Historienne de la répression politique

Vanessa Codaccioni
Vanessa Codaccioni

De la répression politique les abertzale ont une expérience pratique et douloureuse. Ils seront donc intéressés par les travaux de l’historienne et sociologue Vanessa Codaccioni. Elle analyse les formes passées et présentes de ce phénomène, le fonctionnement de la justice d’exception, les violences policières et leurs dérives en France, sur une durée assez longue, 70 ans. Au fil de ses ouvrages, l’auteure met le doigt sur les effets négatifs de l’antiterrorisme sur l’État de droit et, avec un certain courage, n’oublie pas la répression qui s’abat aussi sur l’extrême droite. De ses recherches aujourd’hui plus que jamais d’actualité en ces temps de restrictions des libertés publiques, le quotidien Le Monde du 17 novembre donne un aperçu. Voici cet article.

Vanessa Codaccioni veille sur la démocratie

par Marion Dupont

L’historienne et sociologue analyse livre après livre la mécanique des répressions politiques. Et fait le constat que les législations antiterroristes introduisent une faille dans le droit commun susceptible de se retourner contre d’autres cibles.

Le lendemain de la publication de son ouvrage Justice d’exception. L’Etat face aux crimes politiques et terroristes (CNRS Editions, 2015), Vanessa Codaccioni sort fêter cela. Elle a justement une invitation pour assister à un match de football dans une loge au Stade de France, à Saint-Denis. Nous sommes le 13 novembre 2015 et, comme une grande majorité des spectateurs de la rencontre ce soir-là, elle patientera jusqu’au milieu de la nuit pour pouvoir quitter les lieux : plusieurs attentats terroristes sont en cours, à l’entrée du stade et en plein cœur de Paris. « Ça a été une douche froide. Et puis, très sincèrement, j’ai tout de suite pensé : ils sont en train de proclamer l’état d’urgence ; l’usage politique de dispositifs et de législations d’exception, c’est exactement ce que je dénonce dans mon livre. Je me suis dit qu’il fallait que je parle, qu’il fallait que j’explique. »

Répondre aux sollicitations des journalistes n’avait pourtant rien d’une évidence pour la chercheuse. D’abord parce qu’elle ne s’est encore que très peu exprimée dans les médias ; ensuite parce que le devoir d’alerter sur les dangers des législations antiterroristes ne doit pas céder à celui de respecter les victimes.

Mais le constat formulé dans Justice d’exception est à la fois clair et urgent : l’antiterrorisme introduit une faille dans le droit commun, susceptible d’être retournée contre d’autres cibles. Les mesures prises en 1936 contre les terroristes d’extrême droite furent retournées, trois ans plus tard, contre l’extrême gauche ; la Cour de sûreté de l’Etat, fondée en 1963 pour juger les membres de l’OAS (organisation créée en 1961 pour défendre le maintien de la France en Algérie), mettra sur le banc des accusés la gauche de Mai 68 et les autonomistes bretons, basques et corses.

L’actualité ne tardera pas à donner raison à Vanessa Codaccioni : à peine quelques semaines après les attentats, de 2015, l’état d’urgence est invoqué pour empêcher les militants écologistes de perturber la grande fête de la COP21, qui s’est ouverte le 30 novembre au Bourget.

La chercheuse – tour à tour présentée comme historienne, sociologue, ou politiste – devient une figure publique à mesure que son sujet de prédilection, la répression politique, s’installe dans le paysage médiatique. Le succès de ses interventions doit beaucoup à la spécificité de sa démarche. « La force de son travail, c’est de replacer cette actualité dans une perspective historique. Cette profondeur temporelle nous permet d’échapper au risque du présentisme, c’est-à-dire d’un présent qui nous aveugle. Pour autant, l’histoire ne sert pas, dans ses recherches, à relativiser. Loin de dépolitiser, elle nous alerte sur les menaces qui pèsent sur la démocratie », analyse le sociologue Eric Fassin, son collègue à l’université Paris VIII, où elle est maîtresse de conférences au département de science politique.

La politiste Frédérique Matonti, sa directrice de thèse, le confirme : « Il y a chez elle un goût de l’archive, de la recherche, de la découverte très important. Cela ne va pourtant pas de soi : aller dans les archives est un exercice solitaire, et on ne sait jamais sur quoi on va tomber. Mais c’est quelqu’un de très volontaire, et qui ne se décourage pas. » Depuis le premier « déclic » – la découverte de l’affaire Rosenberg (les Américains Ethel et Julius Rosenberg, condamnés et exécutés en 1953 aux Etats-Unis pour espionnage au profit de l’Union soviétique) lors de ses études de science politique à Montpellier –, chaque recherche est un fil tiré de la précédente. Ses premières armes, sur les mobilisations pour les Rosenberg en France, déboucheront sur une thèse soutenue à la Sorbonne et publiée sous le titre Punir les opposants. PCF et procès politiques, 1947-1962 (CNRS Editions, 2013) : elle y examine la mise en place par l’Etat d’un appareil de surveillance et de répression toujours plus important à l’encontre des militants communistes.

