Halte à la “culture obligée”

Etxahun_koblakari_pastorala2L’été, l’actualité ralentit dans tellement de domaines qu’il en devient difficile de trouver des idées de chroniques. C’est à ces occasions que celles-ci prennent davantage la forme d’anecdotes voire de coups de gueule. Elles peuvent d’ailleurs en devenir d’autant plus périlleuses, et celle-ci devrait me valoir quelques remarques acerbes car elle écorne l’usage peut-être un peu trop sacro-saint de la culture basque.

Il faut être basque pour aimer ça !

À l’origine de ce coup de gueule, la succession en un temps rapproché de trois discussions. La première, durant un petit trajet en voiture avec un ami récemment entré dans le “monde basque”, se résuma en gros à un “ah bon, tu écoutes Shaka Ponk dans ta voiture ? Tu ne mets pas du rock basque, toi ?” La réponse eut beau fuser des deux sièges enfant de derrière, assénant que “nous, on aime Shaka Ponk !” et moi le confirmant, la réaction de mon passager fut dubitative, comme si un militant basque ne pouvait écouter que de la musique basque.

Oubliant l’épisode, je me le remémorai bien vite quand, quelques jours plus tard, je fis naturellement le parallèle avec une autre réflexion, cette fois d’un ami non basque en visite chez nous : “je suis allé à la pastorale, qu’est-ce que ça peut être chiant ; c’est toujours pareil, c’est super long, faut vraiment être basque pour aimer ça !”. J’ose à peine le reconnaître, mais tout Basque que je suis moi aussi la pastorale, ça me “gonfle” ; non pas parce que c’est souletin, mais parce qu’il se trouve que je n’apprécie quasiment aucune forme théâtrale (en dehors de la politique, bien sûr…).

Et la goutte d’eau qui fit déborder le vase vint d’une dernière discussion, cette fois avec un militant abertzale d’Hegoalde, qui me reprochait de ne jamais écrire de livre en basque ; à lui, je pris un malin plaisir à répondre que je ne lisais quasiment jamais non plus en basque, sauf évidemment dans le cadre de mon boulot d’éditeur ; cela faillit me valoir une excommunication.

Si cela m’énerve autant, c’est que ce n’est pas la première fois que j’entends ce genre de réflexion, parfois sur un ton badin, mais souvent sur un ton sentencieux. Je ne pense pas que la volonté des gens à qui j’ai affaire à ces occasions est de me reprocher d’apprécier autre chose que la culture basque ; j’espère – et je crois – que personne n’est assez obtus pour rejeter par principe ce qui n’est pas “basque” ou “en basque” (les deux concepts étant différents et ceci méritant en soi un débat entier). Mais ils semblent s’étonner du fait qu’un Basque, a fortiori militant, ne sacrifie pas aux figures imposées d’une supposée “pratique culturelle basque”. Je ne parle pas forcément de ces éléments de la culture basque qu’il peut paraître de bon ton, quand on est quadra et de la gauche abertzale, de gentiment mépriser : la gaita qui casse les oreilles, l’Agur Jaunak qui n’est bon que pour les militants du PNV, ou encore un pendentif lauburu qui est un truc à touristes. Non, je parle de ce qui est quasi unanimement considéré comme au-delà des goûts personnels, devant quoi il n’est possible que de se pâmer : un bertsu de Maialen Lujanbio, un livre de Joseba Sarrionandia, une chanson de Laboa, un dessin d’Asisko…

Culture obligée, attention danger

Cela me gêne sur au moins trois plans.

Le premier est la désagréable impression que l’on peut vite tomber dans un essentialisme étroit, qui fait que chaque identité aurait ses pratiques culturelles (entre autres choses) imposées, et inversement. Non seulement cela me gêne par principe, mais je trouve cela dangereux. En l’occurrence, je ne suis pas moins basque qu’un autre si j’avoue ne pas aimer particulièrement le bertsularisme, même si j’en admire la virtuosité ; ni plus basque qu’un autre si je revendique aimer les dessins d’Asisko (bon ok, c’est un copain…).

Le deuxième plan est celui des libertés individuelles, et au-delà du terme il est vrai pompeux, le simple fait qu’il n’appartient qu’à chacun de nous de déterminer ses goûts culturels, sans que cela ne regarde personne d’autre.

