Après que le président ukrainien Volodymyr Zelenski ait évoqué le bombardement de Gernika devant les parlementaires espagnols, pour évoquer la situation de son pays, le gouvernement espagnol a dénoncé, pour la première fois, ce massacre contre des populations civiles.
Il aura donc fallu attendre le 26 avril 2022, jour du 85e anniversaire du bombardement de Gernika, pour qu’un gouvernement espagnol, s’exprimant devant ses propres concitoyens et la communauté internationale toute entière, dénonce enfin cet acte de barbarie resté dans les mémoires.
Le conseil des ministres espagnol a en effet, diffusé un communiqué de condamnation, évoquant ce bombardement indiscriminé sur une petite bourgade rurale de 7.000 habitants, perpétré par l’aviation allemande soutenue par son homologue italienne, avec la bénédiction des autorités franquistes. Un fait de guerre précurseur, perpétré à titre de “répétition générale” et pour l’exemple, devenu l’un des symboles universels des horreurs de la guerre moderne. La cité fut presque totalement détruite par un jour printanier de marché.
Le communiqué du conseil des ministres tenu le 26 avril 2022 à Madrid, présidé par Pedro Sanchez, chef de gouvernement, a été évoqué lors de la conférence de presse tenue peu après. Le communiqué en question, il faut le souligner, n’est assorti d’aucune demande de pardon de la part de l’État espagnol. Sans doute était-ce trop demander. Reste qu’un chef de l’État allemand, lui, s’était plié à cet exercice (sans doute difficile mais courageux), en 1997. Il s’agissait de l’ex- président fédéral Roman Herzog. “Gratifiant pour les victimes”. Le maire de Gernika a estimé que la teneur du message officiel n’en n’était pas moins “gratifiante” pour les victimes. Selon Iñigo Urkullu, président du gouvernement basque, Euskadi attendait depuis très longtemps, “un geste” digne de ce nom, qui a fini par se produire après des décennies de vaines attentes, doublées d’une longue série de requêtes formelles demeurées sans réponse.
On a peine à le croire, mais lors de ce 85e anniversaire du bombardement, un gouvernement espagnol était pour la première fois représenté à Gernika en la personne du Secrétaire d’Etat chargé de la Mémoire démocratique.
En fait, l’ambassade d’Ukraine à Madrid était, elle aussi, bel et bien représentée dans la cité, alors que les assauts russes dont les Ukrainiens sont victimes, se prolongeaient depuis plus de deux mois, au rythme de bombardements quasi journaliers. Pourquoi donc ? Le changement d’attitude du gouvernement de Pedro Sanchez a-t-il été précipité par le discours du président ukrainien Volodymyr Zelenski prononcé en visioconférence le 5 avril dernier, à l’adresse du congrès des députés et des sénateurs à Madrid ? On est tenté de le penser. Ce jour-là en effet, le chef de l’État ukrainien faisait un parallèle entre les assauts subis par son pays et la tragédie vécue par Gernika, alors qu’il exhortait l’Espagne à soutenir l’Ukraine et les entreprises espagnoles à cesser leurs activités en Russie. “Nous sommes en avril 2022, dit-il aux parlementaires espagnols, mais il semble que nous sommes en avril 1937, lorsque le monde apprenait l’attaque survenue contre Gernika…” Le témoignage de George Steer Lors de la guerre d’Espagne, d’autres communes basques telles que Durango ou Elorrio furent, elles aussi, bombardées, à moindre échelle néanmoins.
On ne compte plus les villes prises pour cibles majeures tout au long du siècle précédent en Europe (y compris en pleine guerre civile), lors de la Seconde guerre mondiale et au-delà quoique que plus tardivement, en Afghanistan, Irak, Syrie… Les civils furent les premières victimes expiatoires de ces conflits majeurs lourds de conséquences. On ne remerciera jamais assez le journaliste sud-africain, George Steer d’avoir relaté pour The Times et The New York Times le martyre subi par Gernika(1). Son premier reportage daté du 27 avril 1937, publié le lendemain, eut un retentissement considérable, d’autant qu’il évoquait l’implication nazie et franquiste dans l’attaque aérienne. Il y expliquait notamment que l’essentiel de la ville “n’était pas devenu un amas de cendres” comme les Insurgés tentèrent de le faire croire, mais “un amas de débris” imputables aux bombardements. C’est d’abord grâce à lui que la vérité de Gernika, victime de la “guerre moderne” dont il fut un témoin direct, allait être établie en dépit des mensonges officiels éhontés.
(1) George Steer est l’auteur de l’ouvrage intitulé The tree of Gernika. A field study of modern war. Publié en 1938, dont il existe une traduction en espagnol sous le titre El arbol de Gernika. Un ensayo sobre la guerra moderna (“L’arbre de Gernika. Essai sur la guerre moderne”).
Dommage qu’Anne Marie Bordes ne précise pas la valeur hautement symbolique de Gernika* pour les Basques et qui permet de “comprendre” le choix de cette ville “à raser de la carte” par les nationalistes espagnols.
* les rois espagnols venaient (sous le chêne) y jurer de respecter les libertés basques ou foruak ( fors /fueros)