Le cas de la Cour de sûreté de l’Etat

Mais quelle forme prend la répression après 1962, quel tribunal mène la croisade politique ? C’est à cette question que répondra Justice d’exception, en examinant le cas de la Cour de sûreté de l’Etat.

Un détail retient son attention : nombre des juges qui y officient sont pour le droit à la légitime défense, une polémique qui secoue le débat public dans la France des années 1970-1980. Ce sera le sujet de Légitime défense. Homicides sécuritaires, crimes racistes et violences policières (CNRS Editions, 2018), qui s’achève sur l’idée que la distinction la plus opérante n’est pas entre ceux qui peuvent bénéficier de cette cause d’irresponsabilité pénale et les autres, mais entre les morts jugées inacceptables et les morts pouvant rester « excusées ». Vanessa Codaccioni réalise ainsi un travail d’orfèvre, détaillant, facette après facette, les formes passées et présentes de la répression politique.

Son dernier ouvrage, Répression. L’Etat face aux contestations politiques (Textuel, 2019), scrute la stratégie de dépolitisation menée par le pouvoir contemporain à l’encontre de ses adversaires. Aurai-t-elle été tentée par d’autres sujets ? « J’aimerais sortir des questions autour de la répression, mais je n’y arrive pas. Ça me tient, j’ai l’impression que je n’ai pas encore tout écrit, et tant que j’aurai des choses à dire sur le sujet, je n’arrêterai pas », s’étonne-t-elle même. Pourquoi la répression en particulier ? « C’est presque instinctif. Je suis appelée par ce sujet-là. Comme s’il fallait absolument le faire, comme une forme d’exigence. »

Pendant la soutenance de son habilitation à diriger des recherches non plus, la chercheuse n’avait pas développé son rapport au sujet, alors que c’est la coutume. Lors de notre entretien, tout au plus évoquera-t-elle « d’autres choses, des questions familiales. Evidemment, la prison, cela me parle ». Le père de Vanessa Codaccioni est corse, et elle garde des liens étroits avec l’île. Habitée par son sujet, la socio-historienne n’en évacue pas les questionnements les plus épineux.

Un point l’a beaucoup occupée : peut-on parler de l’histoire de la répression en France sans parler de la répression de l’extrême droite ? Elle choisit finalement de le faire, pour ne pas appauvrir le débat et pour souligner la différence de traitement entre les membres de l’extrême droite et d’autres types de délinquance, de criminalité ou de militantisme. La question de la réception la préoccupe tout autant : elle s’est déjà inquiétée que ses travaux soient utilisés à des fins tout autres que celles auxquelles elle les avait destinés. Lors de la campagne présidentielle de 2017, Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen avaient ainsi chacun proposé de rétablir la Cour de sûreté (supprimée en 1981 sous la présidence de François Mitterrand). Une coïncidence qui n’en était peut-être pas une – elle sait que ses livres comptent un petit lectorat d’extrême droite anti-gaulliste. Elle s’efforce néanmoins, chaque fois qu’elle le peut, de diffuser les savoirs des sciences sociales – dans ses ouvrages, dans ses interventions publiques, ou sur les réseaux sociaux. Et jusque dans la sphère politique : on la retrouve à l’Assemblée nationale ce 14 octobre, auditionnée avec plusieurs confrères dans le cadre de la commission d’enquête relative à l’état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l’ordre. Le contexte, indéniablement, ne lui était pas favorable. Seule femme appelée à témoigner ce jour-là, Vanessa Codaccioni a fait passer son message de spécialiste, sans grand espoir. « J’ai beaucoup insisté sur la nécessité de pouvoir continuer à filmer les interventions policières, et vous voyez qu’aujourd’hui, le projet de loi [de “sécurité globale”] restreint fortement la diffusion de telles images. Mais si c’était à refaire, je le referais sans hésitation. » Loin de baisser les bras, la socio-historienne garde sa chaleur habituelle, met la touche finale à son prochain ouvrage, échange avec ses étudiants, écrit des romans (d’espionnage) et prépare l’avenir.

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