L’Édito du mensuel Enbata
Nous ne déboulonnerons pas les statues de ceux qui ont pris part à la renaissance nationale basque même si, un temps, ils servirent des causes contraires. Nous ne participerons pas, à l’instar de la classe médiatico-intellectuelle française, au débat biaisé de l’histoire mémorielle.
L’un des sept créateurs du premier mouvement abertzale d’Iparralde, décédé en 1980, aurait aujourd’hui 100 ans. Michel Labèguerie, né le 4 mars 1921 à Ustaritz, médecin à Cambo, marque d’une encre indélébile la rupture historique de la société basque avec la culture dominante française. A sa manière poétique et musicale, elle-même en rupture avec la chanson traditionnelle qui sur une infinité de couplets raconte un temps de vie, il introduit d’une manière insolite des refrains pouvant être repris collectivement. Nous savions qu’en devenant abertzale nous changions de patrie. De cela Michel Labèguerie en a fait une pastorale dont le souffle sera spontanément repris par le peuple basque du Nord et du Sud : “Euskadi bakarra da gure aberria”! Il donne à la Charte d’Itxassou, qu’il a avec nous coécrite, une dimension lyrique, elle qui consacre les droits de la nation basque à sa libre disposition, sa réunification et son euskaldunisation.
Par son talent personnel il transcende notre équipe, nos réunions de pionniers en psalmodiant la souveraineté basque accompagné de sa guitare. Il entraîne dans la coécriture de certains de ses textes l’un d’entre nous, l’académicien et auteur de théâtre, Pierre Larzabal. Réunions exaltantes et tournantes à nos domiciles, souvent chez lui dans la belle maison qu’il a construite à Cambo. C’est Ximun Haran qui venait de récolter une moisson inestimable de chansons populaires dans les auberges après ses parties de pelote, et aujourd’hui déposées au Musée basque, c’est Ximun qui avec son énorme enregistreur Philips recueille sur bandes magnétiques les chansons de Michel dont les refrains sont repris en choeur part l’équipe rédactionnelle d’Enbata. C’est la diffusion, au succès foudroyant, qui sera assurée par les éditions Goiztiri que nous avons spécialement créées pour cela et pour quelques autres pépites telles que celles de Mikel Laboa. Éditions Goiztiri installées dans le propre local d’Enbata au 14 rue des Cordeliers à Bayonne que fréquenteront des milliers de nos frères du Sud venus de la nuit franquiste y acquérir les fameux disques pour eux-mêmes et leurs amis. De véritables filières, terrestres ou maritimes, amplifieront l’élan patriotique sur nos sept provinces. En Iparralde, les disquaires d’Hendaye à Bayonne n’auront jamais autant vécu la fréquentation de nos voisins d’outre-Bidasoa. La pochette des disques reflète le contenu. Créée par une artiste de Donostia sur un fond noir ou gris, sa guitare sert de mât à l’ikurriña déployée en drapé. Dès lors, plus un kantaldi, plus une manifestation, plus un banquet qui ne reprenne les chansons de Labèguerie. En Hegoalde, dès la dictature disparue, Bilbao honorera l’auteur qui entretint l’espoir durant le cauchemar, en donnant son nom à l’une des rues de son vieux quartier.
Quels que soient nos différends survenus par la suite, rien ne pourra altérer l’apport original de Michel Labèguerie à la lutte pour notre liberté nationale. Rien ne pourra effacer de notre mémoire collective le charme de cet homme cultivé aussi brillant orateur en français qu’en euskara. La mélopée du centenaire enchante toujours.
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Mercredi 3 mars, le gouvernement de Boris Johnson décide, de manière unilatérale, de reporter de six mois la mise en application du “protocole nord-irlandaisé” qui consiste à déplacer la frontière terrestre séparant les deux Irlandes, dans le bras de mer qui sépare la Grande-Bretagne de l’Irlande. Ce protocole récemment signé avec le Brexit, devait s’appliquer au 1er janvier 2021 afin de protéger l’accord de paix du Vendredi saint. L’Union européenne a immédiatement adressé une mise en demeure pour violation du Brexit avec menace d’en référer au tribunal arbitral prévu à cet effet. Certes, la pandémie occulte cet accroc international d’autant que l’avance prise par le Royaume-Uni dans la vaccination du virus masque l’évolution désastreuse de l’économie anglaise coupée de son prolongement avec le continent. Les exportations britanniques vers l’UE ont baissé de 41% et les exportations européennes vers le Royaume-Uni de 29%. Amsterdam est devenue la première place boursière détrônant la City. Si sur tous les sujets le dialogue entre Londres et Bruxelles se détériore, la marche vers la réunification de l’Irlande, elle, s’affirme.