Pantxoa Etchegoin vient de quitter l’Institut culturel basque qu’il a dirigé pendant 24 ans. A l’heure du bilan, il nous fait un retour sur ce temps des pionniers dans un environnement anti-basque.
Pantxoa Etchegoin accompagné d’une “bonne équipe” comme il le dit lui-même, aura assumé la direction de l’Institut culturel basque de 1997 à fin 2020, pendant près d’un quart de siècle. Sa succession est assurée par Johañe Etchebest, jeune souletin de 40 ans, jusqu’ici, chargé de mission auprès de la Fédération de danse basque (Iparraldeko Dantzarien Biltzarra, IDB) après avoir enseigné l’euskera dans les écoles.
Pantxoa Etchegoin ne mâche pas ses mots : “En 1990, la création d’Euskal Kultur Erakundea/ Institut culturel basque fut d’abord un acte politique”.
Ceci, rappelons-le, à une époque politiquement tumultueuse (attentats, attentes identitaires fortes, revendication d’un département Pays Basque…).
Une époque foisonnante d’initiatives portées par de nombreuses associations culturelles dans les mains d’amateurs (au sens premier et noble du terme), dont certaines regroupées au sein de la Fédération Pizkundea (“Renaissance”).
L’Institut avait déjà connu un précédent, à savoir le Centre culturel du Pays Basque initié par Jack Lang, ministre de la Culture de François Mitterrand. Sa vie fut éphémère (1984-1988), mais ouvrit l’horizon à de nouvelles perspectives, dont l’Institut culturel basque…
Des politiques à partager
30 ans ont passé. L’Institut culturel, structure unique en France (du moins à sa naissance), soutenue par les communes rassemblées dans un syndicat spécifique, s’est consolidé pas à pas, à partir d’une tradition populaire vivace et d’un terreau revivifié par des initiatives jaillies de tous côtés.
Des associations locales et des institutionnels se mirent autour d’une même table pour parler Culture !
A ce propos, Pantxoa Etchegoin souligne qu’aujourd’hui, la Communauté d’Agglomération Pays Basque assume la langue et la culture basques entre autres compétences. Et que de ce fait, il revient à cette institution de déterminer les politiques culturelles (1).
Pantxoa Etchegoin précise que “celles-ci n’ont pas à être déterminées par l’Institut culturel, mais demandent à être partagées avec les acteurs de la politique publique territoriale”.
L’un des gros chantiers,
qui s’impose plus que jamais à tous,
reste celui de la transmission,
assure Pantxoa Etchegoin.
Il poursuit : “Des complémentarités fortes doivent être mises en forme, sachant que l’Institut a ses propres compétences dans des domaines précis : son ingénierie, son excellente connaissance des réseaux d’artistes professionnels et amateurs, sa connaissance du monde associatif et des structures professionnelles comme celle des réseaux implantés en Pays Basque Sud où nous avons noué de nombreux liens. Nous ne sommes pas à l’heure du travail isolé ! Les communes jouent déjà et joueront, elles aussi, un rôle essentiel ! Nous avons la chance de posséder un socle culturel vivant d’une richesse inouïe. Mes contacts avec une multitude de régions de France m’ont démontré au fil des années, que certains patrimoines sont d’une grande pauvreté, des déserts culturels souvent limités aux églises et aux musées…”
“Zubilana” dans l’ombre
Pantxoa Etchegoin souligne par ailleurs, la spécificité du fonctionnement de l’Institut culturel reposant sur quelques piliers essentiels : présence associative forte (160 associations à ce jour), gouvernance spéciale via un conseil d’administration regroupant représentants du secteur culturel et institutionnel, le tout reposant sur des statuts “équilibrés, bien pensés”.
