Sous la pression des députés de CiU et pour sauver la démarche indépendantiste, le président sortant s’est fait hara-kiri. Il est remplacé au pied levé par le maire de la ville de Gerone.
L’alerte a été chaude de voir le processus capoter. Tout s’est joué le 9 janvier par un choix cornélien, 48 heures avant la date fatidique qui aurait entraîné de nouvelles élections. Le scrutin de septembre au parlement catalan avait vu l’arrivée d’une majorité en faveur de l’indépendance. Las… Durant trois mois de négociations, les députés de Convergencia, d’ERC et de CUP ne sont pas parvenus à se mettre d’accord pour le maintien au pouvoir d’Artur Mas, président sortant et à ce jour conducteur du processus indépendantiste. CUP (Candidature d’Unité Populaire), troisième composante de la coalition, avec ses dix députés d’extrême gauche farouchement indépendantistes, s’opposait au maintien d’Artur Mas aux commandes de la Generalitat. Les affaires de corruption sur les marchés publics
pour financer son parti Convergencia, ses mesures anti-austérité et ses options plutôt à droite, constituaient un obstacle rédhibitoire.
Après des mois de concessions, de votes et de coups de théâtre, entre deux maux, il fallut choisir le moindre. CUP a eu la peau d’Artur Mas qui s’est sacrifié sur l’autel de l’indépendantisme.
Accord ficelé
Grand était le risque qu’en l’absence d’accord et de nouveau gouvernement, de nouvelles élections donnent une majorité aux partis espagnolistes, après le triste spectacle offert par des forces abertzale incapables de s’entendre. Au pied levé, le 9 janvier, un accord entre Junts pel Sí (coalition de Convergencia et d’ERC) et CUP est signé. Pour parvenir à la majorité absolue, au moins deux députés de CUP s’engagent à faire élire à la présidence du gouvernement Carles Puigdemont au premier tour, ils seront même intégrés au groupe parlementaire Junts pel Sí. A l’avenir, pour garantir la stabilité gouvernementale, les huit autres députés de CUP s’engagent à ne pas voter avec l’opposition, ils pourront seulement s’abstenir s’ils sont en désaccord. Le nouveau président n’est pas un perdreau de l’année, gaur hitza eman, bihar haizeak eraman…. Il connaît la fragilité de tous les accords politiques et ne veut pas dépendre exclusivement du bon plaisir de CUP. Aussi, il
cherche déjà d’autres alliés possibles qu’il pourra mettre à contribution en fonction des dossiers ou des opportunités.
La feuille de route de l’indépendance
Carles Puigdemont, membre de Convergenia, indépendantiste notoire et maire de Gerone (100.000 ha), est relativement peu connu. Il a été élu le 10 janvier par le parlement catalan. Dès son premier discours, le nouveau président s’est engagé à poursuivre la voie tracée par son prédécesseur, c’est-à-dire l’indépendance : négocier avec l’Espagne et les institutions européennes pour parvenir à la mise en place d’un Etat catalan. Pour cela, il entend faire voter trois lois qui sont déjà dans les tuyaux : sur le processus constituant, sur la Sécurité sociale et enfin sur le budget du futur Etat. Carles Puigdemont a axé son discours d’investiture sur la légitimité du peuple catalan incarnée par son parlement et n’a évoqué ni le roi, ni le respect de la Constitution. Dans la salle, le portrait de Philipe VI était recouvert d’une étoffe. Gros émoi dans l’Espagne profonde et au gouvernement espagnol qui envisage de présenter un recours.
Deux poids lourds quittent la scène
Le gouvernement catalan est composé de 13 ministres dont 6 sont membres d’ERC. Le leader républicain Oriol Junqueras est vice-président, ministre de l’économie et du budget. Quant à l’ex-écologiste qui conduisit la liste d’union Junts pel Sí, Raül Romeva, il est en charge des Affaires étrangères. Artur Mas abandonne son mandat de député et compte se consacrer à la refondation de son propre parti Convergencia qui en a bien besoin après une nouvelle chute aux
élections législatives de décembre. Le deuxième leader de l’ex-coalition CiU, Antonio Duran, qui a longtemps dirigé la tendance Unió, quitte le 16 janvier la vie politique. Les très mauvais résultats électoraux d’Unió en septembre et en décembre, ainsi que le financement illicite de son parti sur fond de corruption, ont eu raison de lui. Ce sont ainsi deux poids lourds de la vie politique catalane qui disparaissent. En Espagne, une majorité de droite ou de gauche susceptible de gouverner le pays peine à se dessiner. L’hypothèse d’un gouvernement de gauche avec une alliance des socialistes, de Podemos et de partis “périphériques” n’est pas exclue. L’option de Podemos en faveur du “droit de décider”, c’est-à-dire de pouvoir organiser des référendums, demeure un obstacle majeur aux négociations en cours. En politique, il faut souvent choisir entre la peste et la scarlatine. Aussi, une telle coalition de gauche ne déplairait pas aux partis nationalitaires de l’Etat espagnol. D’habitude, les partis abertzale ne suscitent que haussements d’épaule et répression. Mais lorsque les partis espagnolistes sont affaiblis et divisés, c’est
fou l’intérêt que nous prenons à leurs yeux, nous les intéressons. Ils ont besoin de nous pour parvenir au pouvoir, la porte s’ouvre pour une négociation.
Carles Puigdemont
Dans la force de l’âge, à 53 ans, Carles Puigemont est déjà un vieux militant de la cause indépendantiste. Fondateur en 1981 des Jeunesses nationalistes de Catalogne proches de Convergencia, il conquiert en 2011 la mairie de Gerone, mettant fin à 32 ans d’hégémonie socialiste sur la cité. Il préside depuis l’été dernier la puissante Association des municipalités pour l’indépendance (AMI) dont le rôle fut essentiel pour élargir le souverainisme catalan par l’organisation de plusieurs vagues de référendums municipaux. Une fois élu maire, Carles Puigdemont prêta serment. Il reprit alors la formule préconisée par l’AMI : “Je suis à la disposition du nouveau parlement, du président et du gouvernement de la Generalitat de Catalunya issu des élections du 27 septembre 2015 pour exercer le droit à l’autodétermination de notre peuple et proclamer avec toutes nos institutions, l’Etat catalan libre et souverain”. Marié à une intellectuelle roumaine et père de deux filles, Carles Puigemont est philologue de formation, il a pendant longtemps occupé le poste de rédacteur en chef du quotidien El Punt diari, rédigé exclusivement en catalan. Après avoir lancé une agence de presse catalane très novatrice dans son organisation, il a dirigé entre 2004 et 2005 la Maison de la culture de Gerone.