Comment ne regarderions-nous pas, comme une préfiguration du destin national des Basques, la longue marche du peuple catalan placé à l’autre bout des Pyrénées à cheval sur la France et l’Espagne?
La guerre civile espagnole de 36 avec son cortège d’exilés et, pour eux, l’exécution de leur président Companys livré par Vichy à Franco, la répression de la langue, le retour à l’autonomie sans cesse rabotée, tout semble nous comporter en frères siamois.
Exonérés de la lutte armée, de ses drames et de son impasse politique, les abertzale catalans se singularisent par leur capacité à s’unir et par là à créer une dynamique susceptible de porter ensemble l’aspiration à l’indépendance.
Ils viennent, dimanche 27 septembre, pour la deuxième fois en trois ans, de convoquer leur peuple de sept millions de citoyens pour se prononcer sur l’indépendance.
La puissance de leur appel unitaire a suscité la plus forte mobilisation démocratique, avec 77,46% de votants, soit 10,5% de plus qu’en 2012. Cette première victoire se double de celle des élus à leur parlement avec une majorité de 72 sièges sur 135. Ce nouveau pouvoir autonome se donne 18 mois pour négocier avec Madrid une indépendance que le pouvoir central est décidé à lui refuser, bien assis sur une constitution verrouillée et exigeant l’approbation de l’ensemble des Espagnols. Cette élection législative se voulait être aussi un référendum. Or, l’addition des scores abertzale (47,8%) ne parvient pas, de peu, à la majorité des votes exprimés.
Tous les anticatalans surfent déjà sur cette faiblesse qui rend l’alternance à Madrid, aux élections générales de décembre, son absolu complément. Toutefois, force est de constater que le parti au pouvoir à Madrid (le PP) a déjà été fortement sanctionné à Barcelone le 27 septembre, passant de 19 à 11 sièges.
Par ailleurs, l’organisation politique portant l’espérance de l’alternance, Podemos, est, elle, en perte de vitesse et presque marginalisée, avec seulement 9% et 11 élus contre 13 sortants. Au point de s’interroger sur le rôle ambiguë de ce jeune mouvement citoyen qui, tout en affirmant le droit à l’autodétermination du peuple catalan, s’est refusé à soutenir concrètement l’indépendance.
Lorsqu’on constate la faible marge manquant à une majorité en voix, on peut rendre Podemos responsable de ce coup dommageable porté à la Catalogne. Avec eux, l’espoir a viré à l’espagnolisme inassumé et porte peut-être en germe le fiasco de l’alternance réelle à Madrid.
Le scrutin catalan s’adresse aussi à l’Europe.
Déjà confrontée en septembre l’an dernier au référendum écossais, l’Union européenne se trouve imbriquée dans une conjoncture que les traités fondateurs n’ont pas prévue: comment répondre à l’émergence de nouveaux Etats nés de la scission des Etats membres. Peut-on recevoir l’argument du repliement identitaire opposé aux indépendantistes, tout en leur refusant de continuer à participer à l’Europe comme ils le prétendent?
Cas de figure encore plus singulier, le désir de l’Ecosse d’être européenne alors qu’un référendum l’an prochain sonnera peut-être le départ de la Grande-Bretagne.
Après l’Ecosse et la Catalogne, la Flandre est candidate potentielle à cet exercice.
Et que dire de l’adhésion à l’Union de nouveaux Etats séparés à l’amiable, tels la Tchéquie et la Slovaquie, ou pire encore, nés de la violence tels ceux de l’ex-Yougoslavie?
Les dirigeants de l’Europe ont montré leur savoir-faire en ce domaine, ne se privant pas de prêter la main à la création, ex-nihilo, du Kosovo, permettant ainsi à la Russie de jouer avec la Crimée. En écrivant une doctrine adaptée à ses nations sans Etat, l’Union leur offrirait de dédramatiser leurs divorces institutionnels inévitables dans l’enfermement en tête-à-tête avec leur pouvoir central.
Affirmer sa souveraineté par le dépassement de souveraineté est sûrement une clef de l’émergence de nos peuples sous tutelle.
La Catalogne joue aussi pour notre propre liberté nationale.