Faute d’une majorité suffisante et d’un accord avec EH Bildu, le gouvernement de la Communauté autonome basque ne fait pas approuver son budget 2019 par le parlement régional. Il se contentera de proroger vaille que vaille celui de 2018, jusqu’aux élections de mai prochain.
Le président Inigo Urkullu a annoncé le 12 décembre qu’il décidait de ne pas présenter devant le parlement autonome basque son projet de budget 2019 d’un montant de près de 12 milliards d’euros (991 millions d’investissement et 6,5% en faveur de l’innovation). Face à une opposition majoritaire liguée contre lui, il ne souhaite pas s’infliger à lui-même un échec.
Son parti le PNV dirige la Communauté autonome grâce à ses 28 députés et fort du soutien de 9 élus socialistes. Mais il n’atteint pas la majorité absolue située à 38 voix. Les années précédentes, il était parvenu à faire approuver son budget grâce à l’abstention des 9 députés PP. En échange, le PNV approuvait le budget de l’État espagnol et obtenait quelques transferts de compétences ou des financements supplémentaires d’infrastructures.
Nous ne sommes plus aujourd’hui dans ce cas de figure. Le socialiste Pedro Sanchez a été élu premier ministre d’Espagne grâce aux 5 voix des députés PNV aux Cortés qui s’est décidé à évincer le PP Mariano Rajoy embourbé dans la revendication indépendantiste catalane. Hors de question donc que le PP fasse une fleur au PNV pour le budget basque.
Pour obtenir les deux voix qui lui manquent ou quelques abstentions, le PNV pouvait difficilement convaincre les 11 députés de Podemos. Il a donc négocié avec les indépendantistes d’EH Bildu, deuxième force politique du pays avec ses 18 députés. Suivant ainsi la formule empruntée avec le PSOE : en échange de quelques concessions sur le plan social, le PNV obtient ainsi souvent dans son histoire récente, le soutien socialiste. Ce type d’alliance entre un parti espagnoliste et un parti abertzale est un scénario assez rodé et prend le nom «d’alliance transversale» dans le jargon politique local. Elle correspond plus ou moins bien à la réalité socio-politique du pays et à ses rapports de force, dans une perspective de gestion sans trop de vagues.
Points de désaccord
Mais les négociations avec EH Bildu n’ont pas abouti. Elles ont buté sur un chapitre concernant l’augmentation du salaire minimum à hauteur de 1200 euros dans le secteur public et celui des pensions de retraites les plus faibles : EH Bildu exigeait qu’elles atteignent 858 euros mensuel dès 2019. Le PNV voulait que cette augmentation soit progressive et atteigne ce montant en 2021, soit dans les premières années de la prochaine législature. Pour EH Bildu, un tel refus n’est pas simple. Il sait qu’une évolution des institutions basques passe par un accord entre les deux familles de l’abertzalisme, comme c‘est le cas en Catalogne. Il aspire donc à détrôner le PSOE de son statut d’allié privilégié et traditionnel du PNV. Mais construire une telle alliance avec pour corollaire le minimum de confiance nécessaire entre les deux partenaires, prendra du temps, au regard du passif historique.
EH Bildu sait qu’une évolution des institutions basques
passe par un accord entre les deux familles de l’abertzalisme
et aspire à détrôner le PSOE
de son statut d’allié privilégié du PNV.
Mais construire une telle alliance,
prendra du temps,
au regard du passif historique.
Grande est donc la déception du gouvernement PNV qui se voit contraint de proroger en 2019 le budget 2018.
Pour les mêmes raisons, il est obligé d’agir ainsi à Gasteiz et à la Députation d’Alava. Sa capacité d’action est bridée. Il agira partiellement sous la forme de décrets ou fera approuver des lois particulières susceptibles d’obtenir une majorité, comme par exemple pour l’augmentation du RSA.
Cet échec relatif prend d’autant plus de relief qu’en Navarre, la présidente abertzale Uxue Barkos a le 20 décembre fait approuver son budget (4,3 milliards d’euros) par le parlement foral. Proche du PNV, dont elle ne porte pas l’étiquette, elle dirige la Communauté forale de Navarre grâce à une coalition où figurent EH Bildu et Podemos.
Eviter d’être à la remorque du parti au pouvoir, le PNV
Dans la Communauté autonome basque, il semble fort que le refus d’EH Bildu d’approuver le budget 2019 ait une autre raison. En mai 2019, une série d’élections importantes auront lieu : élections municipales, élections forales, élections du parlement de Gazteiz et donc élection du Lehendakari, élections européennes et peut-être scrutin des Cortes de Madrid. C’est dire l’importance de cette année électorale. Il était donc impensable qu’un parti d’opposition tel qu’EH Bildu qui aspire avec d’autres alliés, à gouverner la Communauté autonome comme il le fait en Navarre, accepte d’approuver un budget, acte annuel majeur dans une législature, donc de se situer à la remorque du parti au pouvoir. Comment ensuite être crédible pour montrer aux électeurs qu’il est porteur d’un projet vraiment différent de celui de son rival ?
