Le 20 décembre 2014 à Ustaritz, EH Bai a franchi une étape importante. Lors de cette assemblée constitutive, la coalition s’est structurée en mouvement politique. Voici les perspectives que la démarche ouvre.
La suite d’une histoire
Au plan politique, cette nouvelle année s’ouvre sur une perspective nouvelle pour le mouvement abertzale. Le 20 décembre dernier, en effet, l’assemblée générale constitutive d’Euskal Herria Bai a lancé l’ancienne coalition sur ses nouveaux rails. A partir de maintenant, c’est ce sigle qui représentera l’ensemble de la famille abertzale de gauche au Pays Basque Nord, comme d’ailleurs Euskal Herria Bildu s’apprête à le faire aussi au Sud.
Dans la saga souvent chaotique du mouvement abertzale, c’est réellement un événement majeur car pour la première fois l’on peut espérer qu’un mouvement politique parvienne durablement à rassembler tout le monde ou presque. Evidemment, dans l’absolu et sans possibilité de prédire l’avenir, rien ne le garantit sans risque de se tromper. Mais considérant le fait que la plupart des points de désaccord entre abertzale sont aujourd’hui dépassés au plan national par un engagement commun autour de l’accord stratégique signé au Ficoba en 2012 ; considérant qu’en Iparralde aussi les bases idéologiques et organisationnelles communes du mouvement abertzale ont également été sereinement refondées lors de l’assemblée du 20 décembre ; considérant enfin que la fin de la lutte armée permet désormais non seulement d’apaiser les anciennes dissensions stratégiques internes mais aussi de ressouder la base abertzale face à des problématiques politiques toujours irrésolues, tout cela n’augure que du positif pour les années qui viennent.
Vu de l’extérieur du monde abertzale, cela peut paraître dérisoire et l’on peut ne vouloir y voir que la cuisine interne d’une famille politique. Mais perçu de l’intérieur de cette famille, c’est assurément un événement majeur. Revenons donc dix ans en arrière pour se rendre compte du chemin parcouru. En 2004, les abertzale sortent à peine de la scission AB-Batasuna de 2001. Au plan stratégique, ils se déchirent sur rien moins que l’attitude à adopter face à une logique de confrontation armée avec les Etats français et espagnol. Au plan organisationnel, ils s’opposent sur le fait de savoir si la structuration du mouvement doit se faire à échelle nationale ou se caler sur celle d’Iparralde. Pire peut-être, au plan humain la scission a engendré des rancunes profondes entre abertzale, dont l’impact est évidemment relationnel mais entrave aussi l’efficacité du mouvement au quotidien (mobilisations militantes, action municipale, résultats électoraux, etc.) et la pénétration de son message dans la société.
Un avenir radieux
Aujourd’hui, des différences de point de vue entre abertzale existent toujours dans beaucoup de domaines. Mais non seulement c’est normal et plutôt sain sur un plan démocratique, mais cela n’empêche plus le travail en commun, fondé désormais sur des bases adoptées collectivement. Et dans le contexte actuel, cela change beaucoup de choses en interne au mouvement abertzale mais aussi bien au-delà, dans le panorama politique global d’Iparralde. Car, avec la même rapidité que des sables mouvants enfoncent toujours davantage celui qui s’y débat, un trampoline démultiplie au contraire l’effet ascensionnel de celui qui saute, pour peu que ce dernier sache mettre l’huile nécessaire dans les bons rouages (trois métaphores différentes dans la même phrase, je défie ici un autre chroniqueur d’Enbata de faire mieux). Figures de style mises à part et pour rester clair, le mouvement abertzale était déjà parvenu durant ces toutes dernières années à atteindre un niveau d’audience politique jusqu’alors inégalé, alors même qu’il digérait à peine ses récentes divisions. Imaginons donc ce que cela peut maintenant donner avec une organisation unitaire aboutie, pouvant donner toute sa mesure alors même que ses principaux concurrents de la gauche française sont loin d’offrir leur visage le plus attractif. Si l’on sait alimenter le cercle vertueux actuel, EH Bai pourrait bien devenir le meilleur outil dont l’abertzalisme d’Iparralde se soit jamais doté depuis sa naissance.
Imaginons donc ce que EH Bai peut maintenant
donner avec une organisation unitaire aboutie,
pouvant donner toute sa mesure,
alors même que ses principaux concurrents
de la gauche française sont loin d’offrir
leur visage le plus attractif
Patience et longueur de temps
Toutefois, je ne voudrais pas finir cette chronique sur un ton par trop triomphaliste. EH Bai a le vent en poupe, mais le vent a cela d’agaçant qu’il peut tourner. Il suffit d’observer les résultats de récents exercices équivalents de rassemblement dans le paysage politique français, pourtant exaltants à l’origine, pour rester prudents. Songeons à l’état peu enviable du NPA élargi à l’origine autour de la LCR, à ceux à peine moins incertains d’EELV autour des Verts ou du Front de gauche autour des PC et PG. Souhaitons ouvertement un destin encore plus rapidement funeste au Rassemblement bleu marine autour du FN. Quant à nous, les sujets ne manqueront pas dans l’avenir, autour desquels il sera aisé de recommencer à nous chercher chicane. En particulier à l’heure où les succès espérés draineront autant d’opportunités à saisir que de pièges à éviter, autant de compétences et de responsabilités à assumer que d’ambitions personnelles à prévenir. Tout cela réclamera sérénité, sérieux, respect, patience, et bien d’autres vertus encore. L’unité est difficile à construire, mais elle est tellement plus difficile encore à conserver…