Le parquet national anti-terroriste demande le renvoi de deux Artisans de la paix, Béatrice Molle Haran et Txetx Etcheverry, devant le tribunal correctionnel. Le procès de Louhossoa aura-t-il lieu et de quoi sera-t-il le nom ? Les juges oseront-ils condamner deux personnes pour une action que toute une société a applaudi, aux conséquences que tout le monde trouve positives et qui a été répétée par la suite, avec l’accord des autorités françaises ?
Le parquet national anti-terroriste demande à ce que nous soyons jugés, Béatrice Molle Haran et moi-même, pour l’opération de Louhossoa. Plus concrètement pour « port, transport et détention d’armes et explosifs en ayant connaissance du fait que cet arsenal provenait des caches de l’organisation terroriste basque ETA ». Ce procès pourrait se tenir cette année même. Si c’est le cas, trois absents y auront pourtant une immense présence, à savoir Mizel Bergouignan, Mixel Berhokoirigoin et Michel Tubiana. Ensemble, dès que nous nous sommes impliqués, d’une manière très particulière, dans cette histoire, nous étions conscients et assumions totalement le fait que nous allions être arrêtés et peut-être un jour jugés pour cette implication.
Comment et pourquoi
Comment et pourquoi, des militants d’Iparralde, voire de Paris, nous sommes-nous décidés à assumer ce que nous pensions être nos responsabilités politiques et juridiques, et à faire ce que nous avons fait à Louhossoa, puis le 8 avril 2017, puis au cours des mois et des années qui ont suivi ? L’attitude des deux États français et espagnol était incompréhensible : empêcher de facto une organisation voulant désarmer de le faire, par exemple en arrêtant ses militants en charge de l’inventaire et de la mise sous scellés de son arsenal. Elle avait des conséquences dangereuses : alimenter les secteurs opposés à l’arrêt de la lutte armée, humilier l’adversaire et donc rendre inévitables les désirs de revanches futures, sans parler de savoir qui pouvait tomber sur ces caches d’armes et d’explosifs disséminées un peu partout dans la nature. Nous ne faisions là que ce qu’auraient dû faire les deux États depuis cinq ans déjà, à compter du jour où ETA avait prononcé son cessez-le feu définitif : rentrer en contact avec cette organisation, discuter avec elle des modalités d’un désarmement digne, sécurisé et ordonné, et enfin aider concrètement à ce désarmement, jusqu’à ce qu’il soit total.
Un avant et un après Louhossoa
Nous pensions que notre initiative allait déclencher une dynamique populaire, participative, politiquement plurielle, qui allait elle-même permettre de prolonger notre premier geste et l’aider à remplir l’ensemble de ses objectifs : aller jusqu’au bout du désarmement, enclencher à partir de là d’autres initiatives visant à répondre aux autres aspects d’un processus de paix juste et globale. Lorsque nous avons été arrêtés et que nous sommes rentrés en garde-à-vue, nous étions convaincus que dès lors tout commençait, et que si tout se passait comme nous l’escomptions, c’était le début d’une dynamique nouvelle qui pourrait améliorer fortement la situation du Pays Basque, dans la perspective d’une paix globale et durable. Et effectivement, Louhossoa a accéléré le cours du temps, a créé un avant et un après et a modifié le jeu des deux États. En moins de quatre mois, l’affaire du désarmement était réglée, d’une façon qui ne venait pas créer de blessures ou humiliations supplémentaires, de nouvelles haines et volontés de revanches. Et l’année suivante, en 2018, ETA annonçait sa dissolution. De la manière dont les deux États géraient la situation depuis 2011, tout cela aurait pu prendre cinq années de plus et retarder d’autant le règlement des autres questions en suspens, comme le sort des prisonniers et des exilés, la reconnaissance et le devoir de vérité dus à toutes les victimes, l’instauration des bases d’un nouveau vivre-ensemble en Pays Basque, etc.
