Hemingway, coupable ou non ?

La « massification » des Sanfermines est un fait acquis. A qui la faute ? Le premier à les avoir « popularisées » fut le romancier américain, toujours « présent » à Iruñea.

Chambre Hemingway, numéro 201, Hôtel La Perla, érigé en 1881 à l’un des angles de la place Del Castillo à Iruñea. Un lieu connu de toute la planète Sanfermines, dont l’une des façades donne calle Estafeta où se courent les encierros. Voilà un siècle que le romancier américain découvrit la ville navarraise qui, dans les années 20, ne comptait pas plus d’une trentaine de milliers d’habitants. Sa première visite remonte à 1923. À l’époque, Ernest Hemingway (1899-1961) n’était pas non plus ce monument du roman américain qu’il allait devenir au fil de sa vie. Journaliste, correspondant du Toronto Star, il résidait à Paris. C’est de là que cet inconnu partit pour Iruñea où il fut subjugué par ses arènes, ses corridas et ses premiers toros découverts à l’heure de l’encierro. Dire que ces animaux lancés dans leur course folle allaient changer sa vie, est à peine excessif.

« Eguzkia jaikitzen da »

Le romancier américain appartenait à ce que l’on dénomma « la génération perdue » (celle de 14-18), expression désignant ces écrivains contemporains de la première guerre, lesquels en furent les témoins plus ou moins proches avant de vivre les années 20. Ces Américains entre autres, qui s’établirent à Paris (provisoirement, pour la plupart) afin de fuir une réalité corsetée et découvrir l’Europe de l’après-guerre. Ernest Hemingway allait ainsi vivre ses premières Sanfermines en 1923. D’autres allaient suivre, jusqu’à son dernier séjour en 1959, soit cinq ans après qu’il ait reçu son prix Nobel de Littérature. Il fit le voyage jusqu’à Iruñea à dix reprises, tout en visitant une bonne partie de l’Espagne où il défendit la cause républicaine. L’homme avait aussi ses habitudes au Carlton de Bilbao où l’amena son ultime voyage dans les provinces basques.

Il aura néanmoins fallu attendre 2021 pour que son roman « Fiesta. The sun also rises » Fiesta. Le soleil se lève aussi ») soit traduit de l’anglo-américain au basque. Son titre en euskara ? « Fiesta. Eguzkia jaikitzen da ». L’on doit ce travail à une traductrice aguerrie, Koro Navarro, originaire de Saint Sébastien, dont la longue pratique pour le moins éclectique (plus d’une vingtaine d’ouvrages traduits) lui a « ouvert les portes de nouveaux horizons ». L’ouvrage consacré à cette fête « universelle » avait été édité en 1926 aux USA, sous le titre « The sun also rises », puis un an plus tard en Grande-Bretagne sous la simple appellation « Fiesta », comme c’est aussi le cas en allemand et en castillan (1).

Une « génération perdue »

« Le soleil se lève aussi » est une expression tirée de l’Ecclésiaste (Ancien Testament), souligne la traductrice, venue à bout de ce roman « à clef » avec brio. L’expression « Eguzkia jaikitzen da » que l’on retrouve en titre de l’édition basque, datée de 2021, évoque selon elle cette « génération perdue » évoquée précédemment. Koro Navarro s’étonne, compte tenu de l’importance qu’Hemingway accorde aux corridas et aux toreros (ses personnages favoris), de ne trouver que tard dans son récit l’évocation des encierros. Large place par contre, aux pas de danses, aux danseurs, aux instruments de musique, aux musiciens, de même qu’au descriptif des festivités dans une ville de province, dont la destruction des murailles fut engagée en 1916. Le récit comportant de nombreux dialogues n’a pas été toujours simple à traduire.

Un vrai-faux procès

Dans sa préface, l’écrivain de Zarauz, Angel Lertxundi, rappelle aussi que la « génération perdue » fut celle des Dos Passos, Faulkner, Steinbeck, Orwell et bien d’autres grands noms de la littérature internationale de la première partie du XXe siècle. Reste qu’une question se pose toujours à Pampelune. Et non des moindres. Hemingway est-il celui par lequel l’énorme « massification » des fêtes est arrivée ? L’avalanche touristique de ces dernières décennies (2) est-elle de son fait ? L’homme a été déclaré innocent, à l’issue d’un vrai-faux procès dernièrement organisé par la Peña Anaitasuna et l’Association des écrivains navarrais, avec magistrats en robe et jury populaire. Les juges ont volontiers dédouané leur héros…

(1) « Fiesta. Eguzkia jaikitzen da ». Paru en 2021 chez Erein/Igela.
(2) Selon la municipalité, deux chiffres font état de 13 100 coureurs recensés aux encierros de l’année 2022 et de 1,7 millions de participants aux plus de 500 manifestations en tous genres proposées lors des dernières Sanfermines.

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