Alors que la plupart des commentaires d’articles sur Internet deviennent des défouloirs, bien loin des idéaux des premiers journaux en ligne, les chroniqueurs d’Enbata interagissent de plus en plus souvent avec leurs lecteurs par ce biais là. Au prix d’une sévère modération.
C’était le temps heureux où les médias se lançaient sur le web avec gourmandise et ne juraient que par un concept qui allait tout bouleverser : le média participatif. Le citoyen était bombardé journaliste et son avis était même sollicité, presque en direct, pour interagir à chaque publication. Une vision scotomisée de la modernité, qui dessinait déjà les contours prometteurs d’une salle de rédaction infinie, se nourrissant de la richesse de chaque lecteur, sans même percevoir la menace d’une discussion de comptoir qui serait désossée de son zinc. Près d’une vingtaine d’années plus tard, les commentaires qui accompagnent les articles en ligne sont l’emblème ballot de la défaite des idées et de la médiocrité triomphante, de la lâcheté anonyme et de la bêtise proclamée. Certains journaux ferment leurs forums, d’autres se repaissent encore de cette confiture aux cochons dans leur boulimie d’audience. Combien de commentaires faut-il lire pour perdre foi en ses lecteurs ? En général, le premier suffit, tranchait un analyste américain. Sauf lorsque de petites mains trient méticuleusement le bon grain de l’ivraie, en un précieux reliquat, presque miraculeux, toujours encourageant.
Fait à la main
C’est le pari d’Enbata et d’un travail fait main qui valide, une par une, les contributions des lecteurs. Et se passe de commentaires. Les snipers embusqués, qui, sous des pseudos clinquants, anéantissent toute tentative de débats sous le feu nourri de leur rage, sont tenus hors de portée de tir. D’anti-basques notoires, saccageurs de forums, n’ont plus que les réseaux sociaux pour sucer les os d’un festin hors duquel les maintiennent leurs ricanements de hyènes. Et tout commentaire impropre à la consommation du débat est systématiquement rejeté.
Pour autant, Enbata accueille aussi quelques pistoleros qui, à la fréquence d’une arme automatique, ne manquent jamais de contester un point de vue ou d’en affirmer un autre. Des épistoliers mitrailleurs, en somme, en embuscade derrière chaque article pour relever une opinion ou susciter le débat, contredire, enrichir, élargir. Contribuer. Dans cet aréopage bigarré, Iban raconte la radicalisation de l’islam au Maroc, Xipri rétorque que les basques parlent en français, Alexandre rappelle que l’antiquité mésopotamienne fait partie de notre patrimoine historique et culturel et Antton se demande si nous ne pourrions pas tirer leçon de l’évolution du PKK Kurde. Et c’est bien sûr la politique qui nourrit le feu.
Cette politique intransigeante,
qui filtre plus de réactions qu’elle n’en autorise,
devient vertueuse dès lors
qu’elle écarte l’agressivité,
responsabilise le propos
et anéantit cette moralité douteuse
du tireur embusqué.
Feu croisé
Txomin cogne sur le PNB en racontant l’expérience d’Urrugne, Pierre “ne supporte plus” cette guéguerre entre les abertzale, en sourit dans un commentaire et défend le PNB dans un autre. Un membre du Front de gauche s’indigne qu’on égratigne le PCF au passage d’un édito qui en évoque les “reliques”. Le score des abertzale aux élections est pris dans un feu croisé où l’idée règne enfin, au prix, il est vrai, de nombreux commentaires qui ne passeront jamais les mailles fines des modérateurs d’Enbata pour leur manque de tenue, c’est à-dire d’arguments.
“Les commentaires sont libres si les faits sont sacrés” pourrait être la devise du journal historique des abertzale, si d’aventure elle devait détourner celle d’un grand quotidien régional. Cette politique intransigeante, qui filtre plus de réactions qu’elle n’en autorise, devient vertueuse dès lors qu’elle écarte l’agressivité, responsabilise le propos et anéantit cette moralité douteuse du tireur embusqué. Elle ouvre un espace de liberté, qui autorise désormais un critique culinaire bien connu au Pays Basque à renforcer le propos d’un éditorial par un long historique du mouvement abertzale ou un journaliste basque à rebondir sur un article d’Enbata en ouvrant librement une tribune.
Surtout, cet échange sain invite les auteurs à engager une discussion sous leurs propres articles publiés en ligne, où carrément dans l’hebdomadaire papier dont le présent numéro est un pendant de ces débats. Peio Etcheverry Ainchart a trouvé l’inspiration dans un commentaire, pourtant peu indulgent. De même que Jean-Marc Abadie qui répond ici à ses mails. Ou Pantxoa Bimboire qui signait son précédent billet par une mise au point propre à calmer les turbulences des réactions. C’est d’ailleurs justement l’interaction désirée.
Quand le lecteur participe au contenu, il devient participatif.