L’inauguration le dimanche 8 avril à Bayonne, dans le cadre du forum marquant le premier anniversaire du désarmement d’ETA, de la sculpture La vérité de l’arbre de Koldobika Jauregi a suscité certaines critiques, au demeurant peu nombreuses. L’oeuvre de Koldobika Jauregi dépasse le jugement esthétique et percute avec le vécu de chacun à un moment donné de notre histoire commune. Il convient de souligner la charge symbolique de monuments analogues à celui de Jauregi.
Des monuments de pierre et d’acier évoquent l’histoire de ces 80 dernières années, ils interpellent tout un chacun et ne laissent personne indifférent. La vérité de l’arbre de Koldobika Jauregi n’y échappe pas. A quelques jours du 81ème anniversaire du bombardement de Gernika, une visite à la Fondation Musée de la Paix m’a permis d’y découvrir une exposition ayant pleine résonance à Bayonne, depuis le 8 avril 2018 précisément. L’on sait que ce jour-là, premier anniversaire du désarmement d’ETA, a été marqué par l’inauguration de la sculpture La vérité de l’arbre –Arbolaren egia de Koldobika Jauregi. Sculpture figurative représentant une hache renversée dont le manche donne naissance à un arbre. Un symbole guerrier allié à un symbole de vie (1).
Image controversée en cette période de forte tension politique ambiante, à quelques jours de l’annonce de la fin d’ETA, fixée au 4 mai à Cambo. L’oeuvre d’acier va de plus, à l’opposé de l’abstraction dont se sont surtout prévalus les grands sculpteurs basques de ces 60 dernières années : Chillida, Oteiza, Basterretxea, Ibarrola, Mendiburu, Etchevarria, Zigor… Du haut de ses 8 mètres, elle s’impose crûment, saisit au premier regard. Elle crée un “choc” au sens littéral du terme. Sans doute ne laissera-t-elle personne indifférent, alors que le temps fera son oeuvre.
Pensons bien sûr au Gernika de Picasso pourfendu politiquement et artistiquement en 1937, avant de devenir icône planétaire de paix. De même qu’aux 14 apôtres de la fresque d’Oteiza, fierté de la façade de la basilique d’Aranzazu, condamnés à 14 ans d’abandon dans un fossé, après avoir été jugés profanatoires par la Curie Romaine.
De pierre et d’acier
L’exposition de Gernika, signée Jésus Javier Alonso Carballés, professeur d’espagnol à l’université Montaigne de Bordeaux (département des études Ibériques et ibéro-américaines) s’intitule Mémoires de Pierre et d’Acier – Les monuments aux victimes de la Guerre Civile espagnole et du franquisme au Pays Basque (1936-2017)(2). Photographies d’époque, dessins et plans préparatoires des artistes auxquels ces monuments de pierre taillée furent commandés dans les années 40, par le régime franquiste. Érigés à Saint-Sébastien, Vitoria-Gasteiz, Tolosa, Getxo, Irun et autres. En contrepoint, retour sur les travaux contemporains d’acier, à la mémoire des victimes du franquisme et du terrorisme. Autant de formes abstraites émaillant le paysage urbain du Pays Basque Sud. Exemple proche : Loa à la paz (“Hommage à la paix” – 2003) d’Iñaki Moreno Ruiz de Eguiño, place Gernikako Arbola, à Irun.
Identité individuelle et collective
“Rien de plus important pour le paysage symbolique d’une ville, que ses noms de rues, ses monuments, ses statues et ses plaques commémoratives. Ils font partie de l’identité individuelle et collective”, nous dit l’historienne canadienne Régine Robin, sur les cimaises de l’exposition de Gernika. “Ils sont, poursuit-elle, toujours l’enjeu de luttes d’appropriation et de désappropriation du passé, de luttes pour l’inscription de ce qu’une société veut laisser de son image et de son rapport au passé…” Tel est le processus suscité par l’oeuvre de Koldobika Jauregi à Bayonne. Il dépasse le jugement esthétique et percute avec le vécu de chacun à un moment donné de notre histoire commune.
L’une des sculptures les plus emblématiques aux abords du siège de l’ONU à New York ne s’appelle-elle pas The knotted gun ? Elle représente un colt au canon noué. Il en existe au moins deux répliques en France (Mémorial de Caen, Centre de l’Histoire de la Résistance et de la Déportation à Lyon). Conçu par l’artiste suédois Carl Frederik Reutersward, l’un des trois originaux fut offert à l’Organisation des Nations Unies par le Luxembourg. Qui y trouve à redire ?
Le célébrissime sculpteur Auguste Rodin lui-même (1840-1917) eut à subir les foudres de ses contemporains. Avec notamment ses fameux Bourgeois de Calais, six hommes ayant accepté de se sacrifier pour la cité rendue aux Anglais en 1347. Commandée par la Ville en 1885, objet d’une longue controverse avec l’artiste. Selon ses détracteurs, elle n’exaltait pas suffisamment la gloire légendaire des héros calaisiens entretenue depuis la Guerre de 100 ans… C’est dire!
(1) La hache figure dans la symbolique d’ETA et dans celle des GAL ; l’arbre renvoie au chêne de Gernika sous lequel justice était jadis rendue.
(2) Exposition jusqu’au 16 septembre 2018