ENBATAk 60 urte
Notre mouvement soulève des questions d’ordre écologique dès la fin des années 60, avant même que l’écologie s’organise en mouvement politique. Ces combats seront revisités en 1975 par les premiers “écolos” d’Iparralde qui ne s’appellent pas encore “Verts”. Beaucoup de militants abertzale, proches d’Enbata mais aussi d’autres mouvements, feront le lien entre la défense de l’environnement, le modèle de développement et de société que cela suppose et la construction nationale basque. Voici un survol non-exhaustif de cet engagement durant les 40 premières années de notre journal. Suite de la partie (1/3).
Naissance de l’écologie politique
L’écologie politique naît dans la région au milieu des années 70. Elle a pour pionniers trois personnalités, Jacques Ellul, professeur à l’université de Bordeaux, le philosophe Bernard Charbonneau qui habite Garris en Basse-Navarre et Michel Rodes, professeur à Orthez. La défense locale de l’environnement est le fait de deux associations: le Comité de défense de la Côte aquitaine qui se bat contre les projets d‘aménagement à vocation touristique de la MIACA (présidé par J. Ellul), et Jeunes et Nature, association française ayant une délégation régionale en Pays Basque.
Un des actes de naissance de l’écologie politique en France est la candidature de René Dumont à l’élection présidentielle de mai 1974, elle fait sensation. Mais ses résultats seront très modestes, avec 1,32% des suffrages. Difficile de connaître le point de vue d’Enbata sur cette première, puisque 1974 correspond à l’année d’interdiction du mouvement par la République. Mais dès sa reparution en janvier 1975, Enbata interviewe un lycéen camboard encore peu connu et brillant: Pierre Lebaillif qui vient de fonder une section de Jeunes et Nature dans notre pays. Le jeune homme est déjà disciple de Bernard Charbonneau et de Jacques Ellul dont il suivra les cours à l’université de Bordeaux.
Pour une de ses premières manifestations publiques, Jeunes et Nature se mobilise contre la création d’un lac à vocation touristique et l’expulsion d’un meunier, à Iholdi en 1974. L’affaire fait grand bruit avec l’organisation de toberak qui tournent un peu au vinaigre, et où les abertzale ou d’ex-membres du mouvement Enbata alors interdit, jouent un rôle décisif. Après avoir organisé un rassemblement dans la forêt des Arbailles et la sauvegarde de son milieu naturel, Pierre Lebaillif et son association enfourchent un autre cheval de bataille: la construction à Biarritz du Victoria surf par le sénateur-maire Guy Petit, évoqué plus haut.
Victoria surf
Le numéro 337 d’Enbata du 30 janvier 1975 marque la reparution de l’hebdomadaire. Il contient un dossier intitulé: «Environnement, pour défendre notre pays» qui présente deux projets contre lesquels il s’insurge: l’aménagement de l’Untxin à Socoa avec ses 1600 logements et la construction du Victoria surf. Le tout accompagné d’une interview de Pierre Lebaillif. Son association a introduit un recours contre la construction de cet hôtel qui va défigurer le front de mer emblématique de Biarritz et viole les règles d’urbanisme. Ce recours est présenté par Me Maite Maniort, proche d’Enbata et remarquable militante durant des décennies (4). Celle-ci fait partie de ceux qui combattent un autre projet biarrot encore plus pharaonique, la bétonisation de la côte des Basques. L’association de défense emmenée par Georges Hennebutte, fait casser le permis de construire d’une forteresse de huit étages prévue sur ce site, par le tribunal administratif de Pau en février 1975. Le numéro 339 d’Enbata s’en réjouit.
La saisine des tribunaux par des opposants est souvent le grain de sable qui fait capoter nombre de projets immobiliers. Les promoteurs la redoutent comme la peste, les banquiers aussi. Ils suspendent le financement prévu tant que les procédures ne sont pas purgées. Le calendrier des constructions et de la commercialisation s’en trouve bouleversé.
«La contestation écologique est un phénomène nouveau dans nos sociétés industrielles et rencontre une audience grandissante. Le Pays Basque Nord n’y échappe pas et c’est très bien ainsi, car cela doit amener les habitants de ce pays à ne plus laisser aux autres le soin de déterminer le type de société dans laquelle ils vivent», Enbata présente ainsi son dossier du numéro de janvier 1975. A noter toutefois qu’un point de divergence demeure entre notre journal et cette première génération d’écologistes. Pierre Lebaillif relève que les abertzale dans leurs choix «n’apportent qu’une simple reproduction en modèle réduit d’un Etat technicien». Appeler à l’industrialisation pour sauver un Pays Basque en voie de disparition, est alors un de nos leitmotive, alors que ses industries traditionnelles ferment une à une depuis quinze ans. Cela fait tiquer Bernard Charbonneau et les premiers Verts.
Question écologique et question nationale
Trois semaines pus tard, dans le n°340, Enbata reprend le thème dans un article intitulé «Ecologie et nationalisme basque». Les déclarations parfois à l’emporte-pièce de Pierre Labaillif font l’objet d’un débat au sein de la rédaction, alors que «l’action écologique en est à ses balbutiements». D’où la réponse suivante: «(…) Peut-on reprocher au mouvement basque d’avoir ignoré la défense de son environnement? Il est en train de le faire. Et ce sera le grand mérite d’un groupe comme Jeunes et Nature de l’y obliger. Quant au problème de la société technicienne [concept largement développé par Jacques Ellul], véritable détentrice du pouvoir dans les pays industrialisés, il s’agit là d’un débat important que le mouvement basque ne doit pas hésiter à aborder. Car le pire serait effectivement de faire un Etat espagnol ou français en modèle réduit».
