L’Édito du mensuel Enbata
Le journaliste et l’historien se claquent souvent la main sous la conjugaison d’apparat qui devrait pourtant les tenir à distance. L’un parle au présent, l’autre au passé, mais ils s’accordent dans leur préoccupation de vérité. On sait pourtant à quel point cette quête est vaine, ou pour le dire comme Rousseau, elle n’est “qu’un art de conjecturer, l’art de choisir entre plusieurs mensonges celui qui ressemble le mieux à la vérité”.
On pourrait ajouter que dans une louable éthique de transmission, les deux rapporteurs ont en souci commun de frapper l’imagination et une franche propension à préférer les ruptures et les catastrophes qu’à dépeindre les mondes vertueux auxquels pourtant l’humanité devrait aspirer.
Mais ce sont les noeuds de l’histoire qui forment les peuples et leurs intérêts, pour ne pas dire leurs préjugés, et leur façon de prémâcher l’histoire ou l’actualité. Les affrontements au présent dessinent les sillons sinueux de l’histoire dont ne subsiste bien souvent que la trace profonde du vainqueur.
La bataille d’Amaiur, dont nous commémorons cette année les 500 ans, était-elle une défaite cinglante ou la résistance héroïque d’une poignée de combattants dont l’exemple nourrit encore la détermination militante ?
Elkano est bien simultanément célébré par les Basques, les Espagnols et les Portugais pour avoir bouclé, la même année, le premier tour du monde.
Mais tout n’est pas qu’idéologie. Il y a aussi, dans le présent, l’élan de l’histoire. Le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies qui reprend le Conseil constitutionnel français pour ses “atteintes importantes aux droits humains des minorités linguistiques”. L’euskara est légitime au-delà de sa légalité. Du passé au futur sans se heurter au présent. La montée en puissance des actions des Artisans de la paix et de Bake Bidea participe du même principe en s’inscrivant dans le sillon profond de l’Histoire.
A cet égard, le gouvernement espagnol fait preuve d’un grand courage politique en affrontant son passé récent avec une loi de la Mémoire démocratique capable de purger la période franquiste et qui naturellement, fait des remous au présent.
En France, il est encore difficile de soulever le linceul qui a été prestement déposé sur le conflit de 39-45 ou sur les guerres coloniales. Le passé juge le présent. Et la réciprocité existe.
A Bayonne, on tricotait, ce 9 juillet, au présent, la grande Histoire de demain. La Communauté d’agglomération Pays Basque présentait au vote son projet de territoire 2020-2026 dans un paquet composé également du Plan pluriannuel d’investissement et du Pacte financier et fiscal intercommunal, ainsi que du Pacte de Gouvernance. Un vrai élan de l’histoire qui a donc suscité de vifs débats dans l’hémicycle, bien au-delà des idéologies ou des familles politiques, générant également des votes contradictoires chez les abertzale.
De fait, le projet a été adopté par 131 voix contre 66 et 20 abstentions, bien loin de la (quasi) belle unanimité qui prévalait peu avant, lors d’un nouveau vote pour la compensation des meublés de tourisme censé contrer les lenteurs judiciaires et les procédures menées par les représentants de ces locations.
Bien sûr, chacun défendait d’abord son steak, sa commune ou son pôle, son Pays Basque intérieur, sa côte ou son entrecôte, cette fameuse zone “rétro-littorale” qui profite à moindre frais des équipements des grosses villes de la côte et ne se sent pas d’en assumer le coût de manière communautaire. Et puis il y a ceux qui sont contre l’institution et campent leur rôle, comme le maire de Bidart Emmanuel Alzuri, indéfectible critique de la marche de cette collectivité. Ceux qui sont contre cette présidence, à la ville comme à la campagne, comme l’opposant bayonnais Mathieu Berger qui dénonce un “système Etchegaray” et “un vote sur le chaos”. Ceux qui sont partisans de cette “communauté de destin”, comme le maire de Saint- Pierre d’Irube Alain Iriart, en regrettant le manque de “données précises de participations communales” dans un arbitrage qui se veut encore évolutif. D’autres, à l’inverse, dénonçaient une proposition figée, un guichet dans lequel ils cherchaient leurs investissements, voire un “catalogue technocratique” attaquait Peio Etcheleku, élu à Cambo. Deux camps ont fini par se dessiner, dans la riposte à ce dernier terme, entre ceux qui fustigent un manque de concertation mais n’ont pas mis les mains dans le cambouis et ceux qui en soulignent au contraire le caractère “très concret”. Et puis, plus prosaïquement, en suivant les courbes de la géographie du Pays Basque, ceux qui ont besoin d’équipements et ceux qui n’en veulent pas et regrettent paradoxalement “la dilution du sentiment communautaire”. “Il s’agit d’écrire dans le marbre que la solidarité va s’exercer dans nos politiques publiques” a tranché Daniel Olçomendy, le maire d’Ostabat-Asme et membre de l’exécutif.
Pour le reste, la feuille de route “reste vivante”. On peut donc feindre d’exhorter un projet plus offensif ou définir un horizon pour 2040.
De tous ces mensonges, le vote qui ressemble le mieux à la vérité n’a, au fond, validé que la stratégie déjà mise en place depuis deux ans et l’étape de cette mandature. Mais les débats qui en ont débordé marquent les jalons d’une route et un petit pas résolu dans le sens de l’Histoire.