Environ 500 personnes ont manifesté samedi 30 novembre à Paris à l’appel du Collectif “Pour que vivent nos langues”, dénonçant “une mauvaise volonté de l’Etat, derrière des apparences et des discours convenus.” Le député breton Paul Molac, qui a fait de la promotion des langues régionales son combat au sein du Parlement, dresse un état des lieux des perspectives au sein de l’Europe, de l’Etat français et des territoires.
Le 25 juin dernier, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a rendu un avis sur les langues régionales qui a eu peu d’écho. Est-ce important ?
Ce texte est intéressant et ce doit être une première dans cette assemblée. Cela montre que la question des langues régionales commence à être un sujet qui n’est plus limité aux seules régions ou aux locuteurs de ces langues. La conscience de l’important des langues régionales et du mauvais sort qui leur est réservé en France n’est plus acceptée par l’opinion. Il n’y a guère que l’administration centrale qui voit encore les langues régionales comme un danger. Pour l’opinion publique le sujet est : “Comment préserve-t-on ces langues et comment permet-on aux locuteurs de les parler ?” On est entrés dans une ère de différenciation de libertés sur cette question.
Vous avez récemment, avec d’autres, employé le terme de “politiques linguicides” dans l’Etat français. Où en sont les langues régionales d’un point de vue du débat parlementaire français ?
La législation et la réglementation concernant les langues régionales restent très fragmentaires, très peu étendues et très peu contraignantes. Les quelques avancées restent toujours sous le pouvoir d’une administration d’État qui trouve que l’on en fait bien assez comme cela. Elle est très en retrait par rapport aux autres pays européens et même par rapport aux exigences européennes actuelles. Tout le monde a en mémoire la non ratification de la charte européenne des langues minoritaires ou l’affaire récente du “ñ”. Depuis la nouvelle législature, j’ai essayé chaque fois que c’était possible d’insérer des mentions concernant les langues régionales, par exemple dans la loi relative aux écoles sous contrat et la loi sur l’école. Mes propositions ont été écartées par le ministre de l’Éducation nationale. Une mention a été rajoutée dans la loi sur l’école. Le président de la Région Bretagne avait en effet refusé de signer le contrat avec l’État tant que la question du financement pour le remplacement des contrats aidés dans les écoles associatives n’avait pas été réglée. Le premier ministre a donc fait insérer une mention dans la loi école pour que les écoles associatives puissent toucher le forfait scolaire. La portée de cette mention reste fragile et, encore une fois, très limitée. A ce contexte de refus du ministère de l’Éducation de modifier la législation se rajoute la réforme du bac et du lycée. La réforme du lycée, avec la raréfaction des options met les langues régionales en concurrence avec des matières comme l’anglais ou les mathématiques. De plus, le coefficient multiplicateur pour le bac n’est que de 1. Ce n’est donc pas du tout attractif. Les associations et de nombreux élus ont demandé, en vain, au ministre d’aligner le coefficient des langues régionales sur celui des langues anciennes qui est de 3. Le gouvernement pense avoir réglé le problème avec ce type de mesure. C’est oublier que ces langues sont toutes classées par l’UNESCO, à l’exception du basque, en grand danger d’extinction. Il est donc plus que temps de mettre en place des politiques linguistiques de préservation et de promotion, ce que le gouvernement se refuse à envisager. Devant ce déni de prise en compte d’une réalité inquiétante, la politique du ministère de l’Éducation nationale a pour conséquence de limiter encore l’offre d’enseignement des langues régionales. Ce sont les associations de parents, d’enseignants et de militants culturels qui ont tenu à ce que ce mot de “linguicide” soit employé pour bien marquer l’urgence du problème.
Le 30 novembre a eu lieu une manifestation en faveur des langues régionales à Paris. Quels étaient les enjeux de cette mobilisation ?