Ce numéro du 27 février 1975 reprend le débat autour du «modèle Charbonneau». Enbata est convaincu par la plupart des préconisations du philosophe; mais la dispute tourne plutôt autour de la question nationale et de la question écologique, de la prééminence de l’une sur l’autre. Tout cela ressemble comme deux gouttes d’eau aux querelles qui diviseront l’abertzalisme durant des années, portant sur les rapports entre question nationale et question sociale.
L’éditorial d’Enbata du 6 avril 1978 montrera le chemin parcouru. Après le rappel de la marée noire dans une «Bretagne souillée par le vomi du modernisme et du profit», l’éditorial rapporte un grave accident industriel à Tolosa autour d’un wagon d’acide cyanhydrique, poison violent. Le texte poursuit: «L’ingéniosité des hommes, sans limite dans la recherche du profit et des techniques, apparaît dérisoire dans la parade aux diverses marées noires de notre nouvel environnement. Et curieusement, les idéologies antagonistes s’accordent ici pour masquer la réalité, pour détourner la mobilisation des esprits et des énergies aspirant à une meilleure qualité de vie. Chacun à sa manière, tient un discours productiviste. Ici au nom des bienfaits de la civilisation de consommation, là au nom de la société sans classe. Ainsi, “l’accident’’ atomique devient, hélas, le lot de chaque camp. Militer pour libérer la Bretagne ou Euskadi, n’est-ce pas aussi refuser ces modèles?» Une telle prise de position pourra sembler bien banale en 2020. Il y a 42 ans, la dénonciation du modèle productiviste peinait à franchir les cercles d’une minorité éclairée…
Dans son numéro du 20 février 1975, Enbata aborde un des combats majeurs des écologistes, celui du nucléaire et pour ce qui nous concerne, les projets de construction de centrales à Lemoiz, Tudela, Ispaster, Deba et même… Peyrehorade. Enbata suivra ce dossier durant des années en se rangeant du côté des opposants les plus résolus.
Jean Pitrau en Soule, l’autoroute à Guéthary
Début 1975, le même numéro publie un article en faveur de la réouverture de l’école dite «sauvage» d’Arragné en Soule, due à l’initiative de Jean Pitrau luttant contre la désertification de la montagne. L’action et les analyses du leader paysan et de son association l’ASAM, étaient bien connues des militants du mouvement Enbata. Ils prônaient de s’inspirer de ses propositions, comme de ses méthodes. Dés 1965, Ekin le bulletin interne du mouvement Enbata, fait état de bonnes relations avec Jean Pitrau qui souhaite travailler avec notre mouvement. Le Souletin visionnaire qui posa les premiers jalons aboutissant à la création d’ELB, était également un compagnon de route des écologistes opposés à la MIACA (projet d’aménagement de la grotte La salle de la Verna en Luna park). Enbata publie dans son numéro 361 un article très élogieux lors de la disparition prématurée de Jean Pitrau.
Le maintien d’une agriculture paysanne et la défense d’exploitations menacées par la spéculation et l’appétit de certains, font partie des thèmes récurrents abordés dans les pages de ce journal. Une des premières affaires qui suscita un élan de solidarité dans le monde paysan, fut celle de Phaulenia à Ostankoa (avril 1976) puis celle de Sagaspia à Aiziritze-Arberatze (août 1978).
Aux côtés de Jeunes et Nature et des associations de défense, notre hebdomadaire apportera en 1975 un soutien sans faille à la maire de Guéthary, Mme Solange Larchus-Beaudon qui se bat contre l’Acoba, la société privée qui construit l’autoroute A 63 coupant sa cité en deux et refuse de la contourner. Avec la Nationale 10 et la ligne de chemin de fer, les 174 ha de Guéthary collés à la mer seront donc sectionnés en quatre bandes. La maire obtiendra très partiellement gain de cause, par la réalisation d’une tranchée couverte végétalisée qui limite les dégâts. Ce combat suscite une importante manifestation sur place, le 7 septembre 1975. Celui qui en réalise l’affiche et l’autocollant n’est autre que le dessinateur d’Enbata, Etxebeltz. Les deux photographes du journal, Filipe Etcheverry et Zigor, tirent pour cette journée une série de photos montrant l’importance de la balafre qui saccage Guéthary et son environnement. Leurs clichés sont exposés sur le site. Maite Idirin et Anje Duhalde se produisent lors de cette manif qui donne lieu à un incident cocasse: le comte d’Elbée, hobereau local qui a vendu fort cher ses terrains à l’Acoba, gifle publiquement Pierre Lebaillif. Il s’ensuit une échauffourée.
La construction de l’autoroute A 63 et ses effets destructeurs sur d’autres sites, suscite des conflits, en particulier à Biriatou où «l’arbitraire» et le «colonialisme» de l’administration préfectorale sont fustigés par Enbata (n°348).
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(4) Me Maite Maniort avec Me Maurice Abeberry sont les deux avocats d’Iparralde en charge à cette époque de beaucoup de dossiers «basques», y compris ceux de la défense des réfugiés.