Le dérèglement climatique est un défi majeur pour nos sociétés. Les experts sont unanimes : cela ne sera pas sans conséquence sur les populations (déplacements forcés, insécurité alimentaire, risque accru de conflits violents, etc.). Seule une mobilisation citoyenne de masse pourra contraindre les politiques, les militaires et les multinationales à agir pour limiter le réchauffement climatique et les menaces associées. De nombreuses associations engagées dans la protection de l’environnement, comme 350.org, Alternatiba, Les Amis de la Terre, Attac, ANV-Cop 21, y contribuent largement. La revue Alternatives non-violente a édité un numéro spécial Menaces climatiques, défi pour la non-violence. Elle y a sollicité et publié un texte de Txetx Etcheverry, cofondateur des mouvements Bizi et Alternatiba, que nous reproduisons ici.
Mon idéal de justice s’est heurté à la prise de conscience des limites de la Terre. Petit à petit les luttes m’ont ouvert sur les autres, sur une prise de conscience plus globale, écologique, et en particulier sur le défi climatique que nous avons à affronter. Ce n’est pas un processus individuel, c’est une découverte commune, avec d’autres militants. Quand on touche ou dépasse les limites de la planète, la question de la justice sociale se pose différemment. La question n’est plus simplement la répartition des richesses mais la justice sociale dans le respect des limites de la planète, de ses équilibres, de l’intérêt de l’ensemble des peuples du monde et, également, des générations à venir. Le logiciel devient un logiciel nécessairement écologique avec un impératif d’urgence. Tout se joue en très peu de temps, avec un calendrier de 10 à 20 ans qui impacte les conditions de vie sur terre dans leur globalité. La question du climat peut carrément nous empêcher d’y vivre!
Il ne suffira pas de changer des ampoules
La non-violence est nécessaire. On peut faire reculer les plus puissants par la non-violence, je le constate tous les jours. Par exemple dernièrement, avec la campagne des faucheurs de chaises contre le rôle de la BNP, la banque la plus puissante de France, dans l’évasion fiscale des grandes fortunes ! Il ne suffira pas de changer des ampoules, il faut transformer carrément nos modes de production, de consommation, d’aménagement du territoire. Nous avons besoin de solutions radicales et en même temps, pour gagner ces batailles, nous avons besoin de majorités, le tout dans un calendrier resserré. Nous sommes obligés de construire une stratégie gagnante avec des gens qui ne seront pas d’accord sur tout, mais qui peuvent dire stop aux subventions aux énergies fossiles, à ceci, à cela, car il faut gagner dans le calendrier imparti. Nous avons un besoin de radicalité et de pragmatisme.
La seule stratégie possible est une stratégie non-violente car, pour conquérir des majorités ou, au moins pour avoir la sympathie de la majorité, il faut mettre l’opinion publique de notre côté et établir des programmes constructifs. Il nous faut construire et mettre en oeuvre une stratégie qui permette d’atteindre la taille critique. Dans la lutte armée, on porte une cagoule et on espère ne pas se faire chopper, dans la non-violence, on agit à visage découvert et on se fait chopper à tous les coups. On est obligé d’articuler autour de soi un soutien populaire et faire en sorte que nos actions correspondent toujours aux rapports de forts réels ou potentiels, permettant de faire face à l’inévitable répression. C’est un vrai calcul politique et stratégique permanent qui ne permet pas l’erreur. Quand nous avons mis en place l’action de fauchage de chaises, c’est a priori un acte grave de rentrer dans une banque et d’y piquer des trucs! Ça s’appelle “vol en réunion” puni jusqu’à 5 ans de prison. Mais on le fait parce qu’on sent que l’opinion publique est mûre pour assumer ce geste-là et que cela va accélérer le débat, le mettre sur la place publique. On se sent prêts à l’assumer. L’action non-violente déterminée permet d’alimenter le radicalisme qui amène des militants, des jeunes, de la dynamique, une audace militante et stratégique, une capacité de résistance, tout en étant suffisamment pragmatique pour ne pas se couper des réalités, de la population, et du coup construire un soutien majoritaire à la cause qu’on défend.
Non-violence et changement d’échelle
Le pain ne lève pas parce qu’il y a beaucoup de farine, mais parce qu’il y a de la levure. Le bon pain est fait de la levure de ces actions et de la masse de gens qui les soutiennent, qui vont faire que tout va fonctionner. Ce n’est pas l’un plus que l’autre ; les deux se complètent pour faire la dynamique qui fait monter la pâte et permet de faire changer les choses. Les militants vont donner cette audace stratégique, cette dynamique, le nombre va donner la capacité de combattre le système et de toucher l’ensemble de la population.
Dans notre mouvement, on peut distinguer trois grandes phases.
En 2009 on crée le groupe local Bizi sur un petit territoire, le Pays Basque Nord. Bizi va grossir grâce au logiciel radicalo-pragmatique, à sa stratégie non-violente déterminée. Il va passer en quelques années d’une vingtaine de personnes à 550 aujourd’hui dont une grosse centaine est constituée de militants, les autres étant des adhérents que l’on retrouve dans nos rendez-vous importants.