Il s’agissait de faire prendre conscience des responsabilités de l’État et de l’inciter à prendre sa part, avec les compétences qui sont les siennes, dans la préservation des langues de France. Il s’agit aussi d’aider et de laisser les régions prendre les initiatives nécessaires sans que l’État ne les en empêche. Nous prenons l’opinion publique française et la communauté internationale à témoin devant le mauvais sort qui est fait aux langues de France. Enfin, cette mobilisation a été l’occasion de préparer l’avenir en constituant une force pour permettre le vote d’une loi au parlement qui serait le début de l’élaboration d’un corpus juridique favorable à nos langues.
L’Europe est un lieu important pour activer la bataille en faveur de nos langues territoriales. Récemment vous avez participé aux “Rencontres européennes sur les droits linguistiques”. Que retenez-vous de cette collaboration européenne sur le sujet des langues ?
L’Europe est plus ouverte sur la question des langues que la France. Il suffit de regarder hors de nos frontières. Pour autant, la France refuse de ratifier les textes internationaux ou les articles qui concernent les langues et les minorités. Le droit français nie l’existence de minorités et le droit européen ne peut contraindre la France à le respecter. C’est en raison de cette attitude que la France n’a pas ratifié la Charte européenne des langues minoritaires ni la charte des minorités. Les recommandations des instances internationales restent bien souvent sans aucun effet. L’Europe ne nous viendra en aide que si nous sommes capables d’inverser les choses en France même. Je pense que c’est à notre portée aujourd’hui. Dans bon nombre de régions, l’enseignement des langues régionales n’est plus un sujet et il s’est imposé comme une évidence. Il reste donc à ce que l’État le prenne en compte dans un pays centralisateur et jacobin où l’administration est marquée par la hiérarchie des langues et des cultures.
En Pays Basque Nord, avec la création de l’agglomération en 2017 et la prise de compétence linguistique, on estime avoir fait un bond en avant en matière d’outils politiques. A la veille d’élections municipales, quel rôle doivent jouer les communes dans la sauvegarde et le développement des langues ?
Si beaucoup de choses dépendent de l’État et parfois des régions, la commune à son mot à dire. Elle est partie prenante dans l’établissement des filières bilingues de son territoire en particulier pour l’enseignement public mais pas seulement. Elle peut par exemple mettre à disposition, moyennant un loyer modeste, d’anciens locaux scolaires pour installer une école associative. Elle a en charge toute la signalétique locale et peut mettre en place une signalétique bilingue. Elle peut embaucher du personnel parlant le basque pour que les citoyens puissent le parler lorsqu’ils font des démarches en mairie. Elle peut aussi être à l’initiative de crèches ou de centres aérés où le basque est la langue des activités. Elle peut inciter de différentes façons à l’utilisation du basque dans la vie courante. Bien sûr, cela doit se faire de façon à ne pas exclure les personnes non-bascophones, mais il faut rester clair sur le fait que si nos langues ne sont pas parlées dans l’espace public, leur existence même est compromise. La période des élections municipales est propice à ce genre de réflexion. Il faut garder à l’esprit qu’une politique linguistique ne peut être efficace que si elle est acceptée par les citoyens, y compris ceux qui ne parlent pas basque.
Paul Molac, député et défenseur des langues régionales
Ancien agriculteur et enseignant, parlant le breton et le gallo, Paul Molac est député depuis 2012 et poursuit au Parlement l’engagement pour la reconnaissance des langues régionales qu’il a mené pendant près de vingt ans à la présidence du Conseil culturel de Bretagne ou au sein de l’association Div Yezh, pour l’enseignement du breton à l’école publique. Proche de la fédération Régions et peuples solidaires. Il défend à l’assemblée l’inscription dans la loi de politiques publiques en faveur de l’usage des langues régionales pour promouvoir notamment l’enseignement et le développement d’un enseignement bilingue. Il a dans ce sens permis l’inscription de la mention de l’enseignement bilingue dans la loi Peillon et deux autres mentions dans les lois NOTRe et Blanquer, succès qu’il juge “très relatifs et de portée très limitée”. Président du groupe d’étude langues régionales à l’Assemblée Nationale, il a également défendu une loi sur le thème des langues régionales, sous la présidence de François Hollande, qui n’a pas été votée.