Autour de la “valeur travail” par Peio Etcheverry-Ainchart

Cette semaine, le monde du travail a fêté comme chaque année le 1er Mai. D’ordinaire jour de revendication et de rassemblement emblématique, mais somme toute assez peu original dans le fond comme dans la forme, cette année la journée a été placée sous le sceau de la récupération politique, second tour des présidentielles oblige.

Le «vrai travail»
À vrai dire, ce n’est pas la première fois —loin s’en faut— que le calendrier social, culturel ou de tout autre nature, est ainsi écartelé au gré des intérêts partisans; nous autres abertzale ne sommes pas exempts de tout reproche en ce domaine, il faut bien l’avouer. Mais tout de même, cette année on atteint des sommets d’indécence avec l’initiative de Nicolas Sarkozy, «candidat sortant» (selon l’expression singulièrement consacrée), autour du concept de «vrai travail». Nicolas Sarkozy s’était déjà imposé comme le champion toutes catégories du recyclage, en particulier en matière historique: citons pêle-mêle les références constantes aux politiques de toutes tendances (jusqu’à Jaurès et Blum, qui doivent se retourner dans leur tombe), la lecture imposée de la lettre de Guy Môquet, la promenade annuelle sur le plateau des Glières, l’hommage à Jeanne d’Arc, le parrainage d’enfants juifs déportés par des élèves de primaire, sans parler du célèbre loupé sur «l’homme africain qui n’était pas entré dans l’histoire» et j’en passe… En cinq ans de présidence, cet homme-là et son plumitif Henri Guaino semblaient nous avoir déjà tout fait.
Mais histoire de bien couronner ce quinquennat d’errements de plus ou moins mauvais goût, voici qu’on nous sort en ce 1er Mai la Fête du vrai travail. L’initiative nous est présentée comme une mise au point, un recadrage destiné à valoriser les travailleurs qui se lèvent tôt et ne comptent pas leurs heures (les «vrais» travailleurs) face à ceux qui n’ont pour but que de pleurer sur leurs conditions de travail et d’en faire le moins possible tout en cherchant à gagner davantage. Ceux-là ne sont pas de «vrais» travailleurs. Passons vite sur les grossiers montages qui ont fleuri sur Internet pour tenter de faire accroire à la récupération d’un slogan et d’une affiche datant de Vichy; ces faux ne sont pas de très bon goût, et surtout il n’est pas besoin de verser dans la manipulation pour dénoncer un candidat qui s’enfonce de lui-même dans le racolage le plus honteux du Front national, assumant dans son discours et sans même que l’on ait besoin de le déformer bien des principes de la «révolution nationale» vichyste.

Ne pas laisser
la valeur travail à la droite
Le pire dans l’affaire, c’est que finit par s’instiller dans la population l’idée que la valeur du travail ne serait véritablement qu’un concept de droite, la vision de gauche étant davantage celle d’une aliénation. Comme si porter des revendications liées à la réduction du temps de travail ou à l’amélioration des conditions de travail dans l’entreprise, mues par une volonté de justice sociale parfaitement légitime, équivalaient à une dépréciation du travail lui-même. Or je pense pouvoir dire sans trop m’avancer que même le syndicaliste le plus militant aime son métier —si tant est qu’il ait pu le choisir— et le fait le mieux possible. L’ouvrière, le fonctionnaire, l’enseignante, l’infirmière, le technicien de surface, chacun et chacune voit dans son activité professionnelle la source de ses revenus, certes, mais aussi une partie de sa place dans la société, sa part de réponse à la palette des besoins de celle-ci et donc de son «utilité» sociale.
Loin d’une économie autarcique où faute de déplacements et d’échanges aisés, chaque maison se suffisait à elle même dans ses besoins fondamentaux, aujourd’hui l’éditeur que je suis ne fait pas son pain chez lui; il le demande au boulanger qui peut-être aura en retour besoin d’un de ses livres. On peut ne voir cela que comme une vile logique de marché, mais on peut aussi le voir comme des services que chaque homme et femme se rend mutuellement, et qui forment une part de la vie en commun. C’est aussi pour cela que le chômage est vécu comme un drame et non pour les joies supposées de «l’assistanat». C’est une honte de chercher ainsi à jouer sur ce malheur qui frappe tant de familles aujourd’hui.

Le travail, c’est de gauche!
Alors «vrai» 1er Mai ou faux procès, prenons garde à ne pas laisser à la droite la bannière de la «valeur travail». Le vrai débat n’est pas de savoir si Sarkozy va puiser à la source de Pétain ses arguments de campagne, il est de savoir se préserver des pièges cachés derrière les slogans et les logiques d’opposition électorale. Ce n’est pas parce que la droite veut faire passer le salariat pour l’ennemi du travail que celui-ci doit entrer dans son jeu: le travail, c’est de gauche! Le travail juste dans sa durée, dans sa rémunération, dans son partage, dans les conditions de l’activité.
Une campagne électorale, surtout depuis que les moyens de communication se sont démultipliés, dé-forme la perception des choses. Elle tend à caricaturer les positions, tant la logique d’affrontement prime sur celle de consensus. Soyons donc vigilants à ne pas insensiblement nous faire enfermer là où nos adversaires y ont leur intérêt. La politique est trop importante pour être sacrifiée à la dialectique.

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