Professeur Macron, dites moi, comment carboniser la taxe carbone en 10 leçons ? – Et bien mon ami, c’est bien simple, il faut procéder ainsi :
1) Vous commencez tout d’abord par multiplier les cadeaux aux secteurs les plus riches du pays, en faisant baisser de 25% les impôt sur les grandes fortunes, sur les droits de succession, et sur les revenus du capital ;
2) Puis vous annoncez au reste de la population qu’on va lui augmenter de 18% les taxes sur les carburants ;
3) Vous faites en sorte que l’argent récolté ainsi ne serve pas à rendre les usagers moins dépendants de la voiture individuelle en finançant les diverses alternatives permettant de s’en passer ou de moins l’utiliser : développement des transports collectifs, du co-voiturage et de l’auto-partagée, du télétravail, aménagement pistes cyclables sécurisées, indemnités kilométriques vélo, lutte contre l’étalement urbain…
4) Vous destinez au contraire la majorité de cet argent au budget général de manière à combler les pertes de recettes dues aux cadeaux que vous venez de faire aux plus riches ;
5) Vous pouvez même pousser le vice jusqu’à en affecter une partie au financement du CICE, permettant de subventionner ainsi des entreprises polluantes comme Total ou Lafarge avec des taxes censées favoriser la transition énergétique !
6) Vous soumettez les 1400 sites industriels les plus émetteurs de gaz à effet de serre à des mécanismes qui leur feront payer 17 euros la tonne de CO2 émis, contre 44,6 euros pour les ménages ;
7) Vous n’oubliez pas d’exonérer de cette taxe le kérosène des avions et des jets privés pour parfaire ce sentiment d’absurdité et d’injustice que vous êtes en train de faire monter dans le pays ;
8) Vous achevez de montrer que votre but réel n’est en aucun cas de combattre le changement climatique et l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre en permettant 7 nouveaux projets autoroutiers ou en autorisant Total à forer au large de la Guyane pour y trouver encore plus de pétrole et de gaz offshore ;
9) Vous saupoudrez le tout de propos méprisants à l’égard de ceux qui coûtent un pognon de dingue avec leurs minima sociaux, qui n’ont qu’à travailler pour se payer un costume, ou traverser la rue pour se trouver un boulot ;
10) Et vous ne proposez à aucun moment une métamorphose de la taxe carbone pour la rendre indolore pour les moins aisés, et pour qu’elle contribue réellement à une transition énergétique qui protège les plus pauvres de la dépendance à l’essence ou au fioul et de l’augmentation inévitable, taxes ou pas taxes, du prix des énergies fossiles.
Une autre taxe carbone indispensable
Après ce désastre annoncé, la question se pose plus que jamais : une autre taxe carbone, socialement acceptable et écologiquement efficace, est-elle possible ? Et la réponse est oui. Non seulement elle est possible mais elle est indispensable.
Si nous prenons au sérieux l’urgence climatique et le fait que plus le temps passe, et plus les efforts à fournir seront colossaux, nous devons permettre immédiatement une réduction de nos gaz à effet de serre, et donc agir dès maintenant sur ces trois grands postes d’émissions que sont les transports, le chauffage et notre modèle agro-alimentaire, ainsi que sur les systèmes de production énergétique. Nous devons orienter immédiatement les investissements les concernant (les investisseurs prenant en compte non seulement le coût de réalisation ou d’achat de telle infrastructure ou produit, mais également l’évaluation de son coût de fonctionnement au cours de sa durée de vie moyenne). Une taxe carbone ambitieuse peut largement aider à cela.
Nous devons limiter l’usage des énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) responsables du dérèglement climatique en cours d’accélération et rendre plus compétitifs des modèles qui en nécessitent le moins (transport ferroviaire, isolation des logements, agriculture paysanne ou bio, productions locales, etc.) et donc en renchérir le coût, maintenant !
Il ne suffit pas de trouver les recettes pour financer la transition énergétique et écologique, par exemple en faisant payer les plus riches ou en taxant d’avantage les grandes entreprises et particulièrement les plus polluantes. Il faut dévier les usages et consommations de masse vers les modèles et produits les moins carbonés, et le faire au plus vite.
Nous ne pourrons pas lutter efficacement contre le changement climatique sans changer nos modes de déplacement, de consommation, de chauffage, de production, d’aménagement du territoire etc.
Nous ne pourrons pas lutter efficacement contre le changement climatique
sans changer nos modes de déplacement, de consommation,
de chauffage, de production, d’aménagement du territoire etc.
La taxe carbone est un des outils pour enclencher dès maintenant ces changements.
La taxe carbone est un des outils (avec les lois, les réglementations, la sensibilisation et la mobilisation des citoyens et des consommateurs….) pour enclencher dès maintenant ces changements.
Quelle taxe carbone socialement juste et acceptable ?
Le problème est qu’il ne suffit pas de vouloir pour pouvoir. Si chaque tentative de mettre en place un début de fiscalité écologique suscite une fronde populaire massive (Bonnets rouges, gilets jaunes…), nous ne sommes pas prêts d’avancer. L’impératif de penser une fiscalité écologique qui ne pénalise pas les secteurs les moins aisés de la population, voire qui avantage les plus pauvres ne correspond pas qu’à notre logiciel « justice sociale ». Il répond tout simplement à une volonté d’efficacité, à un impératif de gagner rapidement cette bataille-là.
Dans le prochain Enbata, je décrirai les grands principes qui permettraient à mes yeux la mise en place d’une taxe carbone socialement juste et acceptable, et écologiquement ambitieuse et efficace.
Les entreprises européennes astreintes au Protocole de Kyoto ne paient pas 1è euros la tonne de CO2 émise, mais simplement 17 euros la tonne supplémentaire par rapport aux quotas attribués gratuitement, ce qui ramène le coût de la tonne émise entre 0,85 et 1,7 euro (voir http://harribey.u-bordeaux4.fr/travaux/soutenabilite/taxes-ecologiques.pdf ou http://harribey.u-bordeaux4.fr/travaux/soutenabilite/arlesienne-financement.pdf
Bien à toi Textx
Jean-Marie Harribey