Prêtre, journaliste et écrivain Xipri Arbelbide (Hélette, 1934) est co-fondateur au début des années 80 de Gure Irratia. Enbata a interviewé cet observateur averti du Pays basque dont l’approche critique de bien des événements marquants des 4 dernières décennies, explique un certain nombre d’aspects de l’évolution d’Iparralde. Ses expériences en Algérie (pendant la décolonisation) et en Afrique aidant, il apporte ici un éclairage particulier sur l’évolution de l’Eglise ici et ailleurs.
Au sujet d’un futur synode, le Pape aurait parlé de nouveaux ministères. Serait-ce le mariage des prêtres ?
Vous ne verrez pas plus de mariage des prêtres, que de divorcés. Une fois que l’on a donné la parole, l’Eglise n’accepte pas qu’on la retire.
Pourtant il y a de moins en moins de prêtres et l’Eglise se porte mal ?
Tout le monde est inquiet mais je trouve qu’elle se porte très bien. A l’élection de Jean Paul II en 1978, il y avait 750 millions de catholiques. 40 ans après nous sommes 1,3 milliards. 70% de plus. Jamais dans l’ histoire de l’Eglise on n’a vu pareille progression. C’est chez nous que l’Eglise va mal. Dans ce monde occidental qui est en train de crever. Nous sommes 20% de la population mondiale et nous sommes en train d’épuiser toutes les richesses de la terre sans souci de nos enfants, ni des 80% autres.
Vous reconnaissez donc que l’Eglise va mal chez nous ?
C’est indéniable. Les gens qui fréquentent les églises sont de moins en moins nombreux et de plus en plus âgés.
Cela vient de quoi?
Ce serait long à expliquer en quelques lignes. Pour faire court, disons que dans mon enfance j’ai été élevé dans la peur de l’enfer. Le premier commandement était le sixième. Les grands théologiens qui ont fait le Concile ont rappelé que le premier commandement de Jésus était l’amour. La peur a disparu. Avec des choses concrètes qui faisaient le “sacré” : la langue sacrée de la prière, le latin que personne ne comprenait. La soutane signe du caractère sacré du prêtre. Il était le seul à pouvoir toucher l’hostie; aujourd’hui chacun prend cette hostie dans sa main, en porte à la maison. Il fallait être à jeun pour communier. On en était au sens du sacré de Moïse au Sinaï il y a 2.500 ans, la peur de Dieu, la crainte de toucher l’intouchable. Cela a disparu très rapidement. L’intouchable, le tabou parti, chacun a continué à “changer la religion” à sa façon. Puisque ce n’était plus intouchable! C’est ainsi que par exemple la messe dominicale a cessé en fait d’être obligatoire.
Vous êtes contre ces changements ?
J’ai toujours été pour. Nous avons une foi plus vraie. Mais il faut reconnaître que nous n’avons pas su trouver les piliers sur lesquels la bâtir. Pour les chrétiens et pour nous-mêmes.
Vous-mêmes, c’est à dire?
Nous, les prêtres. Fidèles et clergé nous sommes entrés ensemble dans la société de consommation. J’ai vu arriver l’eau, l’électricité, la motorisation, l’enseignement secondaire généralisé etc. Des changements aussi positifs que ceux signalés plus haut dans l’Eglise. Mais j’ai bien peur que nous ayons mis la foi en la consommation, à la place de la foi au Christ. Oubliant que Jésus nous a promis le bonheur dans l’amour les uns des autres, nous l’attendons du dernier smartphone, de la télé géante nouvelle norme etc. Jamais nous n’avons été si riches et jamais si inquiets de l’avenir. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Où est Bethléem ?
Et l’avenir donc ?
Il faut repenser notre façon de présenter l’Evangile. Des années après la mort de Jésus, ses témoins se rappelaient encore ses sermons et cela a donné les Evangiles. Ils étaient tirés de la vie des gens: semeur, vigne, moutons, oiseaux, voleur, serviteur, pêcheur etc… Lisez les encycliques de notre pape: Il nous demande de baisser le chauffage et de mettre un tricot. D’utiliser moins de plastique etc… Demandez à la sortie d’une messe ce que le prêtre a dit! Nous devrions faire les sermons avec l’Evangile dans une main et le journal dans l’autre.
De toutes façons, seule une minorité vous écoute…
Les dimanches, oui. Elle doit être le levain dans la pâte. Mais les églises sont pleines de gens attentifs aux enterrements, baptêmes, mariages et jours de fête. Leur disonsnous des choses intéressantes? Les sermons inintéressants sont inefficaces même dans les églises pleines.
Voyez-vous une Eglise sans prêtre?