Le troisième plan est davantage lié à la situation de minorisation dont pâtit notre culture. Question plus complexe. À cet égard, il me semble parfaitement normal que les plus conscientisés d’entre nous fassent un effort particulier pour soutenir la création bascophone dans les divers domaines de la culture ; cela ne représente d’ailleurs pas forcément un énorme effort, notre création n’ayant rien à envier en qualité à celle des autres. Mais si nous-mêmes ne le faisons pas, qui d’autre le fera, comment vivront ces créateurs et comment se normalisera cette culture ? Tout est néanmoins question de subtilité.

Qui fait le plus d’effort ?

Prenons l’exemple de la littérature. Combien de fois n’entend-on pas les leçons de gens qui ont suivi toute leur scolarité en ikastola, donc grâce au choix de leurs parents, et pour qui la lecture ou l’écriture en basque sont naturelles sans qu’ils aient eu à consentir d’effort particulier pour cela… Inversement, lorsqu’on a dû se farcir des années de gau eskola et d’ikastaldi, y laissant temps, argent et énergie pour récupérer sa propre langue, cela demande un tout autre effort que l’on peut réellement qualifier de militant. Donc, avant même de savoir quel livre – en basque ou pas – ouvrir, qui a fait le plus d’effort pour être capable de le lire? Mais surtout, la vie ne peut pas être un constant effort militant : combien d’euskaldun berri vivent déjà le plus possible en euskara dans leur famille, le transmettent à leurs enfants, s’investissent dans leur ikastola ou ailleurs, travaillent parfois au quotidien en euskara… C’est assurément un accomplissement pour eux, mais ça n’en devient pas pour autant naturel pour tous au plan linguistique ; j’en connais pour qui c’est un effort réel, qui réclame des “respirations” dans la langue qui leur est la plus naturelle et qui leur procure peut-être aussi beaucoup de plaisir, ce qui est mon cas en français. Or, à entendre certains, tous leurs moments de loisir tels que la lecture, la musique, ou quoi que ce soit d’autre, devraient eux aussi être bascophones, même si la totalité de cette offre ne les satisfait pas forcément ? Je ne suis pas sûr qu’une vie de bénédictin attire beaucoup de monde. Une culture minorisée devra toujours être vécue différemment qu’une culture “majoritaire”, c’est évident, car nous sommes dans le registre de la défense. Mais en faire une “culture obligée” ne me semble vraiment pas être un service à lui rendre.

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3 thoughts on “Halte à la “culture obligée”

  1. Tout juste peïo ,tes réflexions ne peuvent que me parler et me plaire .L’essentialisme voilà l’affaire .
    Il en va de même pour le gars “ouvert” et non abertzale que je suis et “majoritaire” que je suis .
    J’ai les même “problèmes” que vous les copains et copines du à ma différence qu’elles soient basques ou “bayonaise”. Je peux écouter Britten plutôt que Laboa (bien que j’aime aussi ),je sais écouter du violoncelle et de la Gaïta at suis spectateur des cinéma basque et même en sous-titré et je préfère n’en déplaise à beaucoup la rame à l’aviron plutôt que le rugby ! En plus les garçons y sont plus à mon goût.

    Ton message est nécessaire bien qu’évident à mon goût Peïo , une société (un citoyen) adulte doit ,devrait en être là je crois/

  2. “Je ne suis pas sûr qu’une vie de bénédictin attire beaucoup de monde” et soit salutaire pour l’ouverture d’esprit, et son corollaire, la tolérance.
    Chronique particulièrement intéressante, vive l’été!!
    La militance a je trouve toujours le risque de l’entre soi et de penser toujours sa chapelle comme la meilleure, voire l’unique à suivre. Par contre, quelle richesse quand on rencontre des personnes qui allient naturellement militance et vraie ouverture d’esprit…

  3. Sakonki inarrosi nau iritzi honek. Ez baitzait batere gauza arrunta. Ez gauza hain argia ere ez.
    Lerroen artean irakurtzera bortxatu nau eta hor ikuso dudanak beldurra, lotsa eta lanjerra agertu dizkit.

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