Carles Puigdemont à la manoeuvre

Carles Puigdemont (à droite) et Roger Torrent (à gauche), le nouveau président du parlement catalan, ont longuement évoqué le casse-tête de l'investiture, mercredi 24 janvier à Bruxelles.
Carles Puigdemont (à droite) et Roger Torrent (à gauche), le nouveau président du parlement catalan, ont longuement évoqué le casse-tête de l’investiture, mercredi 24 janvier à Bruxelles.

Destitué et exilé à Bruxelles, menacé d’être incarcéré par l’Espagne, le président catalan a gagné les élections du 21 décembre provoquées par Mariano Rajoy. La pression espagnole demeure très forte sur les députés indépendantistes. Un quart d’entre eux, soit 18 sur 70, sont sous le coup d’inculpations pour avoir participé à l’organisation du référendum en 2017. Ils risquent la prison et l’interdiction d’exercer tout mandat électif.

Le parlement catalan issu des élections du 21 décembre a apporté la preuve qu’une majorité indépendantiste était à même de gouverner le pays. Il a élu à sa tête le député ERC Roger Torrent le 17 janvier, ainsi que le bureau du parlement où tous les partis politiques sont représentés, hormis le PP et CUP qui ne disposent pas d’un groupe parlementaire.

Les trois députés indépendantistes incarcérés ont pu voter par procuration, les cinq autres exilés à Bruxelles —dont Carles Puigdemont luimême— n’ont pu participer à cette élection.

Les élus indépendantistes sont parvenus à être majoritaires grâce à l’abstention des 8 députés d’En Comù-Podemos.

Cette formation refuse d’autant plus de s’aligner sur l’opposition espagnoliste (Ciudadanos, PP et socialistes), que la maire de Barcelone Ada Colau, leader de En Comù, a rompu avec les socialistes en novembre 2017 la coalition qui gouvernait la capitale. Elle compte aujourd’hui sur l’appui d’ERC et de PDeCAT pour jeter les bases d’une nouvelle majorité municipale.

La pression espagnole demeure très forte sur les députés indépendantistes. Un quart d’entre eux, soit 18 sur 70, sont sous le coup d’inculpations pour avoir participé à l’organisation du référendum en 2017. Ils risquent la prison et l’interdiction d’exercer tout mandat électif.

L’ex-vice-président du gouvernement catalan, leader d’ERC et réélu député, Oriol Junqueras, demeure en détention provisoire. Le 5 janvier, les trois magistrats de la cour suprême espagnole en ont décidé ainsi, estimant qu’il n’a pas renoncé à ses idées politiques et que s’il est libéré, il risque de récidiver dans la voie qu’il a suivi jusqu’à maintenant. A part ça, il ne s’agit en rien d’un “prisonnier politique” et la “justice” espagnole ne connaît pas le délit d’opinion.

Avec les deux autres députés indépendantistes incarcérés, Joaquim Forn et Jordi Cuixart, tous trois ont été autorisés à participer par procuration à l’élection du 17 janvier au parlement catalan. Mais il n’en est rien pour les cinq ex-membres du gouvernement catalan, aujourd’hui réélus députés et qui sont exilés à Bruxelles.

Si jamais ils foulent le territoire de l’État espagnol, ils sont toujours menacés de prison pour rébellion, sédition et détournement de fonds publics.

Pressions et retraits

Du fait de ces pressions considérables, l’ancienne présidente du parlement catalan, Carme Forcadell, a cédé sa place le 11 décembre au profit d’un candidat non mis en examen, Roger Torrent. Carles Mundo, ancien ministre catalan de la Justice, annonce le 9 janvier qu’il abandonne la politique “pour des raisons personnelles”. Le même jour, l’ancien président de la Generalitat Artur Mas quitte la présidence de PDeCAT. Son indépendantisme a toujours été beaucoup plus ambigu que celui de son successeur et son ancien parti Convergencia a été condamné le 15 janvier pour une affaire de corruption dans l’attribution de marchés publics.

