Le projet d’une autoroute ferroviaire à Mouguerre, sous couvert de mesure en faveur du climat, promet plutôt d’artificialiser neuf hectares de zone humide alors que des solutions plus simples et moins coûteuses sont à portée.
Nous pensions tous que s’il fallait attribuer une fonction de frontière à Mouguerre, sise au bord de l’Adour, ce serait avec nos voisins du Seignanx. Il semblerait d’ailleurs que l’étymologie de “Mugerre” pourrait renvoyer à “muga”, la frontière et “erre”, brûlée. Nous apprenons avec stupéfaction qu’elle est également considérée par certains comme frontalière de l’Etat espagnol. C’est en effet à Mouguerre que se termine le projet d’autoroute ferroviaire reliant l’Irlande à l’Espagne. Voilà donc qui va bousculer nos rudiments de géographie. Mais pour comprendre, faisons un peu d’histoire récente.
Vous vous souvenez sans doute de la Convention citoyenne sur le climat lancée en avril 2019 par le Président Macron, qui devait permettre aux 150 citoyens tirés au sort de faire des propositions pour lutter contre le changement climatique. Propositions pour lesquelles Emmanuel Macron avait déclaré : “Ce qui sortira de cette Convention, je m’y engage, sera soumis sans filtre soit au vote du Parlement, soit à référendum, soit à application réglementaire directe”. A l’issue de la convention, le Président avait fait valoir trois jokers, ne retenant donc que 146 des 149 propositions formulées. La suite est connue : près de dix-huit mois plus tard, les citoyens de la Convention ont attribué la sévère note de 3,3 sur 10 au gouvernement pour sa capacité à reprendre leurs propositions. Le journal Le Monde estime que seules 18 des 146 propositions (soit 12%) font l’objet d’une reprise intégrale sans filtre, comme promis. Sont absentes de l’action de l’exécutif 23 propositions (en plus des 3 jokers), 78 mesures (soit 53%) sont reprises partiellement, le restant étant repoussé à une date ultérieure. Le Monde rapporte ainsi le sentiment d’un des conventionnistes : “Le gouvernement n’a repris que les mesures faciles ou qui servent les intérêts économiques”.
Mais que vient faire Mouguerre là-dedans ? Nous y venons. Le 27 juillet 2020, le gouvernement réunit son conseil de défense écologique et annonce “dans le cadre de la convention citoyenne” une série de mesures liées au fret ferroviaire. La plus remarquable est le soutien à la mise en place de trois “autoroutes ferroviaires”, dont l’une ira de Cherbourg à Mouguerre. Ce projet est porté par Brittany Ferries, célèbre compagnie maritime de transport de passagers et de marchandises. Son objectif ? Proposer un itinéraire pour le fret entre l’Irlande et l’Espagne. En effet, avec le Brexit, les camions en partance de l’Irlande ne veulent plus transiter par la route à travers le Royaume-Uni afin éviter des taxes douanières. Les camions vont donc aller par bateau du port de Rosslare en Irlande directement à Cherbourg en France pour rester dans l’Union européenne. A Cherbourg ils monteront sur un train qui les amènera en Espagne. Ah non, pardon, pas en Espagne, mais à Mouguerre. Sans doute vu de loin, cela ne fait pas grande différence, mais pour nous, cela en fait beaucoup. Reprenons donc : des camions embarqués sur des bateaux à Rosslare vont en descendre pour prendre le train dans le port de Cherbourg en direction de Mouguerre et finir leur trajet en empruntant l’autoroute entre Mouguerre et Biriatou (et inversement pour leur retour). Alors qu’ils étaient déjà sur des bateaux de la compagnie Brittany Ferries qui propose pourtant un trajet par bateau entre Rosslare et Bilbao. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
L’autoroute ferroviaire, fausse bonne idée, très lucrative
L’explication de ce projet incongru est donc peut-être à chercher ailleurs et dans les mesures “qui servent les intérêts économiques”, pour reprendre la remarque précitée du conventionniste. Pour cela, il faut entrer dans le détail de ce qu’est une autoroute ferroviaire : il s’agit de transporter, non pas uniquement le container du camion, mais son container encore posé sur ses roues. Cela nécessite donc des wagons spéciaux, surbaissés, fabriqués par l’industriel Modalhor (de l’ordre de 400.000 euros le wagon) et toute une logistique particulière, à la différence du transport du fret par container, tel qu’il existe déjà au centre de fret de Mouguerre, beaucoup plus souple, qui permet beaucoup de gares intermédiaires et donc un maillage plus fin du territoire. En matière de fret, l’autoroute ferroviaire présente la même tare que la LGV qui dessert les pôles de niveaux européens en sacrifiant peu à peu les gares des villes moyennes. L’autoroute ferroviaire est une fausse bonne idée, mais très lucrative.
Combien tout ceci va coûter en aménagement à la CAPB ;
comment préserver les zones humides comme acté par les élus de la CAPB
lors du vote du Plan Climat ;
comment les riverains seront-ils protégés des futures inondations ;
pourquoi ne pas faire rouler le train jusqu’à Hendaye
où existe une zone de fret importante et sous-utilisée ;
pourquoi les camions ne restent-ils pas sur des bateaux
jusqu’à Bilbao plutôt que de débarquer à Cherbourg ?
Protéger les zones humides, un engagement de la CAPB
Cependant le projet annoncé en 2020 a déjà du retard, car du côté de Mouguerre, le Centre européen de fret doit s’agrandir pour l’accueillir. En l’occurrence, cet agrandissement nécessite d’artificialiser neuf hectares des dernières barthes de l’Adour présentes sur Mouguerre. Le CADE et l’association Mouguerre Cadre de Vie demandent que se tienne une enquête publique autour de ce projet. Cela permettrait de mettre à disposition du public des éléments de décision : combien tout ceci va coûter en aménagement à la CAPB ; comment préserver les zones humides comme acté par les élus de la CAPB lors du vote du Plan Climat ; comment les riverains seront-ils protégés des futures inondations ; pourquoi ne pas faire rouler le train jusqu’à Hendaye où existe une zone de fret importante et sous-utilisée ce qui épargnerait les barthes de Mouguerre et éviterait le flux supplémentaire sur l’A63 ; pourquoi les camions ne restent-ils pas sur des bateaux jusqu’à Bilbao plutôt que de débarquer à Cherbourg ? D’ailleurs, pour en revenir à la Convention climat, dont le gouvernement s’est servi pour annoncer ce projet, jamais elle n’a proposé cette solution. Au contraire, elle a appelé à développer les autoroutes…. maritimes !