Le mouvement Enbata entre dans l’histoire

L’histoire du premier mouvement abertzale en Iparralde fait l’objet d’un ouvrage écrit par Jon et Peio Etcheverry-Ainchart. Il révèle l’importance de nos pionniers dans un Pays Basque bien différent de celui d’aujourd’hui. Les graines qu’ils ont semées ont germé et leurs fruits sont encore présents aujourd’hui.

Le livre de Jon et Peio Etcheverry-Ainchart ne cache rien. Il nous restitue Enbata dans sa complexité, il ne tourne pas à l’hagiographie ou à l’histoire officielle et rend un bel hommage aux militants des premiers jours. Il met en relief et nous permet de mesurer l’immense dette que nous avons à l’égard de ces pionniers.

Années 60 en «Pays Basque français», un vent se lève porté par une nouvelle génération, il a pour nom Enbata. Rien ne l’arrêtera, même pas son interdiction par le gouvernement français, quinze ans plus tard. Certes l’histoire d’Enbata est relativement connue, elle a été plusieurs fois rappelée dans les colonnes de ce journal, comme dans plusieurs ouvrages. Jamais elle n’avait fait l’objet d’une monographie de plus de trois cents pages. Le mérite de Jon et de Peio Etcheverry-Ainchart est de s’être vaillamment attelé à ce chantier. Ils ont tout d’abord compulsé toutes les sources écrites disponibles à ce jour: le journal Enbata bien entendu, les bulletins internes du mouvement, ses archives, ses documents de formation, la presse de l’époque, le tout confronté aux témoignages de plusieurs acteurs vivants en 2012. Cela donne un corpus à la fois étayé par de multiples références, mais où la dimension humaine est fortement présente. L’histoire d’Enbata s’incarne, elle est le fait de femmes et d’hommes portés par la passion de leur peuple et de leur pays, avec leurs qualités et leurs faiblesses. Nos deux auteurs restituent remarquablement l’épaisseur humaine de ce combat dont certains épisodes ne manquent pas d’humour.

Les bons et les mauvais jours
Mais le mérite de ce livre ne s’arrête pas là. Pour présenter au lecteur d’aujourd’hui une démarche politique, non seulement le regard porté sur elle doit être celui de la compréhension bienveillante, mais il doit s’efforcer de la situer dans son contexte. Tant le Pays Basque, la France, l’Espagne et l’Europe ont changé en cinquante ans dans tous les domaines: culturels, économiques, idéologiques, politiques. Jon et Peio Etcheverry-Ainchart s’acquittent de cette tâche de façon synthétique, ce n’est pas le moindre mérite de leur livre.
Autre qualité de leur travail, ils présentent le mouvement Enbata des bons et des mauvais jours. Chacun sait que l’action politique est faite de turbulences, de tensions externes et internes, de réussites et d’échecs. Nos deux auteurs ne les éludent pas, même si des plaies sont encore à vif. Ils présentent clairement les crises que traversa Enbata avec l’éloignement d’hommes tels que Michel Labéguerie ou Ximun Haran; ou encore les efforts d’un mouvement pris en tenaille entre la politique des petits pas qui veut convaincre peu à peu et les jeunes générations qui désirent en découdre, trop radical pour les uns, pas assez pour les autres; les difficultés à tenir face au tourbillon politico-judiciaire, à élaborer une ligne d’action cohérente, alors que dans le microcosme, font rage les débats idéologiques les plus éthérés; la flamme, le grand élan puis l’usure et l’amertume ressenties par les militants qui se sont dépensés sans compter pour des scrutins, avec des résultats qui ne sont pas à la hauteur de leurs attentes; l’élaboration d’un socle idéologique cohérent en phase avec les (r)évolutions en cours; le poids et la complexité des relations avec ETA et ses scissions successives, le fardeau de la répression, etc. Les questions posées hier concernent l’abertzalisme d’aujourd’hui, là aussi réside tout l’intérêt de ce livre qui est loin d’être une simple compilation à l’usage de quelques anciens combattants.

Militants à l’œuvre
Enbata est d’abord une affaire de militants abertzale qui paient de leur personne, de femmes et d’hommes de qualité, chacun apportant sa pierre. Nous ne les citerons pas ici car dans cette œuvre collective, tous ont leur place, le brillant orateur comme l’obscur et le sans grade qui collent les affiches ou recopient quelques milliers d’adresse sur du papier carbone. Qu’il nous soit permis toutefois d’en citer quelques-uns. Le livre sort d’un oubli relatif en les remettant à leur juste place, trois hommes: Jannick Aramendy pour la qualité de sa réflexion et de ses travaux en particulier sur le projet fédéraliste, Michel Burucoa pour la constance de son engagement qui n’a d’égale que sa générosité et sa discrétion et enfin Jean-Louis Davant: le nombre et la diversité de ses écrits, la rigueur et la clairvoyance de sa pensée dans la confusion et les difficultés de l’époque, frapperont le lecteur d’aujourd’hui.
En fermant ce livre, inévitablement chacun ne pourra s’empêcher de réécrire l’histoire avec des si: si Labéguerie et Enbata… si la barre des 5%… si le PNV… si ETA… si les gauchistes… Cela est tout à fait vain, mais donne à ces pages une dimension supplémentaire à l’usage des abertzale de 2013. A nous de tirer les leçons du passé, de poser des actes dans le sillage de nos aînés, de faire l’effort d’être clairvoyants pour faire les bons choix, d’agir le plus intelligemment possible pour faire avancer la cause.

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Ces nouveaux rêves qui enterrent Enbata
Voici 50 ans, une génération de femmes et d’hommes s’est levée et a dit non à la fatalité, à ce qui semblait inéluctable. Tels Diogène tenant sa lampe dans la cité antique, tous cherchent un abertzalisme qui n’existe pas encore. Ils en jettent les bases, brisent les tabous et secouent le conservatisme, ils sèment beaucoup: mouvement fragile, balloté dans une époque tourmentée, efforts d’organisation titanesques, bombe idéologique, erreurs, faiblesses, bouillonnement d’idées, démarche visionnaire, déchirements, espoirs et déceptions, résistance face aux attaques, relances, générosité et illusions, naïveté et rouerie, importance de la culture et de l’économie dans un combat de libération nationale, travail d’éveil et de formation. Cette saga, c’est tout cela à la fois et en même temps. Après Enbata plus rien ne sera comme avant en Iparralde. L’heureuse surprise de cette aventure veut qu’elle ait porté ses fruits, au-delà de la disparition du mouvement, y compris dans des domaines autres que ceux de l’action politique. Ce dur désir de durer, «ces nouveaux rêves qui enterrent Enbata», sont le miracle du mouvement.

 

Ecrire une histoire politique collective n’est pas simple.
Le livre de Jon et Peio Etcheverry-Ainchart ne cache rien.
Il nous restitue Enbata dans sa complexité,
il ne tourne pas à l’hagiographie ou à l’histoire officielle
et rend un bel hommage aux militants des premiers jours.
Il nous permet de mesurer l’immense dette
que nous avons à l’égard de ces pionniers.

 

Jon et Peio Etcheverry-Ainchart
Le mouvement Enbata, à la source de l’abertzalisme du nord,
Editions Elkar, collection histoire, 312 pages, 2013, 23€

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