C’est avec le thème “Féminismes en tous genres” que l’association PAF ! Pour une Alternative Féministe née il y a 5 ans d’un besoin commun de renouveler l’expression féministe locale, en prenant la mixité comme point d’appui organise cette année son Université Populaire (UPOP). Ce temps de travail et de réflexions animé par des intervenant-e-s (professeurs, sociologues, militant-e-s, psychologues, …) via des conférences, débats, ateliers, … est populaire car gratuit et accessible à tou-te-s. Ouverte à différents sujets. Claude Labat, enseignant à la retraite et animateur de Lauburu va animer le samedi 6 décembre à 10h30 à l’IUT de Bayonne la conférence “Les femmes basques vues à travers le prisme de la mythologie”. Il répond aux questions d’Enbata.info sur sa participation à l’UPOP du PAF.
Que nous apprend la mythologie sur les femmes basques ?
D’abord je rappelle que les mythes sont des réponses que l’humanité se donne pour expliquer l’univers, la nature, la société et ses problèmes. Sur les femmes la mythologie basque ne nous apprend rien que nous ne sachions déjà. Que les femmes sont la moitié de l’humanité et que, comme les hommes elles peuvent être l’objet d’admiration, d’affection et d’amour, mais aussi d’incompréhension, d’idéalisation, de haine parfois, d’injustice souvent… Mais comme nos mythes et nos légendes ont été sauvés de l’oubli par différents érudits nous disposons d’éléments précis sur ce que les Basques (hommes et femmes) pensent des femmes, de la place qu’on leur laisse prendre dans la société et de la place qu’on leur impose. Comme tous les peuples de la terre, les basques ont échafaudé des mythes et des fantasmes qui parfois perdurent étrangement et qui rendent compliquées les relations. Mais, je le répète, il faut surtout admettre que tout ça ne concerne pas uniquement les femmes basques mais toutes les femmes. Mon propos n’est pas de parler d’identité culturelle mais simplement d’humanité. Le titre complet de mon exposé à l’Université Populaire du PAF «Les femmes, épouses ou putains, saintes ou sorcières, petit catalogue des mythes et des fantasmes qui régnaient (ou qui règnent ?) au sujet de la femme basque» apporte aussi un autre éclairage sur la façon dont sera abordée le sujet.
Qu’est-ce qui vous a amené à traiter ce sujet ? Et en quoi vous-a-t-il donné un autre regard sur la situation actuelle ?
En écrivant « Libre Parcours dans la Mythologie basque » je me suis vite rendu compte que nous avons chez nous des mythes tenaces qui handicapent notre rapport au monde et à la société. Nous sommes obnubilés par l’ancienneté de notre langue et de notre culture et nous pensons que l’archaïsme est une garantie d’authenticité. Tout nous est bon pour renforcer ce mythe et nous sommes parfois en plein obscurantisme. Par exemple nous prétendons que nous avons une déesse féminine comme entité principale de notre mythologie alors que le Serpent Herensuge est aussi –sinon plus- aussi important que La Dame (Mari). De même, nous avons adopté le mythe du matriarcat et celui de la grande liberté des femmes que nous énonçons aujourd’hui encore, comme des dogmes sans que nous essayons de vérifier leur validité. Pourtant une analyse fine de certaines légendes montre que le matriarcat et le statut privilégié des femmes reposent sur des interprétations douteuses. Anuntxi Arana a démontré que la femme basque, comme chez beaucoup de peuples, est destinée à enfanter et à travailler. Ce mythe, ou ce fantasme, prétend (encore dernièrement), que les femmes basques avaient plus de liberté que dans d’autres régions et qu’elles étaient à égalité avec les hommes. Cette vision du statut des femmes montre que nous regardons le passé avec les lunettes teintées que nous portons aujourd’hui. Car de qui et de quoi parle-t-on ? Nous mélangeons beaucoup de choses. Nous nous accrochons au droit d’aînesse absolu pour dire que les filles étaient mieux considérées qu’ailleurs. Autrefois, ce n’étaient pas les individus qui étaient égaux mais les Etxe (les maisons des propriétaires terriens). Qui peut croire aujourd’hui que toutes les femmes étaient à égalité avec les hommes et entre elles également ? Il suffit de voir, même à une époque récente le sort réservé aux cadettes, aux filles des métayers, à celles des bordiers, ou celles des artisans, quant aux bohémiennes…
