Le sentiment d’appartenance, la conscience nationale d’un peuple s’articulent sur des faits, des objets, des monuments parfois mythifiés. L’arbre de Gernika, le chant d’Iparragirre, l’ikurriña, l’écusson Zazpiak bat, eguzki lore sur les portes de nos maisons et même argizaiola, sont autant de signifiants identitaires qui habitent la culture et l’imaginaire des Basques.
Une main de bronze vieille de 21 siècles a été découverte près du château d’Irulegi (province de Navarre), elle présente un texte en euskara ancien dont le premier mot est compréhensible aujourd’hui. Cet objet porte en lui une charge historique, culturelle et émotionnelle considérable. La part de mystère et d’inconnu qu’il recèle encore accroît son pouvoir de fascination.
Il s’agit d’une main droite, elle exprime la sagesse dans nombre de traditions. Ce n’est pas rien. Symbole universel, la main donne et reçoit, frappe et bénit, alimente, transmet, relie et réconforte, prête serment, montre la direction, bat la mesure, lit chez l’aveugle, prie Dieu, parle pour le muet, se tend vers l’ami, se dresse contre l’adversaire. Pour l’homo sapiens puis faber, elle façonne en se faisant marteau, tenaille, elle modèle la forme de tout récipient en terre, mue par «l’intelligence de la main » chère à Paul Feller. De la grotte de Gargas à la main de Dieu par Michel Ange en la chapelle Sixtine, en passant par les mains jointes d’Albrecht Dürer ou celles d’Auguste Rodin, la main traverse toute l’histoire de l’art. En Pays Basque, elle apparaît sculptée sur stèles et linteaux.
Reliée au cœur, c’est la main qui s’ouvre, la main tendue vers l’autre et à Irulegi, c’est bien de cela qu’il s’agit car cette main de bronze parle. Cinq mots y sont gravés en proto-euskara dans un alphabet particulier. Le premier, sorioneku, souhaite le bonheur aux frères humains qui après nous vivez, il est là pour conjurer les maux. Les historiens nous disent que cette main était suspendue à la porte d’une maison, pour porter chance. Ce désir de bonheur surgit envers et contre tout en un temps déraisonnable, peu après un incendie, dans un village navarrais ravagé par une guerre, à l’époque de l’occupation romaine. En attestent pointes de lance et de flèches incendiaires répandues ça et là. Cette main gravée gît en terre, à la fois témoin et défi face au temps. Elle porte le pari de l’espoir et de la vie, d’un renouveau, peut-être.
A son émouvant vœu de bonheur, répond en écho deux millénaires plus tard le « Bonheur à tous, bonheur à ceux qui vont survivre », de Missak Manouchian, fusillé en février 1944. Ou encore le vers de Paul Eluard: « Il ne faut pas de tout pour faire un monde, il faut du bonheur et rien d’autre ».
La main sorioneku jaillit de notre sol, dans le Pays Basque d’aujourd’hui elle nous fait signe. Son apparition en Navarre, la province de la « lingua navarrorum » où certains en 2022 contestent la vie et la présence de notre langue au nom d’une arrivée récente, n’est pas neutre. Sa forme écrite, dans un alphabet particulier, fait d’elle un objet de civilisation à part entière. Cela contredit ceux qui déprécient l’euskara à l’écriture tardive, vieille d’à peine cinq siècles. Que sa découverte se situe à Irulegi, un nom de lieu figurant aujourd’hui de part et d’autre d’une frontière séparatiste, résonne d’un sens inédit.
Nos contemporains ne s’y trompent pas. L’artiste donostiar Mikel Aranburu s’en empare, il en fait un talisman. Dans nos rues, les vêtements qui la reproduisent s’arborent sur les poitrines. Elle inspire le poète Jon Maia qui propose Zorion eskua: “Sorioneku / sorionesku / sorioneskuara / zorion esku / zorioneko esku / zorioneko euskara / zorionak euskara / zorionekoak gara / euskaraz”.
Sorioneku, ce beau message universel gravé sur une main surgit de notre plus lointain passé —une nuit de plus de 2000 ans— tel une rumeur longtemps enfouie. Il éclaire notre présent, il dit notre humaine condition et notre identité, en un lieu où le monde prend le nom d’Euskal Herri. Il nous oblige. La langue est affaire de transmission, d’usage social aujourd’hui si en péril et que la campagne Euskaraldia veut promouvoir ces jours-ci. Alors formulons un vœu, que sorioneku soit repris dans nos pratiques linguistiques et sociales. La langue évolue tous les jours. Récemment s’est imposé dans nos formes de salut, un « adio » utilisé à tort et à travers. Ce n’est qu’une sorte de créole bien pauvre. Sa généralisation surprendrait tout Basque d’il y a un siècle, tant hier les formules de salut étaient nuancées et riches dans leur diversité. Demain, pourquoi pas remettre à l’honneur sorioneku, en faire le lien qui noue relie à l’autre, le faire fleurir sur nos lèvres, lors de chacune de nos rencontres avec autrui ?
Egun on
Hura zuten idatzi:
S O R I O N E KU•
DE N E KE BE E KI RR A DE RR E N O T I RR DA N•
E S E A KA RR I E RR A U KO N•
(hizkiak beresten ditut)
Je propose un non-traduction pour rendre ce qu’il devait être écrit en iberro-proto-basque sur cette main:
“Zorionesku
Protège la maisonnée et apporte dans la maison bonheur et richesses.”
Adiorik ez!
Irulegiko eskua (Airea Kontrapas)
Irulegi Mendia
Benedika dadila
Euskerari eman diola
Esku bat zabala.
Aurkezten ditu ahurrak
Hizki iberikoak
Hogei ta bat mendekoak
Agian euskarazkoak.
Lehen hitza segurik
Euskaraz idatzirik
“Sorioneku! leiturik
Guri zuzendurik.
Ari dira adituak
Ikertzen beste hitzak,
Direnenik euskarazkoak;
Guretzat gauza onak.
Uste genuen orain arte
Gure lehen idazle
Izan genuela Detxepare;
Orain aldiz dugu beste.
Baskoniako lurretan
Erromak utzi harrietan
Ikusi dugu mende luzeetan
Gure hitzak latin moduan.
Irulegiko eskuak
Erakutsi testuak
Gezurtatu ditu usteak
Idazten ez zuela euskaldunak..
Irulegiko ardoa
Badugu gustukoa,
Irulegiko eskua
Dugu gure arima.