Le parlement catalan a approuvé le 16 janvier une demande auprès des Cortes : le transfert de la compétence portant sur l’organisation des référendums. Début décembre, plusieurs partis se sont mis d’accord sur la date du scrutin, ce sera la 9 novembre 2014, et sur le libellé de la question posée.
Artur Mas, chef de l’exécutif catalan, a d’abord le souci d’explorer toutes les voies offertes par la légalité espagnole, pour aboutir à la mise en œuvre d’une consultation légale et négociée. D’où le vote du 16 janvier. L’article 150-2 de la Constitution espagnole prévoit en effet la possibilité de transférer à une Communauté autonome par voie législative, des compétences qui en principe, sont celles de l’Etat central. Près des deux tiers des députés du parlement catalan (87, contre 43 et 3 abstentions) ont ainsi demandé aux Cortes ce transfert. Le parlement espagnol examinera cette requête en mars ou avril prochain. Elle a très peu de chances d’aboutir, sachant que près de 90% des députés espagnols y sont opposés.
La démarche d’Artur Mas et de sa formation CiU a plusieurs explications. C’est la première fois que son gouvernement quitte le champ des formules déclaratives, des déclarations d’intentions en faveur de la souveraineté. Il entre dans le vif de la procédure juridique. Le vote du 16 janvier fait également référence à l’attitude du gouvernement anglais qui a accepté ce type de transfert à l’égard de l’Ecosse. Pour conforter un camp souverainiste assez divers, où certains au sein de CiU traînent des pieds, il convient d’épuiser les voies légales possibles et démontrer qu’elles sont effectivement bouchées. Enfin le vote du 16 janvier a suscité une énième crise au sein du Parti socialiste catalan (PSC, section catalane du PSOE). Trois de ses députés ont voté avec les souverainistes de CiU (50), ERC (21) et ICV-EUiA communistes-verts (13). Le courant le plus catalaniste du parti socialiste, Avancem, est prêt à franchir le Rubicon : un quatrième député a déjà quitté la direction du PSC, le maire de Lleida et 122 militants et cadres poussent dans le sens de la scission.
Le choix de la date
Le train référendaire a été lancé il y a plus d’un mois, lorsque les partis souverainistes se sont mis d’accord sur la date de la consultation —le 9 novembre 2014— et sur le libellé de la question. Les quatre formations (1), CiU (autonomistes), ERC (républicains indépendantistes), ICV (communistes-verts) et CUP (gauche radicale indépendantiste) ont arrêté cette date après des mois de négociation. ERC qui soutient le gouvernement d’Artur Mas sans y participer, a dû exercer une pression énorme sur son partenaire pour maintenir la date en 2014. Cela fait exactement trois siècles que la Catalogne a perdu sa souveraineté (1714) et le scrutin aura lieu après la Diada du 11 septembre (Aberri Eguna catalan) qui revêtira une ampleur particulière. Sous l’influence de ses alliés de Unió et de leur dirigeant Josep Antoni Duran (2), numéro 2 de CiU, Artur Mas demeurait volontairement dans le flou. Fixer la date a eu pour effet de déterminer un calendrier complet en structurant l’action politique. Les élections européennes qui auront lieu le 25 mai, seront à mi-parcours un bon thermomètre pour indiquer la température de l’opinion publique. Les sondages annoncent un affaiblissement de CiU, ERC clairement souverainiste gagnerait du terrain, dans le prolongement du scrutin du 25 novembre 2012.
Le libellé de la question
Plus compliquée a été de s’accorder sur le libellé de la question. Finalement, il y en aura deux: “Voulez-vous que la Catalogne soit un Etat? Si oui, voulez-vous que cet Etat soit indépendant?” En clair, la première question porte sur la souveraineté qui, une fois reconnue, pourra être partiellement déléguée ou au contraire exercée de façon pleine et entière. C’est la porte ouverte à la formule de la souveraineté-association qui fut celle du Plan-Ibarretxe (3). Artur Mas aurait préféré une question beaucoup plus vague ou bien procéder par étapes, chaque référendum correspondant à une question de plus en plus précise. Son but initial était de tenter de neutraliser l’opposition de l’Espagne, mais surtout d’associer à la démarche référendaire le Parti socialiste qui propose une formule d’Etat espagnol fédéral et ainsi de rassembler près de 80% du corps électoral catalan autour du projet, comme ce fut le cas hier pour le nouveau statut d’autonomie. Mais le projet socialiste d’Etat fédéral ne dépasse guère le stade des déclarations d’intention. Cette solution de troisième voie, entre autonomie et souveraineté, est donc écartée.