L’autre élément qui a dû peser dans l’attitude de Bildu est la frilosité du PNV à l’égard du projet d’un nouveau statut d’autonomie. On se souvient (Enbata du 27-8-2018), qu’une convergence prometteuse avait été construite l’été dernier entre les députés PNV et EH Bildu, dans la cadre d’une commission préparant un projet de loi au parlement de Gasteiz : le texte d’un futur statut proposait une formule de souveraineté-association reconnaissant la nation basque, le «pouvoir de décider» par voie référendaire, et des relations bilatérales avec l’Espagne devenue une confédération qui ne pourrait plus mettre en oeuvre l’article 155 de la Constitution (suspension de l’autonomie).
PNV: “possibilisme” et maintien aux commandes
Ce projet a été douché par une déclaration du Lehendakari Inigo Urkullu début septembre 2018. Il a rappelé la position traditionnelle du PNV et du gouvernement autonome : un nouveau statut doit être viable et compatible avec les institutions, pas de politique du “tout ou rien”, l’objectif doit être d’approfondir et d’actualiser l’auto-gouvernement, sur la base d’un texte le plus consensuel possible, donc avec l’accord d’un ou deux partis espagnolistes.
Par exemple, une évolution dans le domaine du pouvoir judiciaire et des droits sociaux et civils apparaît compatible avec la Constitution espagnole, souligne Ie Lehendakari. Donc pas de conflit ouvert avec Madrid, tant que le rapport de forces est ce qu’il est.
Le blocage de la situation en Catalogne vient conforter cette ligne, d’autant plus que l’affaire catalane réveille l’expression du nationalisme espagnol et conforte l’émergence de la formation d’extrême droite Vox qui vient d’élire ses premiers députés régionaux en Andalousie.
Tout ce contexte explique le “possibilisme” ou le pragmatisme du PNV qui en est toujours, près de quarante ans après, à tenter d’obtenir ce qu’il a déjà obtenu sur le papier et signé en 1979, c’est-à-dire les 37 compétences jamais transférées par Madrid, dont la gestion de la caisse de Sécurité sociale considérée comme prioritaire.
Une telle attitude correspond aux ambiguïtés du nationalisme basque, partagé entre autonomisme et souverainisme, dans un parti soucieux d’abord, et cela est légitime, de ne pas perdre le pouvoir, mais aussi de rassurer la fraction la plus conservatrice de son électorat et les milieux économiques désireux de stabilité.
La revendication souverainiste trans-partis que tente de mettre en oeuvre la mouvance Gure Esku Dago, dans le droit fil de la société civile catalane organisatrice de référendums locaux, peine à embrayer en Pays Basque.
Si le souverainisme veut avancer sans perdre la proie pour l’ombre, c’est tout un processus de fond et sur la longue durée qui est à mettre en oeuvre. Une telle démarche qui doit s’appuyer sur l’identité culturelle et la généralisation de la pratique de l’euskara, n’est pas seulement entre les mains des partis politiques.
Ce sera l’oeuvre d’une génération, comme cela a été le cas en Catalogne. Point de salut sans ce préalable touchant aux fondements du sentiment d’appartenance. Aujourd’hui, la fraction autonomiste du PNV tient les rênes du pouvoir et demeure très prudente, après avoir été échaudée par l’échec du plan Ibarretxe. Elle n’acceptera demain de faire alliance avec EH Bildu et n’évoluera dans un sens souverainiste avec tous les risques que cela suppose, que si elle est convaincue qu’elle a quelque chose à gagner dans ce renversement d’alliance.
Sondage pour 2019, année électorale
Un sondage réalisé par EiTB Focus fin novembre début décembre auprès de 1750 habitants de la Communauté autonome basque, montre une progression du poids électoral du PNV et d’EH Bildu dans les trois provinces et leurs capitales.
En Araba, le PNV progresse de 6,5 points dans les intentions de vote (28,5%) et montre qu’il parvient à surmonter auprès de son électorat une affaire de corruption, l’affaire Miguel, qui l’avait affaibli. EH Bildu passe de 20,7 % à 21,1 % aujourd’hui. Podemos perd 3,6 points (15%). Le PP rétrocède à la quatrième place, avec une chute de 7,5 points (14,9%). Le PSOE et Ciudadanos progressent légèrement, alors que le nouveau parti d’extrême droite Vox ne mord pas (0,4%).
En Bizkaia, l’hégémonie du PNV progresse encore (+5,8 points) et 44% des intentions de vote. EH Bildu augmente très légèrement (19,3%). Podemos reste en troisième position, mais baisse de 3,3 points (14,2%). Les socialistes se maintiennent (12,8%) et le PP perdrait plus de 2 points (5,8% des voix). Ni Ciudadanos, ni Vox n’obtiendraient de représentants, avec respectivement 2,5% et 0,2% des intentions de vote.
Enfin en Gipuzkoa, le PNV arriverait en tête avec une progression de 5,8 points, soit 37,8% des voix. EH Bildu gagne deux points, (31,5% des électeurs). Le PSOE et Podemos perdent chacun entre 3 et 4 points, avec respectivement 12,7% et 11,2%. Le PP se marginalise en baissant de 1,5 points (4 % des voix) et Ciudadanos croît avec presque 1 point de plus, mais seulement 2,6 % des voix. Vox stagne à 0,1 %. Bien entendu, le PNV continuerait à diriger les trois députations provinciales et les trois capitales.