Les défis de la gauche au Pays Basque (2/2)

Unai OÑEDERRA, directeur de la Fondation Manu Robles-Arangiz du syndicat ELA
Unai OÑEDERRA, directeur de la Fondation Manu Robles-Arangiz du syndicat ELA

L’analyse d’Unai Oñederra, directeur de la Fondation Manu Robles-Arangiz du syndicat ELA montre comment tout projet de société de gauche visant à être mis en pratique doit compter sur un rapport de forces favorable et disposer de compétences et de moyens. Voici la deuxième et dernière partie de la version française de la transcription de l’intervention d’Unai Oñederra du  mardi 6 février à Bergara lors de l’école citoyenne organisée par Sortu Bergara.

Première partie accessible en cliquant ici.

2. LES DÉFIS DE LA GAUCHE ET LE TRAVAIL que nous sommes en train DE MENER

Ces deux cas nous démontrent que les défis de la gauche résident bien dans la création d’espaces de souveraineté réelle ; dans la mise en place d’espaces de souveraineté qui garantiront que toute signature d’engagement (autour d’une table, dans un gouvernement, etc.) sera suivi d’une mise en pratique concrète et réelle de l’engagement. Pour que ce qui sera signé ou décidé soit réalisé, il faut en amont réussir la mise en place de l’organisation du soutien et de la force des salarié·e·s, des femmes, des citoyen·ne·s, et aussi des moyens nécessaires structurés  en se  basant sur les valeurs de ce modèle de société que nous voulons. Voici donc, d’après nous, le défi majeur que doit relever aujourd’hui  la gauche au Pays Basque. Mais comment y parviendrons-nous ?

Pour répondre à cette question, ainsi que je l’ai dit précédemment, revenons-en à ce que nous sommes en train d’accomplir, car il me semble que nous joignons l’acte à la parole, dans la mesure du possible tout du moins, et c’est en faisant cela que nous parviendrons à nos fins.

Notre travail repose sur trois axes :

A. Donner un référentiel de gauche au discours et mobiliser autour de celui-ci

Nous devons tout d’abord dire non à toutes les politiques qu’ils essaient de nous imposer : réforme du travail, réforme des retraites, réforme des négociations collectives, LGV, Incinérateur, TTIP, CETA, traité Européen, baisse des impôts,  privatisations, restrictions… Il est primordial que nous manifestions nos désaccords, que nous nous mobilisions, que nous menions des grèves… afin de continuer à impulser des alternatives référentielles. Pour rappeler aux gens que ces politiques néolibérales ne sont pas inévitables, mais bien des choix imposés.

On s’entend dire continuellement : mais pourquoi protester, pourquoi faire grève, pourquoi  organiser des manifs ? Pour montrer notre désaccord, pour rappeler qu’il existe d’autres voies, pour révéler les véritables intérêts de ceux·elles qui prennent ces décisions… Nous sommes peu nombreux c’est vrai ; nous ne parvenons pas à mettre un terme à ces décisions, en effet, mais nous devons toujours continuer à marquer cette référence.

Il est indispensable que nous gardions ce référentiel de gauche tant dans nos discours qu’au cours de nos mobilisations, mais ça n’est pas suffisant.  Il faut aussi répondre aux besoins matériels des gens. Car, au final, nous fédérerons des gens autour d’un projet si nous leur démontrons qu’il servira à améliorer leurs conditions matérielles. Le discours est très important, mais il faut en premier lieu arriver à améliorer efficacement leurs conditions de vie.

B. Organiser les gens dans les entreprises et améliorer leurs conditions de travail

C’est cela que nous essayons justement de faire : faire en sorte que le syndicat soit efficace afin d’améliorer les conditions de travail des salarié·e·s, dans ces temps de réforme du travail, de la précarité et de salarié·e·s pauvres. C’est là le second axe de notre travail.

