L’Edito du mensuel Enbata
En remportant, à une large majorité, les élections territoriales de décembre 2017, les nationalistes corses ont fondamentalement modifié les rapports de leur île dans la république française.
L’autonomie, pleine et entière, n’est plus une revendication mais une obligation de mise en oeuvre.
Opportunité d’autant plus à saisir que l’interlocuteur français est un jeune président qui, candidat le 7 avril 2017 à Furiani, en Corse même, proclamait: “Est-ce qu’il faudra aller plus loin, modifier le cadre législatif et réglementaire, réviser la constitution pour permettre de nouvelles adaptations? Sur ce sujet comme sur tous les autres, je suis ouvert au dialogue”.
Parfaitement conscient de son rôle, le chef de l’exécutif corse, Gilles Simeoni, interpellait Emmanuel Macron, le 2 janvier lors de l’installation de la nouvelle collectivité unique : “Il est peut-être aujourd’hui, s’il en a la volonté, l’homme d’Etat qui ouvrira la voie à une solution politique négociée permettant de construire entre la Corse et la république française une relation nouvelle et apaisée. Nous attendons un geste politique fort”.
Or, chacun sait que l’autonomie législative est interdite par la constitution pour les collectivités territoriales de droit commun de la métropole. Le statut spécifique obtenu par la Corse sous Deferre en 1982 avait déjà ses limites sanctionnées alors par le Conseil constitutionnel présidé par Badinter, dans son article 1er, supprimant la notion de peuple corse. Il faut donc inscrire la Corse, dans une modification constitutionnelle, comme territoire d’outremer.
Le 18 janvier, à la demande de son exécutif, la professeure de droit public, Wanda Mastor, a remis un rapport argumenté afin d’engager la procédure institutionnelle. Mais au-delà du débat de fond, il y a l’implacable urgence de l’actualité. L’on sait que Macron entend modifier la constitution ce printemps sur quelques sujets précis dont la réduction du nombre de parlementaires et l’instillation de la proportionnelle. Si la “question corse” n’y est pas accrochée, rien ne se passera de fondamental d’ici la fin du quinquennat.
Aussi, l’on comprend l’immense déception ressentie par Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni au sortir d’un premier contact avec le chef du gouvernement le lundi 22 janvier. Et plus encore le lendemain, lors de la rencontre avec le président du Sénat, Gérard Larcher, déjà peu enclin à faciliter la voie parlementaire de cette révision Constitutionnelle. La réunion de travail à Matignon fut pourtant sérieuse. Elle dura plus de deux heures en présence du ministre de l’Intérieur, Gérard Colomb, et de Jacqueline Gourault, ministre spécialement chargée du dossier corse. On a joué sur les mots de “différenciation” , de “spécificité”, d’application générale à toutes les régions rappelant le “café pour tous” des autonomies espagnoles… Ce qui conduit Gilles Simeoni à déclarer: “Quand on met bout à bout hier et aujourd’hui, c’est un entonnoir qui nous conduit à renoncer à tout. Ce n’est plus une discussion, c’est une capitulation. Ava basta! (maintenant ça suffit)”. Et d’ajouter dans un communiqué: “L’Etat refuse de reconnaître et de prendre en compte la dimension politique de la question corse. Dans ces conditions, nous appelons dans les prochains jours à la tenue d’une grande manifestation populaire”. Ce sera le samedi 3 février à Ajaccio. C’est-à-dire trois jours avant le déplacement officiel que le Président doit effectuer le 6 février à l’occasion du vingtième anniversaire de l’assassinat du préfet Claude Erignac.
Les élus nationalistes, forts de leur large légitimité électorale, affirment leur détermination et font monter la pression avant la venue d’Emmanuel Macron à Ajaccio dont les rues auront retenti de la protestation de 30 ou 40.000 citoyens corses acteurs d’une conjoncture historique. Nous serons, nous aussi Basques, attentifs à ce qui se joue en Corse, car cela peut influer sur notre propre devenir collectif. A commencer par la maturité exemplaire des dirigeants corses sachant dépasser leurs divergences politiques pour agir, sans faille et complémentairement, en patriotes.