En concertation avec l’État français
Le jeu des deux États était modifié et pour la première fois, on avait l’impression que Paris jouait sa propre partition sur ce dossier, cessant de se comporter en petit télégraphiste de Madrid. Cela décrispa considérablement la situation et contribua nettement à ce que les choses se déroulent au mieux, dans l’intérêt de tout le monde. Le 8 avril, près de 200 Artisans de la paix, dont des élus, responsables syndicaux et associatifs de premier plan, personnalités diverses, se sont retrouvés à garder les caches contenant l’arsenal dont ETA avait délégué la responsabilité politique et technique du démantèlement à la société civile. A visage découvert, ils ont passé le relais aux forces de l’ordre et aux démineurs envoyés par le gouvernement français, sans qu’aucun incident ni arrestation ne soit à déplorer. Parmi ces Artisans de la paix, certains avaient dû auparavant détenir et transporter des « armes et explosifs en ayant connaissance du fait que cet arsenal provenait des caches de l’organisation terroriste basque ETA » afin de les réunir en ces caches. Tout cela s’est fait en concertation avec les autorités françaises.
Après le 8 avril
ETA, qui n’avait pu localiser ou avoir accès à tout son arsenal pour le 8 avril, s’était engagé à poursuivre les recherches après cette journée et à remettre aux Artisans de la paix ce qui serait retrouvé par la suite. Un canal de communication a été mis en place entre les Artisans de la paix et l’État français afin d’organiser de telles remises de manière ordonnée et sécurisée. Dans l’année qui a suivi, j’ai ainsi moi-même dû procéder, par deux fois, au « port, transport et détention d’armes et explosifs en ayant connaissance du fait que cet arsenal provenait des caches de l’organisation terroriste basque ETA », en fixant un rendez-vous à cet effet avec les autorités. Je ne suis pas mis en examen pour cela, et pourtant c’est exactement la même chose que j’ai faite à Louhossoa.
Un moment d’explication
Le procès de Louhossoa constituera donc un moment d’explication : à quoi a servi cette action, pourquoi avons nous été contraints de la mener à bien, que s’est-il passé dans les mois qui l’ont suivi, et pourquoi nous juge-t-on pour elle alors que nous avons refait exactement la même chose par la suite, avec l’accord des autorités et le soutien de la très grande majorité de la société basque ? Il sera également l’occasion de poser d’autres questions. Les 20.000 personnes présentes à Bayonne le jour du désarmement, le 8 avril 2017, traduisaient un fait important : la société civile était passée d’un statut de spectatrice — souvent désespérée — des tentatives de paix en Pays Basque à un rôle d’actrice enthousiaste. Et elle interpellait les deux États en leur demandant « et vous, maintenant, quels pas êtes vous prêts à réaliser, pour aider à cheminer plus loin vers cette paix globale et durable que la population du Pays Basque appelle de ses voeux ? ».
Libérer tous les prisonniers basques
La création, dès juillet 2017, du premier cadre officiel de discussion et de travail sur la question des prisonniers basques, entre le gouvernement français et une représentation du Pays Basque nord, est venue apporter une première réponse, positive bien qu’insuffisante à mes yeux à cette question. D’autres pas ont depuis suivi, en France et en Espagne, et je l’espère suivront encore. Car personne ne peut croire que la perspective de prisonniers basques incarcérés jusqu’en 2040 voire plus, alors que certains responsables du GAL condamnés à des peines de 75 ans ont été libérés au bout de trois ou quatre années seulement, puissent alimenter autre chose qu’un sentiment d’injustice et de rancœur dont personne ne sortira gagnant.
Si le tribunal correctionnel donne suite à la demande du parquet national anti-terroriste et ouvre un procès contre Béatrice Molle Haran et Txetx Etcheverry, nous saurons qui était intéressé en entraver la recherche de la Paix au Pays Basque, ce si precieux bien commun, aujoud’hui en construction avancée, merci aux actions de Béatrice et Txetx et plusieurs autres personnes. L’excès de pouvoir rend parfois incohérent.