Comment le Mouvement ouvrier était-il parvenu au sortir de la IIème guerre mondiale à obliger le capital à la signature d’un pacte ? Il n’a pas obtenu ce résultat par un accès de générosité des institutions mais à l’issue de réunions entre salarié·e·s, en organisant ces mêmes salarié·e·s, en insufflant un vent d’espoir et de changement, en les incitant à se mobiliser pour obtenir des améliorations et l’application de leurs droits, en les convaincant que c’est par la lutte qu’ils y parviendraient. Chaque victoire obtenue en s’organisant et en luttant attirait chaque fois plus de monde. C’est cette mobilisation construite par le bas qui finit par contraindre le capital à signer cet accord pour la mise en place de l’État Providence. Cet accord a donné aux syndicats une reconnaissance institutionnelle et la possibilité d’améliorer les conditions de travail de nombreux·ses travailleur·euse·s grâce à une signature lors d’une réunion. Mais cette reconnaissance institutionnelle, et tout l’argent public reçu en conséquence, a amené les syndicats à s’éloigner des travailleur·euse·s et des centres de travail. Et maintenant, le Capital à rompu l’accord et enlevé aux syndicats cette possibilité d’améliorer les conditions de travail des travailleur·euse·s grâce à une signature lors d’une réunion.

Comment redevenir for·te·s ? En revenant vers les travailleur·euse·s, en allant dans les entreprises et les centres de travail, en revenant au syndicalisme d’origine : on ne réussira à améliorer les conditions de travail que dans les lieux où les travailleur·euse·s s’organisent et luttent eux·elles mêmes. En disant la vérité aux travailleur·euse·s ; en leurs disant clairement que ce sont eux·elles mêmes qui doivent s’organiser et lutter, qu’il n’y a pas de syndicat qui améliorera leurs conditions de travail par une signature ou par une négociation, sans participation des travailleur·euse·s. Bien sûr, nous mettons à leur disposition la caisse de résistance, les services juridiques, le cabinet de négociations collectives, et tout notre savoir et nos compétences. Mais ce sont eux·elles mêmes qui doivent s’engager, s’organiser et lutter, avec notre aide.

Et ainsi, nous obtenons de petites victoires (plus de 500 accords d’entreprises qui ne prennent pas en compte les mesures régressives de la réforme du travail), et ceux·elles qui se sont engagé·e·s voient que cela vaut la peine de s’organiser au sein du syndicat. Et cette petite victoire devient un exemple pour d’autres, et on commence à s’organiser ailleurs, et ainsi les petites victoires se multiplient et de plus en plus de gens commencent à bouger.

Début 2017, nous avons fêté les victoires de 2016 avec autant de protagonistes que possible. Nous avions alors comptabilisé plus de 100 victoires. Cette année encore, nous allons lister et fêter celles de l’année dernière. L’obtention d’accords d’entreprises qui ne prennent pas en compte les mesures régressives de la réforme du travail est en train de devenir courante également dans les petites et moyennes entreprises.

Citons quelques victoires récentes: les travailleur·euse·s du service de ramassage des ordures de Deba, les travailleur·euse·s du service d’entretien des routes UTE d’Urola-Deba, les sous-traitant·e·s d’Euskalduna, TGV et Tabakalera (Voir les détails dans le livre ZULOAN ), les travailleur·euse·s des services de nettoyage des hôtels Occidental et NH, ceux·elles de la fondation Aransgi, ceux·elles des services de nettoyage de Zarautz, les travailleur·euse·s de Dachser, de DHL-Mercedes, de l’Orchestre Symphonique d’Euskadi, les sous-traitant·e·s des salles de sports (Amurrio, Zarautz…), ceux·elles des maisons de retraite de Biscaye

Cependant, toutes ces victoires n’entraînent pas l’amélioration des conditions de travail de tou·te·s les travailleur·euse·s. Là est le défi : il faut multiplier les centres de travail où les travailleur·euse·s sont organisé·e·s, jusqu’à ce que les conditions de travail de tout le monde s’améliorent.