Nous nous sentions alors orphelins d’un mouvement climat plus général. Bizi nous a permis de nous dire que si ce mouvement ne venait pas “d’en haut”, nous allions contribuer à le construire d’en bas ! Il manquait une “génération climat”. C’est à ce moment-là, en 2013, que nous lançons le mouvement Alternatiba avec un rassemblement de plus de 12.000 personnes à Bayonne qui a généré plus de 110 initiatives similaires en France ; touchant au total plus de 550.000 personnes.
Il y a eu aussi la création d’Action Non-Violente COP21 (ANV-COP21) et toutes les mobilisations de la COP21, ou celles contre le sommet des pétroliers à Pau. Nous sommes donc déjà passés à une autre échelle et sommes aujourd’hui coordonnés avec un mouvement plus large au niveau de l’Hexagone dans lequel nous discutons la stratégie globale. Nous sommes beaucoup plus solides au moment de faire des paris comme le blocage du sommet des pétroliers à Pau qui dépassait largement la capacité d’une organisation locale. Il y a également eu le Camp Climat 2016 rassemblant 300 personnes sur dix jours de formation intensive et de haut niveau. Si nous voulons vraiment transformer notre société, il faut de nouveau changer d’échelle !
Trouver le “sel” du climat ?
Nos réflexions stratégiques en vue d’un changement d’échelle sont de trois ordres : trouver notre “marche du sel” pour le climat, démultiplier la formation pour des centaines et des milliers de militants, des cadres, des formateurs, des formateurs de formateurs et, enfin, définir le modèle économique qui peut permettre à beaucoup de militants de s’engager de manière permanente. Nous pensons aussi qu’il va y avoir des accélérations de l’histoire et que nous devons nous y préparer, pour saisir ces opportunités historiques au moment exact où elles se présentent et avancer ainsi à grands pas vers la transition sociale et écologique. Et a contrario empêcher que ce soit l’extrême-droite qui capitalise ces crises et accélérations de l’histoire dans une toute autre perspective.
Je parle de “marche du sel” du climat car j’ai conscience de la difficulté de mobiliser les gens sur la question du climat. C’est une question abstraite, à moyen terme, et quand on a du mal à boucler ses fins de mois, on ne pense pas à la fin du monde ! Ce qui fait bouger les gens c’est leur boulot, leur salaire, ce qu’ils ont dans leur assiette, la sécurité sociale, la santé, les problèmes quotidiens, matériels, immédiats. Notre question est d’articuler des batailles qui mettent des gens en mouvement, mais qui fassent aussi avancer les choses dans la bataille du climat. Nous recherchons notre “bataille du sel” au sens gandhien: se battre contre l’interdiction anglaise de produire son propre sel, élément indispensable à la vie quotidienne, permettait de mobiliser des millions de personnes et contenait en même temps le logiciel de la bataille globale, celle de la souveraineté de l’Inde. Il nous faut définir, par des réflexions et débats collectifs, et par des tâtonnements successifs, quelle serait aujourd’hui la marche du sel de la bataille globale du climat.
Prochaine étape
Notre priorité actuelle est de former des cadres, par exemple via le deuxième Camp Climat qui s’est déroulé l’été dernier et qui a formé 600 personnes, c’est aussi de continuer l’implantation locale, pour faire que tous ces Alternatiba trouvent des axes de travail locaux : créer tel réseau alternatif ici, telle coopérative de production d’énergie renouvelable là, structurer aussi des groupes locaux d’actions. 2018 sera une année importante au niveau international sur les enjeux climatiques, COP en Pologne, G8, G20, rapport spécial du GIEC, etc.
Au niveau de Bizi, nous avons une seconde ligne d’horizon vers 2020 pour créer une dynamique autour des nouvelles inter-communalités territoriales créées par la loi Nouvelle organisation territoriale de la République (NOTREe). Elles ont des compétences réelles en matière de transition climat/énergie, et selon le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), 50 à 80% des leviers d’actions contre les changements climatiques se trouvent aux échelles locales. Notre objectif est de dessiner des stratégies d’actions territoriales réplicables sur tous les territoires.
On a aujourd’hui fusionné Alternatiba et ANV-Cop21. Nous mettons en place des structures communes tout en gardant deux champs d’intervention et même peut-être deux discours différents : Alternatiba porteur des alternatives, des propositions d’un message positif de type “les solutions au changement climatique existent, il faut les faire changer d’échelle” et ANV-COP21 qui porte l’idée de la résistance, de l’opposition aux projets climaticides, qui doit être la sonnette d’alarme de l’urgence de la situation climatique.
Pour nous, c’est très complémentaire, d’où la formule : “On marche sur deux jambes”, celle de la résolution déterminée dans l’action non-violente et celle de la construction d’une alternative sociale et écologique.
C’est comme ça qu’on peut avancer dans le bon sens et être prêts lors des accélérations de l’histoire que nous pressentons.