Le nouveau parti de gauche Podemos arrive en tête en Hegoalde au détriment des indépendantistes qui voient fondre leur représentation. Paradoxe : la représentation abertzale baisse, mais augmente le nombre des députés prônant une consultation référendaire sur l’avenir du Pays Basque. Le quadri-partisme qui divise l’Espagne rend le pays difficilement gouvernable. On parle déjà de nouvelles élections.
Né il y a dix-neuf mois à peine, présentant des candidats inconnus, affaibli par une direction locale évincée un mois avant le scrutin, Podemos est au soir du 20 décembre, le premier parti politique du Pays Basque et le troisième parti espagnol, au coude à coude avec le PSOE. Seul le PNV est parvenu à augmenter le nombre de ses élus, alors que le nombre de ses électeurs baisse.
Le PP et le PSOE chutent en Pays Basque comme en Espagne mais, dans la défaite, ce dernier sauve les meubles. Le taux de participation à cette élection est supérieur à celui de 2011, entre 4 et 5% selon les provinces, soit une participation de 73,21% dans l’Etat espagnol.
Issu du mouvement des Indignés, dernier né sur la scène politique, Podemos est parvenu à devancer, en voix comme en sièges, les deux formations qui dominaient hier la vie politique
basque, le PNV et la gauche abertzale.
Considéré comme le parti le plus critique à l’égard du gouvernement espagnol, Podemos prône le “droit de décider”, c’est-à-dire l’organisation de référendums d’autodétermination en Catalogne et en Pays Basque, tout en étant opposé à l’indépendance. Il obtient un triomphe en Gipuzkoa en dépassant le PNV. Le parti de Pablo Iglesias siphonne littéralement l’électorat de la coalition abertzale de gauche composée de Sortu, EA, Aralar et Alternatiba qui perd 50.000 voix dans son fief historique. Son arrivée en tête à Arrasate-Mondragon constitue une surprise emblématique.
Il parvient également à séduire l’électorat socialiste, comme le montrent ses scores dans plusieurs cités de gauche et talonne le PNV en Biscaye à moins de 2% de ses voix. Il bat le vieux parti historique sur l’ensemble de la Communauté autonome basque (CAB), ce qui promet pour les prochaines élections autonomiques, même si chaque scrutin a sa logique propre.
Electorat jeune et urbain
Pour les élections forales et municipales il y a six mois, Podemos avait déjà réalisé une belle percée en passant devant le PP et le PSOE dans la CAB, il double aujourd’hui son score.
Il s’agit d’un véritable raz-de-marée totalement inédit dans la vie politique de ce pays.
En tête en Guipuzkoa et en Araba, Podemos est apparu aux yeux des électeurs comme crédible pour le changement. Son électorat est plutôt jeune, urbain et moins sensibilisé à la question nationale. Toute la question est de savoir s’il parviendra vraiment à construire un parti et à s’implanter durablement. Malgré ce que dit son nom qui fait écho au “Yes we can” de Barack Obama, avec la désillusion face à l’impuissance qui caractérise aujourd’hui le politique, il risque aussi de décevoir un jour, avec pour conséquence la volatilité de ses électeurs. Le “sujet supposé savoir” de la psychanalyse n’est pas loin du sujet supposé pouvoir de l’action politique que réveillent les candidats à chaque élection.
Le PNV avance pas à pas
Le PNV parvient à bien tirer son épingle du jeu : il gagne un député en Gipuzkoa et confirme son retour dans la province, après la conquête de la députation et de Donostia en mai dernier. Bien qu’il baisse en Biscaye en nombre de voix, il demeure le premier parti de cette province devant Podemos. Il consolide ainsi son groupe parlementaire aux Cortes et au Sénat, malgré la perte de 23.000 électeurs et de 3% de son électorat. Il est le seul à résister face au tsunami de Podemos, un véritable exploit.
Dans une Espagne ingouvernable du fait du quadri-partisme, il peut être faiseur de roi selon les circonstances. La fidélité de ses électeurs le maintient en bonne position pour gagner les élections autonomiques qui auront lieu dans quelques mois.
En Navarre, Geroa bai dont fait partie le PNV, n’obtient pas d’élu. C’est l’un des paradoxes de ce scrutin : alors que la province est dirigée par Geroa bai et la capitale par EH Bildu, ces deux formations abertzale qui totalisent 18% des voix, n’obtiennent aucun député. La logique des partis avec pour corollaire la division, ont un coût et l’embellie de mai aura été de courte durée.
