
L’Edito du mensuel Enbata
Le dilemme du prisonnier illustre l’absurdité des stratégies non coopératives. Deux cambrioleurs sont arrêtés et on leur propose un marché. Si l’un des deux avoue et que l’autre nie sa participation, ce dernier est libéré, et le premier écope de dix ans de prison. Si les deux avouent, ils sont condamnés à un an chacun, et à cinq ans s’ils nient tous les deux. Chaque prisonnier se dira : si l’autre nie, il faut que je fasse de même sinon je prendrai dix ans au lieu de cinq ; et s’il avoue, je vais nier pour être libéré au lieu de faire un an de prison. Les deux sont donc condamnés à cinq ans, alors que leur peine n’aurait été que d’un an s’ils avaient coopéré.
Alors que nous nous heurtons de plein fouet à la finitude de notre planète et aux conséquences des crises climatique et de biodiversité, les logiques prédatrices se développent au détriment des stratégies de coopération. Comme les deux prisonniers évoqués plus haut, les États adoptent une stratégie, optimale de leur point de vue, qui consiste en l’occurrence à ne pas vouloir souffrir d’un déficit stratégique en étant le premier à s’affranchir des fossiles.
En plus de cette énième instance du dilemme du prisonnier, un autre dilemme s’impose à nous. La crise énergétique fait en effet vaciller la “paix de carbone” qui s’est construite après la seconde guerre mondiale en dopant les forces industrielles et commerciales grâce au développement massif des infrastructures pétrolières et gazières. Comme l’explique Pierre Charbonnier dans “Vers l’écologie de guerre”, la paix et la sécurité se sont construites sur l’abondance. Or, les énergies fossiles qui rendent possible cette abondance sont précisément celles qui font peser une menace existentielle inédite sur l’humanité.
On choisit souvent de combattre l’un de ces deux maux en négligeant l’autre. Ainsi, à droite, on propose de sabrer dans les dépenses sociales et de transition écologique pour financer les milliards nécessaires au plan de réarmement de la France. Inversement, le Green New Deal européen ou les ZFE ne prennent pas toujours la mesure des implications sociales d’une modification des soubassements de la “paix de carbone”.
Les objectifs de sécurité et de transition écologique ne sont pourtant pas forcément antagonistes. La dépendance énergétique de l’Union européenne aux énergies fossiles en provenance de Russie ou des États-Unis fragilise son aptitude à leur résister. En éliminant cette dépendance, la transition écologique substitue à la “paix de carbone” un nouveau paradigme de paix soutenable et permet aussi de limiter l’effort d’armement : selon une étude de l’Institut Kiel, chaque euro en moins dépensé pour les fossiles prive la Russie de financements pour son armée, ce qui permet de baisser de 37 centimes les budgets de défense de l’Europe.
S’il est difficile d’avancer dans ce processus de substitution de manière socialement acceptable, c’est en partie parce que les ramifications de la “paix de carbone” sont si complexes qu’elles en deviennent illisibles depuis Bruxelles ou Paris. Les municipalités, en revanche, en ont une connaissance fine et pratique. C’est donc à cette échelle que l’on peut le mieux comprendre quelles infrastructures peuvent être remplacées, et comment accompagner efficacement les personnes qui seront impactées par ces changements.
“Nous pouvons agir efficacement à l’échelle communale pour nous affranchir de nos dépendances subies, qu’elles soient énergétiques, alimentaires, culturelles, linguistiques, etc.”
Les rencontres municipalistes organisées par EHBai le 22 mars ont réuni plus d’une centaine de militant.e.s de tout le Pays Basque nord afin de réfléchir aux meilleurs moyens d’activer l’échelle communale pour nous affranchir de nos dépendances subies, qu’elles soient énergétiques, alimentaires, culturelles, linguistiques, etc. Des élu.e.s de tout Euskal Herri, engagé.e.s depuis quelques années déjà dans des démarches innovantes, ont partagé leur expérience. A moins d’un an des élections municipales, ce temps de rencontre a confirmé que la résistance à la déferlante réactionnaire actuelle pouvait s’organiser efficacement à l’échelle communale.