Plus que jamais, les regards sont rivés sur Bruxelles. Carles Puigdemont a obtenu le soutien de tous les partis indépendantistes pour être réélu à la présidence de la Catalogne. Avec les quatre autres députés exilés, seront-ils présents physiquement, participeront-ils au vote et comment? Reviendront-ils en Catalogne après le vote du parlement? Roger Torrent et Carles Puigdemont entretiennent le suspense et prennent soin de ne rien dévoiler de leurs intentions: “Badu ere ilea uzten, axeriak ez du bere izaitea buluzten”…

Le 25 janvier, le conseil d’État autorise la candidature de Carles Puigdemont et le vote du parlement catalan Le gouvernement espagnol fait la grimace et présente un recours devant la Cour suprême pour s’opposer à cette candidature à titre préventif. Nouvelle curiosité juridique dont l’Espagne n’est pourtant pas avare: obtenir l’interdiction d’un vote considéré comme un délit, avant qu’il ne soit commis, et l’élection d’un candidat qui bénéficie de l’immunité parlementaire. Le parlement tenait sa session le mardi 30 janvier à 15h, au moment où Enbata était déjà sous presse. Mariano Rajoy a compris le piège d’une telle élection qui donnera une nouvelle légitimité à son adversaire. Il assure qu’elle ne se fera pas, qu’il fera tout pour l’empêcher. Sa grande hantise est que le roi soit obligé de signer le décret d’investiture de Carles Puigdemont… Mais aucun des deux leaders et leurs équipes ne révèlent les moyens qu’ils mettront en oeuvre pour parvenir à leurs fins. Le premier ministre espagnol assure qu’il est prêt à reconduire l’article 155 de la Constitution et donc à destituer le nouveau gouvernement catalan.

L’Espagne se satisfait d’une réponse exclusivement judiciaire à la crise catalane et refuse toute gestion politique, à plus forte raison toute négociation.

Gouvernement Rajoy en sursis

Cette situation inédite n’émeut aucune institution européenne. La plupart des gouvernements sont confrontés à des questions qui engagent leur survie politique. Mariano Rajoy lui-même a fort à faire. Dans l’affaire Gürtel, il est acculé par une procédure judiciaire concernant le financement illégal de son parti politique et doit se soumettre aux interrogatoires des magistrats, ce qui est tout de même très humiliant pour un chef de gouvernement en exercice et particulièrement dévastateur auprès de l’opinion publique.

Mais pour lui, il y a plus inquiétant encore. Le parti Ciudadanos a fracturé la droite et lui a fait largement perdre la majorité absolue qu’il détenait hier en Espagne. L’outsider arrive aujourd’hui en tête dans les sondages parus en janvier (27% contre 23% au PP). Le 21 décembre, le PP s’est effondré en Catalogne au profit de son clone ultra anti-catalaniste. En ce début d’année, Mariano Rajoy aura beaucoup de mal à faire voter son budget. Le PP et Ciudadanos refusent de le soutenir. Il tente de trouver une marge de manoeuvre en légiférant par décret, en particulier sur le plan fiscal. Tout cela demeure du bricolage et le premier ministre espagnol apparaît comme un homme en sursis. Il tente à gauche de négocier avec le PSOE, dans le sillage d’Angela Merkel en Allemagne. Cela concerne deux questions clefs, le financement des autonomies et la gestion de l’eau. Signe des temps, Mariano Rajoy peine à mobiliser les poids lourds du PP pour qu’ils partent en 2019 à la reconquête des vingt grandes municipalités perdues en 2015 et de six gouvernements autonomes sur les dix que ce parti présidait à l’époque.

La gauche espagnole n’est pas en meilleure santé. Le PSOE ne progresse pas et peine à élaborer une alternative crédible pour diriger le pays. Podemos est à la traîne, miné par ses dissensions internes.

A droite, la montée en puissance de Ciudadanos n’est pas une bonne nouvelle pour les Catalans et les Basques, si tant est qu’un jour ce nouveau parti parvienne à gouverner.

L’alternance gauche-droite est révolue. Devenue ingouvernable, l’Espagne s’enfonce dans une crise politique qui risque de durer. “L’ancien monde se meurt et le nouveau tarde à apparaître” et “pendant cet inter-règne, surgissent les phénomènes morbides les plus variés(1).

Mais crises et situations bloquées génèrent un jour du neuf.

(1) Antonio Gramsci, Les Cahiers de Prison, n° 3, 1929-1935.

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