La pandémie qui nous frappe a fait la célébrité du pangolin asiatique dont les écailles réduites en poudre sont réputées soigner les humains. Le père Armand David en avait fait la découverte dans les années 1869-70.
“Tout homme observateur et instruit sait que rien n’est constamment dans le même état à la surface du globe terrestre…”. Rien de plus vrai que cette citation signée du biologiste-botaniste français (1744- 1829) Jean-Baptiste de Lamarck. Elle figure en exergue sur l’une des pages de garde de l’ouvrage consacré à l’un des grands naturalistes de la deuxième moitié du XIXe siècle, intitulé Le nuage et la vitrine. Une vie de Monsieur David(1).
Originaire d’Espelette, ce missionnaire trop longtemps oublié, parcourut la Chine à la recherche d’espèces “nouvelles” d’une extrême variété, destinées au Muséum d’Histoire Naturelle de Paris, dont il fut un correspondant passionné et passionnant. Ceci, à un moment où l’Eglise catholique se partageait encore entre évangélisation et découverte de terres lointaines (dont la Chine) que de grandes puissances européennes colonialistes se disputaient âprement.
Premières explorations en 1862. Parmi les milliers de contributions du Père David figure cet animal désormais célèbre, que la crise du Covid 19 ne nous a pas rendu particulièrement sympathique. Soit le pangolin, toujours très prisé par les Asiatiques, moins pour sa chair que pour ses spectaculaires écailles couleur caramel. Plutôt agressives (pour ne pas dire repoussantes) aux yeux des Européens que nous sommes, celles-ci ont en effet la réputation d’être dotées de grandes vertus médicinales. Elles en font l’un des animaux les plus pourchassés de la planète (aubaines pour braconniers), revendus sur les marchés dans une promiscuité mortifère, dont la survie est menacée.
Entre la chauve-souris et l’homme
Le pangolin est donc ce mammifère insectivore sorti de son habitat naturel soupçonné d’avoir servi de vecteur entre la chauve-souris et l’homme, source de propagation du virus pandémique, dans la mégapole de Wuhan.
Virus venu (momentanément du moins) changer notre mode de vie, nous obligeant à nous tenir à distance des autres mortels et à adopter ces masques derrière lesquels le moindre sourire n’existe plus. Modifiera-t-il durablement notre façon de concevoir la vie et notre rapport avec la nature tout court ?
Au tournant des années 1869-1870, le pangolin apparaissait en tout cas dans une liste de curiosités ramenées par le père David de l’une de ses expéditions en “ces sauvages contrées où rien ne pouvait servir de refuge aux explorateurs”.
Un terrible épisode de choléra l’y avait “mis à deux pas de la tombe”. Au fait, de quoi disposait-on à l’époque pour vaincre cette maladie épouvantable qui frappait aveuglément ? Pas d’autre remède semble-t-il, que de la farine de moutarde, de l’eau de riz, du thé, et de l’huile. L’explorateur racontait aussi que lors d’un épisode infectieux qui affecta l’un de ses pieds (décrit comme “Typhus des os”) un médecin chinois lui avait prescrit de la graisse de panthère. “Parmi les objets transportés, écrivait un peu plus tard le père David (rapport de 1871, destiné aux professeurs-administrateurs du Muséum), je vis beaucoup de peaux de civettes, de chats sauvages, de pangolins, des cornes de deux espèces de cerfs, etc. et surtout, une énorme quantité de racines médicinales, en particulier de Rhubarbe…” De ces explorations-là, l’évangélisateur ramena aussi une salamandre carnassière, de taille considérable appelée “Sieboldia davidii”. De même qu’un grand rongeur terrestre se nourrissant de racines de bambous sauvages et non de jeunes pousses, comme le panda devenu l’emblème du WWF en 1961. Un véritable bestiaire. Reste qu’épuisé par ses incessantes pérégrinations, le Père David ne songeait alors qu’à se refaire une santé. Rentré à Pékin, il allait donc momentanément gagner l’Italie et Espelette avant de retrouver Paris en juin 1871.
L’ultime voyage1872 -1874
Une petite année plus tard (mars 1872), requinqué, il était de retour en Chine dont il foulera le sol pour la dernière fois. Le pangolin n’est pas la découverte qui l’aura rendu célèbre, mais bel et bien le Grand panda. Alors qu’il explorait la région des marches sino-tibétaines de Moupin, le 23 mars 1869 des chasseurs indigènes lui avaient proposé la dépouille d’un jeune animal, ce fameux “ours blanc” dont il avait déjà entendu parler comme d’une merveille inoffensive, très difficile à capturer : “il est tout blanc, à l’exception des quatre membres, des oreilles et du tour des yeux d’un noir profond”. “Une nouvelle espèce d’ursidé très remarquable…”. Il s’était empressé d’en expédier (par bateau) trois dépouilles au Muséum. Première européenne. Au fil de ses ultimes aventures, le Lazariste déplorait que l’immense Empire (il évoquait de temps à autre l’extrême indigence de sa population et ses accès de cruauté notamment envers les communautés chrétiennes), ne s’intéresse au monde naturel qu’à des fins utilitaires : agriculture, médication. Lui, est un religieux, un scientifique évolutionniste, mû par la passion de la recherche naturaliste, doublée d’un certain goût pour la chasse aux papillons et toute autre espèce. Mais assurait-t-il, “seules les nécessités de la vie et les besoins des collections scientifiques excusent la destruction de quelques-uns des êtres de la nature…” A ses yeux, si “l’Europe donne l’exemple du juste usage du monde, la Chine de l’époque ainsi que le rapporte l’auteur Emmanuel Boutan, est l’empire de l’abus, de la fausse mesure et d’un solipsisme jaune”. Dit autrement, elle était cet Empire qui ne reconnaissait pas d’autre réalité que la sienne. Près d’un siècle et demi a passé. La Chine qui fut partiellement dominée par les Européens, n’est plus la même. L’Europe plus mondialisée, plus tributaire et “asservie” que jamais par l’empire industriel chinois, non plus.
(1) La vitrine et le nuage. Une vie de Monsieur David, d’Emmanuel Boutan, paru en juillet 1993 aux éditions Chabaud. Préfacé par le cardinal Roger Etchegaray et Jean-François Terrasse, ex-directeur de la Conservation au WWF-France.
Tenace, solitaire, obstiné, vigoureux, Armand David (Espelette 1826-Paris 1900) fut à une époque où la France regardait “vers le large”, tour à tour, géologue, paléontologiste, entomologiste, botaniste et zoologue (études des reptiles, amphibiens, mammifères et oiseaux). Il écrivit trois récits détaillés : les deux premiers Mongolie et Chine centrale et occidentale, le troisième consacré à la Chine centre et sud.