Le libellé de la question référendaire ne convient pas totalement à Esquerra Republicana Catalana, mais Artur Mas a dû tenir compte de sa demande. Elle exigeait que la notion d’indépendance figure dans la formulation. Or CiU, dont le nombre de députés est minoritaire à la chambre, doit impérativement conserver le soutien sans participation d’ERC s’il veut rester au pouvoir.
Le référendum… comme ETA
Les partis politiques espagnols ont réagi très négativement à toutes ces annonces. L’ancien chef du gouvernement José Maria Aznar compare le référendum catalan à ETA parce que tous deux violent la Constitution. Mariano Rajoy (PP) et Rubalcaba (PSOE) mettent en scène leur union sacrée. “Ce qui est la propriété de tous les Espagnols et le fait qu’ils soient ensemble, n’est pas négociable”, martèle le premier. De nombreux intellectuels critiquent le “totalitarisme soft” et “le discours populiste” des Catalans. Un brillant esprit précise sans rire que le “droit à décider” revendiqué par les indépendantistes n’est pas en soi un concept démocratique. Ce qui l’est, c’est l’expression d’une opinion dans les conditions prévues par la Constitution et par la loi. Un autre ajoute: comment accepter que la Catalogne mette en péril l’ensemble du pays, sans que le reste des Espagnols ait son mot à dire? Selon les sondages, entre 40% et 50% des Catalans se disent favorables à l’indépendance, mais tout cela n’est-il pas lié à la crise économique, donc très conjoncturel? s’interrogent certains, d’abord soucieux de déprécier la montée en puissance du souverainisme catalan. Quant aux institutions et aux Etats européens, ils font l’objet d’une intense campagne de la part du gouvernement espagnol. Leurs réactions sont négatives mais demeurent assez laconiques. Logiquement, il apparaît qu’une Catalogne indépendante devra négocier son entrée dans l’Union européenne, mais à aucun moment, elle ne quittera la zone euro.
La machine espagnole est elle aussi en marche. Le gouvernement de Madrid présentera une série de recours auprès du Tribunal constitutionnel pour illégaliser chacune des décisions catalanes. Le spectre de l’échec du Plan-Ibarretxe est dans tous les esprits. Il échoua d’abord parce qu’un mouvement social ne le portait pas véritablement, le PNV lui-même y étant opposé. Ce dernier a beaucoup plus subi la démarche du Lehendakari Juan Jose Ibarretxe qu’il ne l’a véritablement portée. C’est loin d’être le cas en Catalogne.
Cinq millions d’euros et plus
Dès que les Cortes auront rejeté la demande de transfert de compétence en matière référendaire, le parlement catalan a déjà prévu de voter sa propre loi référendaire. Celle-ci sera sans doute illégalisée par le Tribunal constitutionnel espagnol. Tout au long de cette gigantesque bataille politico-judiciaire, un département de la Generalitat prépare le scrutin. Des délégations se sont déjà rendues en Suisse et au Québec pour s’informer sur les modalités concrètes d’un tel vote, les systèmes de sécurisation du vote électronique, etc. Vingt personnes sont à pied d’oeuvre depuis plusieurs mois. Un premier budget de cinq millions d’euros a été voté. Le rôle de ce département de la Generalitat est aussi de fixer clairement la composition du corps électoral, les listes électorales étant la propriété de l’Etat… Pour la première fois, les immigrants qui résident en Catalogne pourront voter, ainsi que les jeunes de 16 à 18 ans.
Dans cette opération politique promise à rebondissements nombreux, une question demeure lancinante. En cas de blocage total, Artur Mas a la possibilité d’avancer les élections en dissolvant le parlement catalan. Il pourrait ainsi renforcer son poids, mais la solution ne sera pas trouvée pour autant. Il jouera là son avenir politique. A la tête d’une formation réputée conservatrice et timorée, sa démarche ne manque pas de panache. Quel que soit le résultat, elle aura le mérite de poser la question de la souveraineté catalane, non plus sous forme de revendications de rue ou de déclarations de partis politiques, mais en termes institutionnels. Ce qui constitue un grand pas en avant dans l’histoire d’un peuple en marche vers la souveraineté.
Complément d’information sur : “Le peuple catalan préfère se gouverner plutôt qu’être gouverné”