«Imposer une langue unique et essayer d’empêcher les gens de parler la leur, est une caractéristique des régimes despotiques»

(Vidéo : Philippe Blanchet, professeur d’université à Rennes 2, sociolinguiste et écrivain occitan en Provence.)

L’assemblée de Corse poursuit ses travaux sur le projet d’autonomie qu’elle entend mener à bien. Plusieurs commissions d’élus travaillent en ce sens, en particulier la « Commission des compétences législatives et réglementaires pour l’évolution statutaire de la Corse ». Celle-ci a auditionné le 6 novembre Philippe Blanchet, professeur de sociolinguistique. Cet éminent universitaire enseigne à Rennes 2 au Centre d’études des langues, identités culturelles et langues minoritaires. Auteur occitan d’origine provençale, Philippe Blanchet est connu pour ses recherches et ouvrages autour de la notion de glottophobie. Avant son audition, il répond aux questions du média FR3 Corse Viastella. La question du droit des langues au niveau international et dans le cadre français, ainsi que les rapports entre Constitution et loi organique relative aux questions linguistiques, sont au cœur de son propos.

Viastella : Dans un de vos articles, vous faites un comparatif entre la politique linguistique de la France et celle de certains régimes despotiques ou totalitaires comme l’Italie fasciste, le franquisme ou l’URSS stalinienne, pourquoi ?
Philippe Blanchet : Parce que c’est un fait, tout simplement. Le fait d’imposer une langue unique et d’essayer d’empêcher les gens de parler la leur, est une caractéristique de ces régimes despotiques et d’autres du même type. Ce qui caractérise une tyrannie, c’est le fait de ne pas respecter les droits fondamentaux des gens ; or, parmi ces droits fondamentaux, il y a le droit de parler sa propre langue.

V. : Selon vous, pourquoi y a-t-il un tel totem autour de la langue française en France ?
P. B. : Parce que lorsque l’on a construit la langue française à partir de la Révolution, on s’est trouvé en face d’un pays extrêmement diversifié, avec des langues, des cultures, des histoires totalement différentes les unes des autres. Au lieu de prendre en compte la diversité et de faire une sorte de fédération —qui était d’ailleurs l’option de départ— le choix a été fait de construire un pays centralisé. On a voulu imposer une identité unique et commune, la langue française a servi à cela. Elle a remplacé la personne mythique et symbolique du roi et elle est devenue une sorte de nouvelle religion.

V. : Vous êtes aussi le père du concept de glottophobie, expliquez-nous ce concept et en quoi la langue corse est concernée ?
P. B. : Glottophobie est un terme construit sur le modèle de xénophobie, pour indiquer que des personnes sont discriminées du fait de la langue qu’elles parlent et pas seulement de la façon dont elles la parlent. Les Corses sont évidemment concernés, puisqu’il y a dans ce pays des gens qui ne peuvent pas jouir de leur droit de citoyenne et de citoyen, du simple fait qu’ils s’expriment dans une langue autre que le français. Or, c’est un droit fondamental, il s’agit donc une discrimination que je propose d’appeler glottophobe.

V. : Concrètement, comment se manifeste cette glottophobie ?
P. P. : Elle se manifeste par le fait que l’on ne peut pas accéder à ses droits dans sa propre langue, dans sa langue maternelle, on ne peut pas accéder aux services publics, on ne peut pas s’exprimer dans sa langue pour participer à la vie démocratique, alors que c’est un droit normal pour tout citoyen. On vous l’interdit et on vous impose de passer par la langue d’autres citoyens. N’oublions pas que la langue française n’est pas une langue venue de nulle part. C’est la langue d’une partie des citoyens français qui est imposée aux autres.

V. : Comment faire pour changer les choses ?
P. B. : C’est compliqué, mais je pense que dans le contexte dans lequel nous sommes, il faut d’abord bien comprendre cette idéologie pour essayer de la retourner. C’est-à-dire reprendre ses propres arguments, les présenter aux gens qui pensent que la suprématie du français est une chose normale, naturelle et éventuellement bonne, pour leur démontrer qu’ils font une mauvaise analyse et que, dans la société française, il est possible de penser la diversité des langues autrement. Avec l’idée que pour que les gens restent unis, il vaut mieux les respecter tels qu’ils sont et qu’ainsi, ils auront envie de rester ensemble.

V. : Juridiquement, que proposez-vous, notamment dans le cadre des écritures constitutionnelles qui concernent la Corse ?
P. B. : Ce n’est pas à moi de proposer, c’est aux élus démocratiques de la population de l’île de le faire. J’attire l’attention sur un certain nombre de points de blocage au sein de l’État et de ses instances comme le Conseil constitutionnel. Je vais montrer les ressorts juridiques sur lesquels on peut s’appuyer : les traités internationaux, les lois qui existent déjà et dont on ignore souvent l’existence, elles ouvrent des portes dans lesquelles on peut essayer de passer pour changer les choses en termes de langue, mais aussi en termes de société.

+ Philippe Blanchet est venu en Pays Basque en 2017 à l’invitation de la CAPB. Il a publié en 2016 l’ouvrage Discriminations, combattre la glottophobie, aux Editions textuel, collection Petite encyclopédie critique, 192 p., 16,90 e. Voici un de ses interviews : https://www.youtube.com/watch?v=3D_ABYMMPak

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2 thoughts on “«Imposer une langue unique et essayer d’empêcher les gens de parler la leur, est une caractéristique des régimes despotiques»

  1. Nire ustez testu honetan glotofobia hitzaren esanahia esplikatzeko asko falta da. Ez da bakarrik ama hizkuntzari ematen dion oztopoa, baizik-eta frantsera ahoskatzeko bideari ematen diona ere. Zoritxarrez gaur egun Frantziako hizkuntza minorizatuak ez dira minorizatu guztien ama hizkuntza . Lurralde askotan joan den mendearen erdialdean gelditu da transmisio naturala familia askotan. Zorionez espiritu aurrerakoi eta pentsalari asko lanean, militantsimoan eta borrokan daudela. Euskal Herriaren kasuan bereziki 1969 tik haur asko euskaraz eskolaturik izan dira, askorentzat euskara etxeko hizkuntza ez zen arren. Orduan gaur bi glotofobiren aurrean aurkitzen gara: 1) hizkuntzaren berreskupenari eta eguneroko bizi publikoan oztopoak ezartzea; oztopo horiek itxura desberdinak badituzte: azterketa ofizialak egitea bakarrik frantsesa erabili beharra; ikastolen eraikitzeko eragozpenak jartzea ( Beskoitzeko ikastolaren zabaltzea eragoztea adibidez); helegite judizialak egitea funtzionario erdaldunei euskara “inposatzearengatik” ( Hegoaldeko berezikeria) 2) Lanean eta bereziki goi mailako postuetan zein mundu artistikoan “probintziako azentua ” gal eraztea, “seriosago” .

  2. Ph. Blanchet est interviewé sur ce qu’est la glottophobie… Les lecteurs d’ENBATA en sont informés en lisant le texte ci-attaché que j’ai rédigé en début de l’été 2020 et qui a été publié dans ENBATA.

    Goraintzi.

    JBHU

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