Pour autant, je cite les travaux de A.-M. Lagarde qui a travaillé sur la “symétrie des sexes” mais j’évoque aussi les points de vue contradictoire. Je veux montrer ainsi qu’une société se donne les outils pour avancer. Ce que nous apprend la mythologie basque c’est aussi le poids des divers pouvoirs en place sur les femmes. Je parle aussi bien des maîtres de maison que des ecclésiastiques… ou encore des compagnons et des époux qui ont imaginé quantité de freins à la liberté des filles et des femmes. Ils n’avaient qu’un but : confiner les femmes dans leur rôle domestique (assurer un héritier à l’etxe et organiser la vie matérielle de la famille et le culte des ancêtres. Les travaux récents montrent par exemple comment ils s’y prenaient pour contourner le droit d’aînesse absolu. Pourquoi ont-il agit de la sorte. Sans doute influencé par la doctrine chrétienne. En effet, comme la femme basque tient les deux bouts de la vie (la naissance et la mort) elle est implicitement considérée comme “impure” : après une naissance on lui impose un rite de purification (les relevailles) et elles seules interviennent au moment d’un décès. Je pourrai aussi rappeler les considérations de Pierre de Lancre ou de Michelet qui considèrent que la femme basque naît sorcière (“nature les fait sorcière”) rejoignant ainsi la sentence divine de la Bible qui considère que la femme est l’origine du mal sur terre. Le plus terrible c’est que des femmes ont accepté cet écrasement. En 1950, une femme se félicite que le christianisme ait “fortement imprégné nos mœurs et les a pénétrés […] il a donné aux Basques le respect de la femme et à sa compagne, le goût de cet effacement apparent afin de rendre plus efficace sa marque profonde dans le foyer”. Quant à la fille qui quitte la maison pour aller en ville trouver du travail elle est vouée à devenir une fille de mauvaise vie et, crime impardonnable, elle contribue à la disparition de langue maternelle.
Que permet une présentation de ce thème dans le format UPOP du PAF ?
Ma présentation est une digestion pédagogique de ce que j’ai compris des femmes, du féminisme et, tout simplement ne notre société ici hier et aujourd’hui. Je ne suis pas un gourou, mais un ancien prof qui a travaillé avec des adolescent(e)s et comme je crois à l’éducation populaire, je propose des animations et des présentations pour vulgariser notre culture en la faisant respirer pour la mettre au service de nos préoccupations d’aujourd’hui. De plus, la culture basque a la capacité de nous donner des raisons de vivre sans nous couper des autres cultures qui nous nourrissent largement aussi. A nous d’être attentifs aux signes qui se manifestent du fin fond de la Soule aux plages de l’Océan : les jeunes d’aujourd’hui sont plus autonomes que nous ne l’étions, nous ne devons pas créer de nouveaux enfermements, mais leur offrir une vraie place contrairement à ce que fait la société consumériste que nous avons mis en place.
Par ailleurs, pour montrer que le présent fait souvent écho au passé j’ai choisi de mettre en contrepoint à ma présentation des reproductions de taggs réalisés sur les murs des grandes villes de France par une femme qui signe Misstic. Ce sont des petits chefs d’œuvres d’humour et de poésie qui obligent femmes et hommes à revoir leurs préjugés et leurs convictions… les uns sur les autres ou les uns à côté des autres !
Enfin, je suis d’ailleurs très heureux de retrouver quelques anciennes élèves parmi les organisatrices de l’Upop du PAF. Je leur dédie le diaporama que je vais présenter… En quelque sorte, elles sont mes muses (et pas tout à fait à leur insu).
Un dernier commentaire pour aller plus loin sur ce thème ?
La seule chose que j’ajoute, c’est mon refrain habituel sur la formation. Il faut d’urgence que les jeunes basques se lancent dans la recherche et l’étude en histoire, en anthropologie, en sociologie, en économie…. pour continuer de construire ce territoire sur des bases saines, quitter le folklore dans lequel nous nous complaisons. La connaissance n’est pas le privilège d’une catégorie. Le savoir appartient à tout le monde, et c’est comme ça qu’on le construit…
oh la la que suis d’accord, mais d’accord !!!!
ceci dit, bien entendu … il y a trop de tracassières,
de nanas dépensières, qui font mal les créneaux, trop d’emmerdeuses, etc.
Cher Claude, comme je te le disais hier soir au téléphone, j’espère que tu ne feras pas une simplification abusive de mes travaux, car pour l’heure, en Iparralde, à part Txomin Peillen qui m’accompagna de toute son érudition et sa générosité dans l'”accouchement” de ma thèse, puis Mikel Duvert qui m’offrit tout aussi généreusement l’hospitalité dans le n°spé du Bulletin du Musée Basque 2006, plus 4 assoss qui m’avaient invitée juste après la soutenance (il y a bientôt 15 ans), toutes les portes se sont fermées pour moi en Iparralde, comme dans un petit effet de meute. Je n’ai jamais pu comme toi y faire valoir mes idées à l’occasion d’interviews ou autres tables rondes. Mais rendez-vous à ce sujet dans Hau3 (janvier 2015), revue souletine où je signe un article sur la structure de la société agropastorale. Bien amicalement et bonne conférence. Anne-Marie Lagarde