Lauburu publie une magistrale synthèse sur la maison en Pays Basque hier, aujourd’hui et demain. Un livre bref mais dense qui questionne l’acte d’habiter et pose les termes d’un débat essentiel pour l’avenir de notre pays.
Encore un livre sur LA maison basque? Avec sa tripotée de photos/cartes postales aux couleurs qui claquent, accompagnées d’un texte aussi ressassé qu’indigent? Mais non, exactement le contraire.
Disons-le tout net, ce livre est un tour de force. Lauburu réussit à synthétiser en 120 pages une cinquantaine d’années de recherches importantes qui ont largement modifié la connaissance d’un pilier de notre culture ancestrale : etxea, c’est-à-dire notre manière d’habiter le petit coin de terre où nous sommes. En replaçant ce fait de civilisation dans son contexte juridique, économique, social, politique, religieux, nous voici au cœur d’un écheveau et de ses variations dans l’espace et le temps. Nous sommes dans la société de l’auzo, ce réseau de relations qui incarne et structure notre société, avec ses trois “étages” : le bas pays à vocation agricole et ses etxalde regroupées en hameaux, accompagnées parfois de bordes, auquel il convient de joindre le bas pays urbain. Les deuxièmes et troisièmes étages de peuplement étant ceux de la montagne et des pâturages occupés au gré des hauteurs ou des régions par les “etxola”, les “olha” ou les “kaiolar”.
C’est notre manière d’habiter
le petit coin de terre où nous sommes.
En replaçant ce fait de civilisation
dans son contexte juridique, économique,
social, politique, religieux…
Cette société n’est pas un modèle défini ou figé, elle est plutôt sous tension, avec ses différences sociales, ses évolutions et ses conflits, du moyen-âge au XVIIe siècle, ses riches et ses pauvres, sa bourgeoisie et sa noblesse qui n’a pas grand-chose à voir avec le modèle du nord de la France enseigné tel une vulgate.
Un des grands mérites de ce livre est de nous présenter la société ancienne basque de façon nuancée et de faire litière de plusieurs tartes à la crème qui ont marqué notre historiographie: l’égalitarisme triomphant, le matriarcat, les “races maudites”, etc.
Comment l’art de bâtir des Basques en Iparralde s’inscrit-il dans ce contexte ? L’ouvrage décrit bien entendu le passage de la maison en bois à celui de la pierre, celui du règne du charpentier à celui du maçon. Tournant majeur qui marque le XVIIe siècle et structure l’etxe en milieu urbain.
L’auzo a vécu
Venons-en à “l’etxe, témoin d’une civilisation”. La maison en Pays Basque n’est pas qu’un instrument ou un objet technique, elle détermine la vie de ses habitants et des différentes générations qui l’occupent. Elle est à la fois temple, lieu de syncrétisme, espace religieux et source du droit. Cette dimension immatérielle est capitale pour saisir le sens profond de l’etxe qui fait sens et irrigue la vie des “locataires” successifs.
Mais arrive le XIXe siècle, avec ses soubresauts et ses mutations, il marque une rupture majeure, l’édifice social multiséculaire est alors bouleversé par des forces externes et internes. La société de l’auzo, pivot et chair de la vie collective de notre pays avec ses interactions multiples, a vécu.
Un dernier chapitre ose aborder une question aussi épineuse que controversée: comment habiter en Pays Basque aujourd’hui?
Il faut savoir gré aux auteurs de poser les termes du débat avec clarté et dans toute leur complexité, tant l’environnement actuel n’est plus celui d’hier. Mais demeurent des traces, des modes d’organisation, des principes qui restent pertinents et une trajectoire culturelle qui, soyons optimistes, permettra à l’Etxe de “cesser de dériver dans son ornière folkloriste pour devenir signifiante”.
Ce livre collectif parvient à saisir la substantifique moëlle d’un univers déjà lointain, à partir de recherches et d’enquêtes réalisées par des historiens, des juristes, des architectes, des ethnologues, au premier rang desquels, il convient de citer Michel Duvert.
Non seulement ce bouquet esquive les poncifs et autres regards nostalgiques, mais surtout pose avec clarté les questions pour le futur en les contextualisant. Ce n’est qu’un survol, diront les éternels grincheux. On aimerait en savoir plus, y compris sur le plan pratique, tant l’art des charpentiers basques est remarquable. Mais une telle porte d’entrée, une telle mise en bouche donnera envie aux lecteurs d’aller plus avant. Il est permis de rêver.
En ces temps si difficiles pour l’édition et la culture, souhaitons que demain soit mis à la disposition du grand public, des créateurs et des enseignants, différents outils: lieux, centre d’interprétation, sites, bases de données, synthèses thématiques, films, ouvrages pédagogiques, jeux, qui permettront à chacun d’accéder, de s’imprégner et de mieux comprendre Etxea, fait de civilisation.
Ici comme ailleurs, “de la simplicité dans laquelle la terre et le ciel, les divins et les mortels se tiennent les uns les autres, le bâtir reçoit la direction dont il a besoin pour édifier les lieux”.
Un monde largement ignoré s’ouvre à nous. Des passeurs nous en offrent les clefs, ils nous tendent la main. Sachons les saisir pour construire du neuf.
L’ouvrage est en vente à la librairie Elkar, 9 rue des Gouverneurs à Bayonne, ouverte du lundi au samedi de 10h à 19h. Durant le confinement, on peut commander livres et CD par mail ([email protected]) ou par téléphone au 05 59 59 35 14. Elkar, soit expédiera votre commande par la poste, soit vous pourrez la récupérer en passant à la librairie. www.elkar.eus.
Etxea, la maison et l’habitat au Pays Basque, Lauburu, Bayonne, Elkar découverte. 2020, 120 p., 16,60 eusko.
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