L’Irlande du Nord n’en finit pas de solder les années de guerre civile. Le fragile équilibre politique atteint grâce à la mise en place d’un pouvoir partagé entre unionistes et républicains à la suite des accords de Saint-Andrews du 13 octobre 2006 semble vaciller à nouveau.
Deux meurtres hérités d’un autre âge plongent l’Irlande du Nord dans une crise d’une ampleur sans précédent depuis la restauration en 2007 de l’assemblée autonome de Stormont. En août 1994, l’IRA déclarait un cessez-le-feu qu’elle devait rompre de manière spectaculaire par l’attentat des Docklands en février 1996. Durant l’année 1995, l’IRA occupa ses unités en les chargeant d’enquêter sur les trafiquants de drogue ; c’est à cette époque que le groupe armé Action Directe Contre la Drogue, souvent considéré comme un prête-nom pour l’IRA, vit le jour.
Jock Davidson et Kevin McGuigan furent compagnons et amis dans les rangs de cette organisation responsable de plusieurs assassinats mais pour des raisons de discipline interne, le premier ordonna que l’on inflige au second un “IRA six-pack” (une balle dans chaque cheville, genou et coude). Lorsque Jock Davidson fut abattu en mai dernier, il était évident pour beaucoup qu’il s’agissait là d’une vengeance de McGuigan. Et lorsque McGuigan fut à son tour abattu en août, le crime fut attribué aux anciens compagnons de Davidson au sein de l’IRA.
Ce double meurtre aurait dû relever du fait divers, mais il a enclenché une terrible dynamique. Le chef de la police nord-irlandaise, s’était pourtant empressé de dédramatiser l’affaire: “Notre opinion est que l’IRA provisoire suit résolument une voie politique et qu’elle n’est plus impliquée dans le terrorisme […] Nous n’avons aucune information qui suggère que la violence, telle que nous avons pu la voir lors du meurtre de McGuigan, soit avalisée ou commanditée à un haut niveau au sein du mouvement républicain”.
Mais les Unionistes n’ont retenu de cette déclaration que la reconnaissance implicite qu’une certaine structure politique liée à l’IRA continuait d’exister, alors que le Sinn Fein ne cesse de répéter que l’organisation armée a disparu.
Jouant la vierge effarouchée, l’Ulster Unionist Party (UUP) a décidé de claquer la porte du gouvernement…
Garder son calme
La situation, déjà tendue, devint explosive avec l’arrestation de Bobby Storey, le président du Sinn Fein pour l’Irlande du Nord. Bien que le dirigeant républicain ait été très vite relâché sans charges, l’affaire a permis à l’UUP de pousser le principal parti unioniste, le DUP, hors du gouvernement : “L’enquête sur le meurtre de McGuigan mène au coeur même du Sinn Fein, le partenaire du DUP au gouvernement. Il est temps que le DUP se réveille et s’éloigne d’eux”.
Techniquement, le premier ministre Peter Robinson, chef de file du DUP, n’a pas démissionné car cela aurait impliqué la chute des institutions autonomes, mais il s’est tout de même “mis de côté” et sa formation bloque le fonctionnement de l’exécutif.
La situation est devenue suffisamment sérieuse pour que David Cameron charge Theresa Villiers, sa secrétaire d’Etat à l’Irlande du Nord, de calmer les esprits. Le DUP lui a fait savoir qu’il souhaitait l’instauration d’une commission de contrôle des organisations paramilitaires (pour rappel, l’IMC, la commission de contrôle international, a été dissoute en mars 2011). Le Sinn Fein, par la voix du vice-Premier ministre Martin McGuinness, a fait savoir qu’il ne s’opposerait pas à ce qu’une commission exceptionnelle soit mise sur pied. Gerry Adams, leader du Sinn Fein, a quant à lui du mal à garder son calme : “Y a-t-il des gens qui se vantent d’être de l’IRA? […] Oui. Mais la seule organisation républicaine qui mène la lutte républicaine est le Sinn Fein […] Je ne sais pas combien de fois nous devrons répondre à la même question. Comment pouvez-vous prouver que quelque chose n’existe pas ?”. Son exaspération est d’autant plus compréhensible que personne ne remet en cause l’existence des groupes paramilitaires protestants comme l’UDA qui vient de publier un communiqué sans équivoque : “soyez assurés que l’UDA existe toujours et ne quittera pas la scène tant qu’il existera des républicains d’une faction ou d’une autre”.
Surmonter le blocage
Comme on le voit, il y a une bonne dose de mauvaise foi dans l’agitation actuelle, qui s’explique par la proximité des prochaines élections, en mai. Pour reprendre les paroles de McGuinness, le départ de l’UUP “a plus à voir avec une rivalité inter-unioniste qu’avec une soi-disant inquiétude sur notre engagement indiscutable pour la paix”. A un degré moindre, on observe aussi de telles tensions au sein du camp adverse et McDonnell, le leader des nationalistes du SDLP, fait preuve d’une virulence qui lui est peu commune à l’encontre des unionistes (“Le DUP ne veut pas de collaboration – il ne veulent pas un seul ‘taig’ [catholique] autour d’eux”) mais également du Sinn Fein (“Ils ne disent pas la vérité, ils ne peuvent tout simplement pas dire la vérité [au sujet de l’IRA]”).
A vrai dire, la situation à Stormont était déjà bloquée indépendamment des deux meurtres en raison des mesures d’austérités imposées à l’Irlande du Nord. L’UUP, le DUP ainsi que l’Alliance Party soutiennent ces mesures, mais le Sinn Fein et le SDLP s’y opposent. En conséquence de cette opposition, le gouvernement a été incapable d’établir un budget cette année. Pour surmonter ce blocage, Theresa Villiers menace d’imposer ces réformes depuis Londres, même si, selon ses propres paroles, un “dommage collatéral” pourrait bien être l’effondrement des institutions autonomes. Et c’est peut-être bien ce que cherchent certains Unionistes en prenant prétexte des deux meurtres pour paralyser le parlement de Stormont.