Avant le logement, le foncier

DL

Avoir la maîtrise du foncier est un enjeu crucial pour le développement de notre territoire et pour contenir les prix du marché sur la délicate question du logement. Voici pourquoi cette question est aujourd’hui prioritaire.

Aux lendemains de la manifestation du 20 novembre sur le logement, rien n’est fini, bien au contraire ; tout commence ! Les gens qui se sont massivement déplacés à Bayonne ont fait entendre leur colère face à une situation du logement qui atteint un niveau sans cesse plus dramatique, les politiques publiques paraissant impuissantes face aux logiques de marché libre. Aujourd’hui, il s’agit de savoir organiser collectivement le rapport de forces face à ce marché, mais aussi de savoir cibler les priorités.

Cas d’école

Pour ma part, la priorité va au foncier. Préserver les terres agricoles et naturelles, limiter les extensions de l’urbanisation aux seules zones où elles sont considérées comme souhaitables et s’assurer du type de destination qu’on leur donnera, produire du logement en valorisant l’existant, introduire tout cela au cœur d’un aménagement global du territoire qui soit à la fois géographiquement et économiquement cohérent, socialement juste et écologiquement soutenable, tout cela demande une condition de base : conserver ou récupérer la maîtrise du foncier. C’est d’une simplicité enfantine : si le terrain n’est pas à moi, ce n’est pas moi qui déciderai de ce qu’on va en faire. Et moi, c’est essentiellement la collectivité. Or s’il est un constat alarmant, c’est bien que celle-ci manque d’une stratégie foncière. Voici un exemple luzien récent, heureusement d’une issue pour l’instant heureuse, mais qui me semble éclairant.

Nous voici donc dans la Cité des corsaires, cité des armateurs, des chasseurs de baleines, des pêcheurs de Terre-Neuve et de Dakar et… de Jean-François Irigoyen (bon, les grandes heures historiques, ça va, ça vient…). A l’origine de l’histoire, une Orientation d’Aménagement et de Programmation du nouveau PLU, prévoyant sur les hauteurs d’un quartier périphérique de la ville un objectif d’environ 300 logements nouveaux dont 50% de locatif social et 20% d’accession sociale. L’opposition du groupe abertzale local à cette OAP importe peu dans cette histoire, il reste que dans ce cadre une partie de ces terrains actuellement boisés attise la convoitise de plusieurs promoteurs privés et sociaux. Les enchères montent et le promoteur LP, en chasse au Pays Basque nord, se positionne. Il sait qu’il faudra 70% de logement social sur la zone mais que l’image d’une surenchère privée agressive passera probablement mal. Il propose donc à l’opérateur social Domofrance – qui veut également s’implanter ici et a des moyens démesurés tirés notamment du 1% patronal – de négocier le compromis de vente du terrain. Résultat : 7 millions proposés aux vendeurs, dont 6,625 millions de prix d’achat + 335 594€ de remboursement des plus-values ! Il est prévu qu’ensuite LP rachète le foncier destiné à la partie libre du programme pour 5,5 millions, avec pour projet des villas mitoyennes à 8000€/m2 , alors qu’on est à plus de deux kilomètres de la plage ! La Ville, paniquée par l’affaire, demande à l’agglomération de saisir l’EPFL, qui fait une offre à 3,303 millions, les Domaines ayant estimé à 3,485 millions, soit la moitié de ce que les promoteurs étaient prêts à offrir !

Manque d’anticipation

Les propriétaires et l’opérateur social saisissent le juge administratif, qui tranche heureusement en faveur de l’EPFL, provoquant le retrait de Domofrance. Pour l’instant l’affaire en est là, le délirant projet privé ayant avorté in extremis. Il convient de rester vigilant. Mais il reste de cette histoire qu’on a eu là affaire à une sorte de cheval de Troie : un opérateur censé être social permettant l’entrée sur site d’un promoteur privé, phénomène nouveau et parfaitement scandaleux. Symbole d’une pratique spéculative forcenée, les promoteurs proposaient même de payer la plus-value des vendeurs, d’un montant s’élevant au prix d’un bel appartement au centre-ville ! La conséquence prévisible, indépendamment des seuls prix de la partie libre du programme, aurait été une montée en flèche des prix du foncier dans tout le secteur.

Il ressort également de l’histoire que la Ville, qui avait pourtant ciblé dans son PLU cette zone comme un espace prioritaire en vue de sa politique urbanistique, ne s’était pas préoccupée d’adosser cette politique à une stratégie de constitution de réserves foncières, soit en achetant directement ou par le biais de l’EPFL, soit en préparant l’avenir en établissant un emplacement réservé, une zone d’aménagement différé, quoi que ce soit qui décourage toute velléité privée. Au lieu de cela, les OAP de ce type restent des vœux pieux. Pire, quand un promoteur privé met le grapin dessus, les servitudes de mixité sociale finissent presque par devenir des facteurs aggravants, car ils font, par souci d’équilibre financier, grimper les prix sur la partie privée.

Etablir une stratégie

Leçon de tout cela : constituer du stock foncier est essentiel à l’heure actuelle, surtout si on va vers la limitation de la consommation foncière dans les futurs PLUI. Cela coûtera cher, et c’est bien à cela que les ressources fiscales tirées de la plus forte taxation de la résidence secondaire, la taxation des droits de mutation sur leur achat, toute autre mesure fiscale de ce type, gagneraient à être affectées. Quant aux prix du foncier et du bâti, leur encadrement pur et simple ou, a minima, une réforme du régime de la plus-value rendant vaine toute pratique spéculative, s’avèrent nécessaires. On le voit, tout se tient et chaque mesure envisageable en matière de foncier et de logement doit entrer en cohérence avec les autres, en une stratégie d’ensemble qui reste encore à définir collectivement. L’alpha de cette stratégie ne pourra qu’être foncier. La foire aux propositions, surtout à six mois des législatives, est toujours intéressante mais elle ne portera ses meilleurs fruits qu’à cette condition. Du pain sur la planche donc, pour que la mobilisation du 20 novembre ne risque pas de rester comme un bel effort populaire isolé.

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