Indépendantistes en péril
EH Bildu est le grand perdant de ce scrutin, dans la logique d’une baisse déjà amorcée en mai. De 7 députés en 2011, il n’en obtient que 2 en 2015 avec une hémorragie de 116.000 voix. Sa chute est particulièrement sévère en Gipuzkoa où il perd deux députés et passe en troisième position, mais aussi en Araba et en Navarre où il n’obtient aucun représentant. La gauche abertzale se rapproche dangereusement de son étiage historique, comme si la greffe de plusieurs sensibilités, dont celle partielle d’EA, celle d’Alternatiba ou encore d’Aralar, avait mal pris. Ses dirigeants qui doivent avaler deux échecs successifs et beaucoup “d’illusions perdues”, assurent une fois de plus que bilan et autocritique sont à l’ordre du jour.
Décidément, rien ne lui sera épargné. L’absence d’un leader tel qu’Arnaldo Otegi susceptible de l’aider à tourner la page de la lutte armée et de lui donner un second souffle pour bâtir le souverainisme du XXIe siècle, se fait cruellement sentir.
Les socialistes parviennent à conserver un député par province, malgré l’érosion de leur électorat qui s’est aussi tourné vers Podemos. C’est en Biscaye qu’ils perdent un élu.
De son côté, le PP obtient 4 députés, il n’a plus de représentant en Gipuzkoa, pour la première fois depuis 22 ans et Podemos lui ravit la première place en Araba, grâce sans doute à un candidat relativement connu, l’ex-directeur de Greenpeace en Espagne. Ce n’est qu’en Navarre que la coalition UPN-PP maintient sa représentation de deux élus, malgré la perte de 25.000 voix. Son rival Ciudadanos rassemble 75.000 voix dans les quatre provinces, mais n’obtient aucun représentant. La loi électorale à la proportionnelle et la nature des circonscriptions ont des effets multiplicateurs qui aggravent certains phénomènes.
La vie politique basque a été longtemps marquée par l’affrontement de deux blocs, espagnolistes contre abertzale. L’émergence d’une formation hybride telle que Podemos constitue une nouveauté considérable. Un an et demi après sa première candidature aux élections européennes, elle a réussi à se présenter comme le vote utile pour dire non au PP dans une élection qui concerne l’ensemble de l’Etat espagnol. Et à passer devant le PNV en Pays Basque… On saura dans quelques mois lors des élections autonomiques si ce courant maintient son implantation et bouleverse vraiment notre pays. Dans les trois provinces, le total des abertzale n’atteint que 40%, mais l’ensemble des forces prônant un référendum sur l’avenir du pays, se hisse à 65%. Ce n’est pas le moindre paradoxe de cette élection. Il démontre la mutation de la carte politique basque dont la représentation devient encore un peu plus fragmentée.
L’émergence d’une formation hybride
telle que Podemos constitue
une nouveauté considérable.
Un an et demi après sa première candidature
aux élections européennes, elle a réussi
à se présenter comme le vote utile
pour dire non au PP
dans une élection qui concerne
l’ensemble de l’Etat espagnol.
Catalogne
Le phénomène Podemos a également atteint la Catalogne où la succursale locale de cette formation arrive en tête avec 12 députés. Comme en Pays Basque, elle s’impose grâce au vote urbain et a pour corollaire un affaiblissement des socialistes et des autonomistes. Les indépendantistes d’ERC triplent leur représentation : de trois députés en 2011, ils passent à 9. Les électeurs ont préféré l’original à la copie. En effet, le parti d’Artur Mas, Convergencia i Unió, qui a effectué récemment un grand virage indépendantiste, a peu été suivi par son électorat. Il subit de plein fouet sa scission avec Unió. La coalition totalisait en 2011 16 députés, 10 pour Convergencia et 6 pour Unió. Aujourd’hui, Convergencia n’obtient que 8 élus et Unió aucun.
Le parti ultra-jacobin de centre-droit Ciudadanos, né en Catalogne pour contrer l’indépendantisme, ne réalise pas la percée attendue, il n’obtient que 5 élus, à égalité avec le PP qui chute lourdement. Le parti de Mariano Rajoy passe de 11 députés à 5. Le score socialiste fond comme neige au soleil : de 14 députés hier, il se retrouve aujourd’hui avec seulement 8 représentants.
En Catalogne aussi, le résultat de ce scrutin est paradoxal au regard de la question nationale. Plus de 64% des électeurs sont opposés à l’indépendance, mais 56% sont favorables à l’organisation d’un référendum d’autodétermination. Enfin la situation du président en exercice Artur Mas devient de plus en plus intenable. Son parti est relégué à la quatrième place et il n’est toujours pas parvenu à obtenir sa réélection par le parlement catalan, du fait de l’obstruction de CUP qui ne présentait pas de candidats aux législatives du 20 décembre.
Podemos et ses quatre groupes parlementaires