -0,6 point d’indice de croissance, et “ces gens qui ne sont rien” connaissent le prix qu’ils ont déjà payé pour en récupérer 0,2 point.
Compétitivité du “Monde Nouveau” = Accroissement de la pauvreté ?
Le “dopage” de l’économie allemande par les décisions non coopératives (elles ont créé une distorsion de concurrence vis-à-vis des partenaires européens) ont certes fait baisser le chômage de 13% (en 2005) à 7,7% (en 2013) … Mais, en même temps, le taux de pauvreté est monté de 12,2% (en 2005) à 16,1% (en 2013). La balance du commerce allemande passe de négative à un excédent de 8% du PIB, aidée par l’Euro ; celle de la France, de positive est devenue chroniquement négative, plombée par la concurrence allemande et par l’Euro.
L’obsession des dirigeants français (financiers et politiciens) est d’emboîter le pas à leurs homologues allemands pour ramener à zéro le handicap de croissance de -0,4 point qui sépare encore la France de l’Allemagne. Mais voilà ! “ces gens qui ne sont rien” sont conscients du sort que leur réserve une telle politique de régression. Ils s’insurgent.
Évolution de la productivité du travail et du SMIC
Si l’on compare la progression de la productivité du travail et celle du SMIC, l’on constate que ce dernier évolue depuis des années[1] avec un décalage qui ne cesse de croître : En partant d’une base 100 en 1980, la progression de la productivité est rendue à 180 et celle du SMIC à 152, soit un écart de l’ordre de 270 Euros … L’aumône de 100 Euros mensuels concédée aux smicards est une amère plaisanterie face aux 1.470 Euros nets que représenterait le rattrapage du SMIC. Une augmentation de plus de 20% … Horizon évidemment inatteignable dans les conditions actuelles.
Une configuration comparable à celle de Mai 68. Mais. Si le gouvernement de l’époque a pu donner satisfaction au “peuple”[2], c’est parce qu’il savait pouvoir dévaluer la monnaie pour sauvegarder la compétitivité. Une telle manœuvre n’est plus possible avec l’Euro…
Le Graal de la compétitivité et nos premiers de cordée
Des analystes économiques font ressortir que les produits français sont trop chers de 20%. Pour les rendre « compétitifs » il faudrait baisser les prix français d’autant, et par conséquent baisser les salaires.
Pourtant, les coûts horaires allemands sont au même niveau que ceux pratiqués en France. Et la productivité des travailleurs français est aussi élevée que celle de leurs homologues allemands et américains. Le problème du manque de compétitivité des entreprises françaises n’est dû ni aux salaires plus élevés ni au manque de productivité de leurs salariés…. Mais au positionnement de leurs produits en moyenne ou bas de gamme.
La question tabou : nos premiers de cordée, incapables ou coupables ?
Du fait de leur positionnement en terme de gamme, les entreprises françaises dégagent des marges plus faibles que leurs compétitrices allemandes, mais les dirigeants français captent des dividendes dans des proportions beaucoup plus fortes que leurs homologues allemands ! D’où la question de leurs capacités professionnelles et de leur moralité. Sont-ils incapables et inconscients de leurs limites ? Ou en sont-ils conscients et se comportent-ils en cyniques ?
La quadrature du cercle
Au vu de ce bref constat, les réserves émises par nombre d’observateurs soucieux de la carence en motivations “vertueuses“ des “Gilets jaunes” devraient se pencher sur l’histoire ”non romancée“ des révolutions dont on a la mémoire. Les foules des émeutes de la faim, aux temps de la convocation des États généraux (1789), réclamaient du pain à des prix abordables ; les délégués du Tiers-état (tous bourgeois), qui prétendaient les représenter, ne voulaient que le Pouvoir (qu’ils exercèrent à leur propre avantage, aux détriments du “peuple”, leur bras armé naïf) ….
Il faut se rendre à l’évidence, le “peuple” ne se soulève pas pour des motifs idéologiques, mais parce qu’il ne supporte plus les conditions de vie qu’on lui impose ou prétend lui imposer. Nécessité fait vertu. Bref, le “peuple” est populiste et bien fol qui le lui reproche.
Comment donner tort aux “Gilets jaunes” de se considérer comme “le peuple” et de revendiquer vigoureusement le respect de leurs droits? N’ont-ils pas de bonnes raisons de ne faire confiance qu’en leur puissance ? Ils n’ont peut-être pas lu La Béotie, mais ils ont compris que la puissance des Puissants n’existe que parce que les dominés -“le peuple”- la leur abandonnent. Ils ont prouvé qu’ils peuvent la récupérer et qu’ils le savent.
Une pensée pour Matalas et ses insurgés souletins ; pour les insurgés garaztars contre la gabelle. Déjà un problème de taxes.
[1] Le début du décrochage du SMIC est l’œuvre des “socialistes” en 1983. L’orgueilleuse autosatisfaction de Jacques Delors se vantant d’avoir désindexé les salaires de l’indice des prix sans provoquer un jour de grève !
[2] Pourquoi des guillemets ? Dans l’ancien régime le peuple c’était tous ceux qui étaient en dessous des bourgeois (la noblesse constituant le sommet de la hiérarchie sociale) ; en 1789 les représentants du Tiers-état (tous issus de la bourgeoisie) se sont auto-érigés en “le peuple”. Dans la vraie vie le “peuple” était et est constitué par la classe laborieuse (les soutiers de la société), hors du champ de vision, et quand il se fâchait, qu’il surgissait dans le champ de vision, c’était la “populace”.