C. Construire le réseau des alternatives en se basant sur l’Économie Sociale Transformatrice

Mais les conditions de travail des travailleur·euse·s ne se jouent pas que dans les centres de travail, elles se jouent aussi en dehors. En cette époque où certain·e·s sont en train de détruire l’État-Providence, alors que les privatisations et les restrictions sont quotidiennes, le capitalisme détruit la vie elle-même.  Nous voulons remplacer ce système, qui donne la priorité à l’accumulation de capital, par un système qui donne la priorité à une vie digne. Nous voulons une économie démocratique, pour décider tou·te·s ensemble quels sont nos besoins, et comment nous allons répondre à ces besoins… Jusqu’à présent et dans une certaine mesure, avec toutes ses carences, le système public œuvrait dans ce sens, mais maintenant que le système public est attaqué qui va le faire ? C’est là que trouve sa place l’économie sociale transformatrice.

1. Iparralde est exemplaire dans de tels projets, et nous à la mesure de nos moyens nous avons soutenu des projets comme Euskal Herriko Laborantza Ganbara, la monnaie sociale Euskal Moneta, la journée Alternatiba de Bayonne en 2013, l’association I-Ener productrice d’énergie renouvelable… Et la dernière référence de ce modèle est celui des Artisans de la Paix.

2. Nous sommes membres de Goiener, et celui-ci fournit tous nos locaux en énergie renouvelables. Nous menons une campagne pour que les adhérents d’ELA rejoignent Goiener.

3. Nous sommes membre de Fiare, et nous y avons nos comptes.

4. Nous sommes membre de Koop57, nous sommes présents au sein de son comité de direction et de sa comission sociale.

5. Nous participons à la « Carte des droits sociaux du Pays Basque » afin d’aller construire l’alternative qu’a besoin le Pays Basque, et à cette occasion nous avions organisé à Bilbo le Village des Alternatives pour faire connaître l’Économie Sociale Transformatrice auprès de la société et cette année nous l’organiserons à Iruña.

Certes, ce sont de petits projets. Mais le défi consiste à développer et étendre le réseau. Ces projets attirent les gens, et amènent les gens à s’émanciper. Avec le temps, le défi consiste à l’universaliser, en mettant en place  un système démocratique pour tous qui mettra au cœur de son action l’objectif d’une vie digne.

3. POUR RÉSUMER

Le défi c’est de construire des souverainetés. C’est à dire, d’aller construire un système qui mettra la vie au centre. En émancipant les gens, en essayant de mettre en pratique ce que nous disons, en élargissant ce réseau, en attirant les gens; en recueillant la force, les moyens et l’énergie pour que ce modèle soit universel, indépendamment des menaces et agressions. pour aller vers un pays souverain qui mettra la vie au centre. Pour obtenir cela, nous agissons dans trois domaines : en continuant à faire face aux agressions et aux décisions politiques dans la rue et dans les discours, en organisant les travailleur·euse·s pour qu’ils.elles aillent améliorer leurs conditions de travail et s’émancipent, et, en participant à l’impulsion, l’élargissement et la construction de l’Économie Sociale Transformatrice, en mettant en pratique nous-mêmes ce que nous disons.

Voilà les défis qu’a la gauche au Pays Basque : voilà ce que nous sommes en train d’essayer. On nous dira que la question de la gauche est obsolète, qu’elle est d’’une autre époque. Mais ce n’est pas le cas.

Vous entendrez le gouvernement autonome basque parler de travail d’équipe participatif alors qu’il  met en place des politiques néolibérales. Vous entendrez Markel Olano parler de souveraineté alors qu’en mai il signait un accord pour dessiner l’avenir de la Gipuzkoa avec le think tank néolibéral états-unien American Enterprise Institute.

Mais le problème s’aggrave lorsque la gauche pour gagner les élections commence avec un discours qui se prétend ni de gauche ni de droite. Dans l’hebdomadaire Argia, Axier Lopez avait clairement définit ce genre de situation : si vous n’êtes ni de droite ni de gauche, vous êtes du centre commercial.

Et pour terminer, savez-vous qui a dit pour la première fois «nous ne sommes ni de gauche ni de droite» ? C’est Primo de Rivera, qui parlait des phalanges. Et Mussolini l’a suivi, en parlant du fascisme. Donc, faites attention quand vous entendez ce genre de formules.

 

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