Sarah Coupechoux est responsable Europe pour la Fondation Abbé Pierre. À l’occasion de sa présence pour la conférence Urgence Logement organisée par Alda à Bayonne le 21 novembre dernier et qui a réuni plus de 500 personnes, elle est revenue pour Enbata sur les différents mouvements et types de mobilisations pour le droit au logement en Europe. Une source d’inspiration qui donne un éclairage particulier aux luttes menées au Pays Basque.
Comment la lutte pour le droit au logement s’organise-t-elle ailleurs en Europe ?
La question du droit au logement est un sujet dont les citoyens s’emparent dans de nombreux pays européens : on observe qu’aux côtés d’organisations institutionnelles, comme la FEANTSA qui lutte contre le sans-abrisme ou Housing Europe qui rassemble les fédérations des bailleurs sociaux, ou d’associations dont c’est le mandat principal, il existe aussi une myriade de mouvements informels, que la crise des subprimes de 2008 a renforcés. Les combats de ces organisations à travers l’Europe ont des traits communs : lutte contre les expulsions de logement, contre la précarité énergétique et la difficulté d’accès à l’énergie, ou contre la financiarisation du logement (dérégulation du marché du logement, hausses de loyer, gentrification, phénomènes de main-mise de certaines villes par des plateformes de location courte durée type Airbnb,…). Par exemple, en Espagne, la PAH (Plataforma de Afectados por la Hipoteca – Plateforme des victimes du crédit hypothécaire) est directement née du mouvement du 15-M (ou mouvement des Indignés). Elle s’appuie sur des “nodos”, des comités locaux dans lesquels les gens qui se retrouvent expulsables parce que dans l’incapacité de rembourser leur crédit peuvent partager leur expérience avec d’autres personnes dans une situation similaire, et s’organiser ensemble pour résister. La rencontre des premiers concernés et des militants plus aguerris, qui les accompagnent en mettant à disposition un savoir-faire militant (en droit, en communication, en mobilisation, etc) est quelque chose que l’on retrouve dans plusieurs mouvements sociaux pour le logement, et qui leur donne véritablement du poids. Car on a besoin de cette voix citoyenne, basée sur des expériences concrètes, pour réussir à faire contrepoids face aux lobbies qui opèrent au niveau européen : par exemple, lors de la consultation organisée par la Commission européenne pour son règlement visant à réguler Airbnb, la Commission nous a demandé de trouver des gens pour participer, car Airbnb avait mobilisé sa communauté en masse et ils s’étaient retrouvés avec 7 000 réponses, uniquement d’hôtes Airbnb !
Certains de ces mouvements sont-ils devenus massifs ?
Bien sûr, tout dépend des réalités locales, mais il y a plusieurs exemples de mouvements qui parviennent à peser dans les politiques publiques. En Suède, l’Association des locataires, par exemple, compte 500 000 membres, et elle est particulièrement puissante. A tel point que, lorsqu’en 2021 le gouvernement a voulu libéraliser le système d’encadrement des loyers (en Suède, les loyers sont strictement encadrés), il s’est fait renverser par un vote de défiance des députés. A Berlin, en 2021, c’est une initiative citoyenne qui a permis d’obtenir l’expropriation des plus gros bailleurs institutionnels berlinois, et leur municipalisation. Alors que les prix ont doublé depuis les années 2000 et que de grandes firmes immobilières ont racheté une partie du parc locatif, les habitants ont réussi à réunir 349 000 signatures pour l’organisation d’un référendum : faut-il ou non municipaliser ces logements ? Obtenir la tenue d’un référendum, et le remporter, était un coup de maître, qui suppose de mettre en place de gros moyens militants. C’était assez impressionnant à voir : ils avaient des groupes de travail pour essaimer dans les quartiers, pour structurer la mobilisation, pour préparer le matériel de communication, pour préparer le travail juridique, pour réfléchir à la dimension culturelle, aux relations publiques, et même un groupe de travail international pour faire le lien avec d’autres luttes.