“Honnêtement, poursuit-il, je crois que nous pouvons être fiers du travail collectif accompli sur la durée, notamment au niveau de la médiation. On a tenté beaucoup de choses. Et réussi… mais pas tout ! Nous avons appris à nous entourer de gens qui savent et d’une foule de partenaires. Je le répète, l’Institut reste une structure fragile exigeant énormément de concertation, où chacun doit mettre du sien. J’ai souvent dit que nous sommes des “eragile”, des acteurs, mais aussi des facilitateurs et des médiateurs chargés d’établir des ponts, souvent dans l’ombre, “zubilana” en basque. L’Institut ne serait rien sans les artistes amateurs ou professionnels et les associations ! Le fait de s’investir à titre professionnel pour sa langue et sa culture est une grande chance, une belle aventure humaine. La culture basque doit aussi, définitivement entrer dans ce que j’appelle le “droit commun” car il lui arrive encore d’être considérée avec condescendance…”
Le syndicat spécifique s’est consolidé pas à pas,
à partir d’une tradition populaire vivace
et d’un terreau revivifié
par des initiatives jaillies de tous côtés.
Des associations locales et des institutionnels
se mirent autour d’une même table pour parler Culture !
Une culture qui rapproche
Pantxoa Etchegoin évoque aussi la “proximité nécessaire” entre les provinces de Soule, Basse-Navarre et Labourd. Il ne voit pas l’avenir de la culture forcément bâti autour de gros projets, mais de projets porteurs de sens pour les gens. “L’un des gros chantiers qui s’impose plus que jamais à tous, reste celui de la transmission assure-t-il. Une enquête portant sur la pratique culturelle nous a confirmé il y a deux ans, que de grands changements sont en cours dans notre société. On observe de plus en plus de gens prêts à s’investir, de plus en plus de gens demandeurs de spectacles de qualité et porteurs de sens. Ils sont en attente d’une culture qui ne se limite ni aux arts ni au divertissement, mais d’une culture qui rapproche…”
Vaste projet.
(1).Le Syndicat intercommunal pour le soutien à la culture basque s’est dissout à la création de la Communauté d’agglomération du Pays Basque. L’Agglo Pays Basque et les communes, l’Etat, la Région et le Département contribuent à la gouvernance partagée d’EKE/ICB.
Une attente militante forte
Dès le début des années Mitterrand (1981-1995) le parti du Président s’attela à une tâche innovante : “irriguer” culturellement le territoire français. Le Pays Basque quant à lui, était très demandeur de culture basque. C’est dans ce contexte qu’en 1984, naquit aux forceps, un premier Centre culturel du Pays Basque (loi 1901). Sa durée de vie se limita à quatre ans, du fait de lourdes querelles de chapelles internes et externes, notamment autour du statut (ou plutôt de l’absence de statut) réservé à l’euskera. Preuve en fut la nomination de son premier dirigeant, non bascophone ! Mais sa disparition en 1988 préfigura d’une part, la naissance en 1990 de l’actuelle Scène Nationale du Sud-Aquitain basée à Bayonne et d’autre part, la mise en route d’Euskal Kultur Erakundea/Institut culturel basque (loi 1901), basé à Ustaritz, l’ancienne capitale du Labourd. Paradoxe des paradoxes l’Institut basque vit le jour avec le soutien actif de Pierre Joxe, ministre de l’Intérieur de l’époque ! C’est dire si l’enjeu politique autour de l’identité basque et de l’abertzalisme ambiant, était prégnant dans la tête des autorités de l’Etat et des élus basques. Le ministre joua de toute son autorité sur ces élus dont les arrière-pensées leur faisaient craindre que le soutien à la culture et sa pratique, n’engendreraient que déviances partisanes et intrigues (politiques) à caractère identitaire, voire indépendantiste. A l’arrivée néanmoins (et à la surprise générale), 147 communes sur 158 signèrent leur adhésion au Syndicat intercommunal pour le soutien à EKE/ICB. Une assise de départ solide, déterminante pour la suite. Elle aura permis à l’Institut basque d’initier, de mener à bien et d’accompagner des milliers d’initiatives et de réalisations partagées.