Nous étions habitués à un ZazpiakBat sans frontière. Le Covid 19 a fait ressurgir ce que l’Union Européenne avait “effacé”. Retour sur ce double confinement de trois mois.
La frontière franco-espagnole aura donc été fermée pendant trois mois ! Mars — juin 2020. Covid-19 oblige, synonyme de double confinement pour les frontaliers pétris d’habitudes de part et d’autre de la Bidassoa. On la croyait « effacée » ? Erreur, elle peut resurgir d’un trait de plume. Du jamais-vu (exceptées certaines fermetures sporadiques, essentiellement à caractère politique, comme lors du G7 2019 à Biarritz) depuis l’instauration de la libre circulation des personnes, des biens et des services, entrée en vigueur le 1er janvier 1993 sur les 656,3 kilomètres de frontière séparant La Junquera et Hendaye. Marché européen unique instauré, personnes et marchandises eurent le droit d’aller et venir « librement », alors qu’Irun et Hendaye impliquées intra-muros par de lourds échanges frontaliers séculaires, plongeaient dans une crise économique profonde, liée au départ des transitaires et douaniers. Hendaye eut bien du mal à s’en relever, alors que son immense autoport des Joncaux était devenu un désert…
On la croyait “effacée” ?
Erreur, elle peut resurgir d’un trait de plume…
La frontière dotée d’une imagerie forte tissée au fil de siècles de voisinages et de conflits,
s’impose toujours comme le signe de la souveraineté inaliénable des Etats.
L’épouvantail de la grippe espagnole
En notre début d’année 2020, tout le monde avait oublié qu’au sortir de la deuxième guerre mondiale, la frontière avait été fermée pendant deux ans, pour raisons diplomatiques, du 1er mars 1946 au 10 février 1948 minuit. A ce moment-là, la pandémie de la grippe espagnole (1918-1919) vue comme la Grande Faucheuse par excellence, n’était pas encore tout à fait oubliée. Mais 75 ans plus tard, qui aurait imaginé une fermeture de frontière de trois mois, du fait d’un Coronavirus inconnu, arrivé masqué de Chine, que nous aurions toutes les peines à juguler ? Personne, à l’exception de quelques épidémiologistes éclairés. France et Espagne n’auront été épargnées, ni par la crise sanitaire aigue, ni par la catastrophe économique induite. Cela dit, la ligne frontière n’a pas été totalement imperméable. En effet, de nombreux frontaliers auront pu la franchir au quotidien, après filtrage policier, et à certaines conditions précises. Vigoureusement contraint par les autorités françaises et espagnoles, le plus grand nombre s’est néanmoins abstenu de fouler le sol du voisin, alors que le flux des marchandises empruntait toujours l’A63, via Biriatou. Il est vrai que le montant des amendes décrétées côté sud en particulier, appliquées sans modération (parfois en pleine montagne basque !) étaient plutôt dissuasives… Au fil du mois de mai, alors que le rideau frontalier demeurait obstinément fermé, les maires des trois villes de Txingudi, Hendaye, Irun Fontarabie (100 000 habitants, 3500 frontaliers au moins) avaient demandé pour raisons pratiques, la réouverture du pont international de Behobie, aux autorités françaises et espagnoles. Sans succès immédiat pour autant.
Coude à coude symbolique
Réduites au silence, les fantomatiques Behobia, Dantxaria, Arneguy/Valcarlos, pour ne citer que ces petites enclaves de moyennes et grandes surfaces, dévolues aux ventas (débordant d’aliments, d’alcools, de tabac, de carburant) n’ont retrouvé une certaine normalité que le dimanche 21 juin au matin. Rassurante, assoiffée la loi du marché a repris ses droits : les premières files d’attentes se sont produites devant les débits de tabac et d’alcool. Toujours côté Pays Basque sud, les limites des communautés autonomes, avaient été érigées en lignes à ne pas franchir jusqu’au 19 juin. Entre Euskadi et Navarre, entre Euskadi et Cantabrie par exemple. Entre ces deux dernières, les présidents Iñigo Urkullu (nationaliste EAJ-PNV) et Miguel Angel Revilla (régionaliste) le 19 juin à Muskiz (Biscaye), scellaient une proximité géographique post Covid retrouvée, au cours d’une rencontre où, masqués, ils se sont livrés à un coude à coude symbolique. Pas de contact sur le moindre carré de peau. Du jamais vu non plus. Dommage que personne n’ait eu l’idée de marquer un retour à la normale entre Euskadi, Navarre et Pays Basque nord, au mitan de la Bidassoa ou sur l’île des Faisans. Ou bien, à Endarlaza, point frontière entre Guipúzcoa et Navarre, sur la route Irun-Behobia-Pampelune. Voilà qui aurait eu la portée d’un vrai symbole de retrouvailles doué de sens, entre les sept provinces basques !
Souveraineté inaliénable
La frontière dotée d’une imagerie forte tissée au fil de siècles de voisinages et de conflits, s’impose toujours comme le signe de la souveraineté inaliénable des Etats. Lors du réaménagement de la plateforme frontalière de Biriatou (2007-2009) rappelons que les autorités basques du sud avaient suggéré à leurs homologues français, de combiner un péage commun Irun-Biriatou sur l’autoroute AP8, afin de fluidifier la circulation transfrontalière(2). Véto français radical : pas question de “dématérialiser la frontière”. Reste que la première gare autoroutière de Biriatou entrée en service en 1975 (500 camions/jour à l’époque!), était accessible par une pente tellement sévère que celle-ci fut réduite lors de la reconstruction totale du site, une trentaine d’années plus tard. Ce pourquoi, il fallut “déplacer” la frontière matérialisée jusque-là sur la plateforme, de 300 mètres vers l’Espagne, au prix d’un nouvel accord franco-espagnol. Une broutille en somme, au regard des grands traités historiques qui conflits après conflits, figèrent les lignes pour des siècles et des siècles.
(1) Hendaye Irun Fontarabie. Villes de la frontière, ouvrage paru en 1998 évoquant l’histoire des frontières de Txingudi, dirigé par Maurice Culot et Geneviève Mesuret.
(2) L’argument invoqué était l’existence de quatre grandes gares de péage successives sur l’AP8 et l’A63, d’Irun à Labenne dans les Landes.