L’Édito du mensuel Enbata
Nos gamins des ikastola, ou des filières bilingues, sont donc anticonstitutionnels. Le raccourci est un peu court et la sentence, qui semble davantage évoquer une politique de natalité chinoise qu’une chance d’épanouissement, leur fait une belle jambe. Mais l’esprit est là. Quand ils seront grands, nos enfants seront bilingues anticonstitutionnellement et sauront au moins caser le mot le plus long du dictionnaire français.
Contre cette autorité imparable et face au pataquès qui s’annonçait, la novlangue administrative française a montré toute sa souplesse et dans le fumet mystérieux d’un salmigondis de six pages, a fini par pondre une formule magique : “Cet enseignement par immersion est une stratégie possible d’apprentissage de l’enseignement bilingue”. Si l’auteur de cette découverte, un “directeur général de l’enseignement scolaire”, encouragé par le Premier ministre Jean Castex, ne risque pas d’intéresser les revues scientifiques, il a le mérite de l’avoir publié dans le Journal officiel ce 16 décembre et de nous permettre, du même coup, de la glisser dans les cartables comme un talisman. Une vraie patte de lapin qui semble réjouir, à droite comme à gauche, les défenseurs des langues régionales, habitués, il est vrai, à la politique des petits pas.
Il a fallu près de dix ans au député breton Paul Molac pour imposer les langues régionales dans la loi française, avant que le Conseil Constitutionnel ne pulvérise sa réussite.
Jusqu’à cette circulaire, du plus bas étage juridique qui soit, qui sous l’intitulé MNE2136384C, sauve, si ce n’est l’honneur, du moins provisoirement les meubles de camping.
Une circulaire contre une décision du Conseil Constitutionnel, c’est toute l’image de notre pot de terre de vaincus contre le pot de fer du vainqueur. Et c’est aussi là que le bât blesse. L’euskara reste à la merci des aléas de la politique, d’un changement de gouvernement, d’une contestation marginale, d’un sniper fou qui se nicherait sur le fronton du Conseil Constitutionnel. Les choses ne sont, bien sûr, pas si simples et nos enfants sont tout de même en sécurité derrière un enseignement devenu, par la force de l’entêtement, légitime.
De l’autre côté des Pyrénées, on croyait les “langues espagnoles” fortifiées, gravées dans le marbre de la Constitution de 1978 et gérées au plus près des écoles par les communautés autonomes depuis près de quarante ans.
En 2020, sous l’impulsion du Parti républicain de Catalogne (ERC), une loi reconnaissait même le catalan comme la langue véhiculaire de l’enseignement de cette région. Mais la Cour suprême espagnole a fini par exiger, la même année, que soient garantis 25% de cours en espagnol dans toutes les écoles de l’État, y compris en Catalogne.
Une brèche à sniper dans laquelle se sont engouffrées 80 familles pour exiger, de leur bon droit, l’application de la Cour suprême, contre les pratiques de 1,5 millions d’élèves. La Generalitat refuse, les manifs se multiplient, le Partido popular parle “d’apartheid” contre les hispanophones.
Ce pithiatisme têtu, qu’il soit espagnol ou français, nous laissera toujours à porté de tir d’un gouvernement, d’un décideur non élu, d’un magistrat à l’hubris surdimensionné, d’un ministre de l’Éducation Nationale épris de lutte contre le séparatisme.
La nouvelle circulaire ministérielle couvre mal l’extrême dénuement de la langue basque. Mais la politique des petits pas et ses étapes tépides sont aussi une marche en avant indéniable.
Hier, l’euskara était honnis par ses propres locuteurs. Aujourd’hui, les sénateurs du Pays Basque, de droite et de gauche, en défendent le principe à Paris. MNE2136384C est un “cause toujours”, un moindre mal démocratique, qu’il convient donc d’affirmer plus durement dans le champ politique.
Molac legearen erdizka onartzeak ez du euskara salbatuko, horren aldeko aurrerapen handi bat izan arren. Gehiago borrokatu behar da eta “Errepublikaren hizkuntza frantsesa delako” lema atzerakoi eta faxista horrekin bukatu behar da.