Il y a de moins en moins de prêtres… Dix décès par an ici. Mais nous sommes passés de 5 ordinations entre 2009 et 2013 et à 10 en 2014-18. La baisse va encore continuer. Je vous ai dit qu’il n’y aura pas de mariage des prêtres. Par contre, L’Eglise catholique d’Orient vit depuis 12 siècles avec des pères de famille ordonnés prêtres. Et cela au milieu des musulmans. Le Concile en a fait l’éloge. Mais nos évêques ne sont pas mûrs pour cela. Le Concile et le Droit Canon (loi de l’Eglise) proposent une autre voie, immédiatement à notre portée, celle pratiquée par le pape actuel à Buenos Aires. Les chrétiens se réunissent sans prêtre, lisent l’Evangile, chantent, prient et communient. Cela se fait dans le monde entier. En Côte d’Ivoire, ma paroisse avait 45 lieux de culte. Tous les dimanches, les chrétiens se réunissaient entre eux. 40 ans après, au lieu de 3 prêtres Ivoiriens nés sur la paroisse, il y en a 31. Et l’unique paroisse en a donné onze nouvelles. Ici il y a une profonde injustice dans la répartition des prêtres. Trois prêtres de Hélette célébrons 7 à 8 messes chaque week-end, et Hélette n’a qu’une messe tous les 15 jours. Bayonne, moins étendue, jouit de 18 messes par week end; sept à St André et la cathédrale à moins de 500m l’un de l’autre alors que le synode diocésain a invité les prêtres urbains à célébrer en campagne. C’est intolérable! Les “pôles missionnaires” sont à la mode en France. Qu’ils aillent en Afrique, voir ce que c’est.
Mais nous ne sommes pas en Afrique.
Et c’est pour cela que l’on est en train de crever. Les églises fermées amènent la mort des communautés chrétiennes. L’évêque d’Evreux disait :”Une communauté locale qui ne célèbre le dimanche qu’une fois par mois est appelée à disparaître”. Si l’on n’écoute ni évangile, ni sermon, comment les mettre en pratique? Dans nos villages il y a un noyau de fidèles engagés : catéchistes, lecteurs, organiste, chanteurs… Il faut qu’ils prennent conscience que l’avenir est en leurs mains. Qu’ils sont le levain dans la pâte. Mais les évêques de France ont décidé que les gens n’ont qu’à prendre la voiture pour aller au village voisin, comme ils le font pour le supermarché. L’Eglise n’est pas “Carrefour” pour eux. C’est leur “etxe” avec tout ce que cela implique. C’est la maison de leurs baptêmes, communions, mariages, obsèques. Nous les y trouvons, réceptifs pour peu que nous leur disions des choses intéressantes;
Que propose-t-on en France ?
Le dimanche serait le jour des rassemblements. Ils rêvent des temps passés où les galeries étaient pleines…. Jésus nous dit que là ou où 2 ou 3 sont réunis en son nom, il est là. Dans deux villages que je connais bien, avec 2 messes par week end, il y avait une moyenne de 105 pratiquants. Avec une seule messe, c’est descendu à 60. A Pâques, Toussaint et Noël, au lieu d’une moyenne de 400 personnes, ils sont 300. Je lisais récemment que tel curé du Centre ne trouvait personne à qui confier la clef de l’église. Tel autre célébrait une messe pour 25 km autour. Pour s’assurer une belle messe il sacrifiait les villages alentour. La solution de l’épiscopat ce sont des soins palliatifs. Ils programment la mort de l’Eglise rurale. Un cardinal préfet de Congrégation me disait un jour : “L’épiscopat français n’a pas de perspectives”.
Mais n’est-il pas trop tard ?
Nous avons la chance de vivre dans un pays où il y a une vie extraordinaire. On y a créé ikastolas, radios et Gau Eskola, ELB et Laborantxa Ganbara (héritiers d’Euskaldun Gazteria), Bizi, Eusko etc… Où a-t-on vu gauche-droite-abertzale-non abertzale unis, sinon ici pour le 8 avril? Tout cela marche parce que des milliers de gens pensent aux autres avant de penser à eux. Cela c’est vivre l’Evangile, qui nous dit de donner notre vie pour ceux que l’on aime. Nos jeunes ont un idéal autre que “sea, sex and sun”. Comment peut-on crever dans un pays où il y a une telle vie? Si proches, ne sommes-nous loin les uns des autres au lieu de travailler la main dans la main? Cela pose question, non? On doit proposer autre chose que de la retraite de la Berezina.
Bravo et belle vision des choses. Ce prêtre nous rend l’espérance dont nous serons les messagers au sein société occidentale mortifère.
Puisse nos paroisses de réveiller avec des diacres et des laïques engagés !