La limite des mobilisations sur le logement, c’est qu’elles sont plus faciles quand il y a un ennemi clair à abattre : le crédit hypothécaire pour la PAH en Espagne, les firmes immobilières en Allemagne,… C’est plus difficile de structurer des mobilisations collectives quand les atteintes au droit au logement se font à bas bruit.
En parlant d’ennemi facilement identifiable : où en est la lutte contre Airbnb au niveau européen ? Les règlements adoptés au niveau local pourraient-ils être mis en péril par la législation européenne ?
La Commission européenne vient de sortir une proposition de règlement qui, s’il est adopté, obligerait les plateformes à transmettre leurs données aux collectivités qui en ont besoin pour leurs mécanismes d’encadrement, ce qui est une bonne chose. Les discussions devraient avoir lieu au 1er semestre 2023. Là encore, le rôle des mouvements citoyens auprès des députés européens va être essentiel : il faut que l’on parvienne à faire entendre la voix des personnes concernées, que l’on montre l’impact concret de la transformation des logements à l’année en meublés de tourisme permanents qui met des gens sur le carreau
Par rapport à ce tour d’horizon des mouvements d’Europe, comment qualifierais- tu les dynamiques dans l’Hexagone ?
C’est difficile de structurer un mouvement massif pour le logement en France qui viendrait du terrain et s’organiserait au niveau national pour répondre à la crise. Des sujets précis le permettent, car ils offrent une lecture plus claire du phénomène : ça a été le cas avec les enfants sans abris à Lyon, la location de meublés courte durée avec Airbnb. A partir de là, le défi est d’aller au-delà, d’entraîner l’opinion publique sur le sujet plus large du logement.
La façon dont Alda travaille est un bon exemple : ce qui fonctionne, c’est de prendre le temps d’écouter les préoccupations des gens et de les mettre au centre de l’organisation, puis de traduire ces besoins en revendications politiques. C’est un bon modèle, mais il ne faut pas oublier qu’ici, il y a une spécificité du territoire en matière d’organisation politique et de lutte.
Alda est d’abord un mouvement de défense des milieux populaires qui oeuvre pour la métamorphose écologique et sociale du territoire. C’est en se rendant compte que le logement était le premier problème qui touchait les milieux populaires que l’association a décidé de mener ses actions contre la crise du logement. Est-ce que la question du logement comme trait d’union entre les enjeux sociaux et les enjeux écologiques est quelque chose qui se retrouve dans d’autres mouvements et mobilisations ?
Encore assez peu, malheureusement, sauf plus récemment sur la précarité énergétique. Justement, avec le contexte actuel de la flambée des prix de l’énergie et de l’inflation, les organisations commencent à s’intéresser à la question. Mais il faut être conscient que la transition écologique ne se fera pas sans parler du logement.
Cela a été abordé pendant la conférence : on assiste à une multiplication des “congés pour vente” au Pays Basque. Ces congés sont légaux, et pourtant ils mettent à la rue des locataires qui se retrouvent dans l’incapacité à se reloger. Quelle est la position de la Fondation Abbé Pierre à ce sujet ?
Vu la précarisation de la question du logement, le congé pour vente est une aberration, surtout dans les zones les plus tendues. On octroie aujourd’hui à un propriétaire le droit de priver une personne de son domicile pour faire une plus-value sur sa vente. Le principe même de ce droit doit vraiment être remis en cause et discuté, d’autant qu’il n’est pas indispensable. Revenir ou limiter le congé pour vente, cela ne porte pas atteinte au droit de propriété privée, car on peut vendre son logement même s’il est occupé. Mais faire primer le droit d’un propriétaire à faire une plus-value sur le droit au logement, a des conséquences terribles : humaines, d’abord, car perdre son logement est un traumatisme. Puis, ces ménages vont aller s’ajouter à la déjà très longue file des demandeurs de logements sociaux : c’est la puissance publique qui va devoir trouver une solution de relogement, dans des zones où bien souvent il y a un manque de logement. C’est pourquoi ce principe est inacceptable et mérite d’être réformé.