Lors du Forum de Biarritz, l’avocat Enrique Santiago, assesseur juridique des Farc aux négociations de paix Farc/État colombien, a brossé le tableau extraordinairement complexe du processus. Et pourtant la résolution du conflit est en bonne voie. Dès lors pourquoi ce qui est possible là-bas ne serait-il pas envisageable ici ? Voici différents témoignages (y compris vidéos) de ce Forum sur “Le désarmement au service du Processus de Paix”.
Pourquoi ce qui est possible en Colombie où 52 ans de guerre Farc/État colombien ont débouché sur un processus de paix bilatéral, ne le serait-il pas au Pays Basque où le conflit armé ETA / Etat espagnol a changé du tout au tout depuis le cessez-le feu unilatéral et définitif d’ETA du 20 octobre 2011 ?
Ce fut l’une des premières questions cruciales abordées lors du Forum pour la paix des 17- 18 mars, organisé par le mouvement social Bake Bidea, tenu au Bellevue à Biarritz (1).
Question posée par Kristian Herbolzheimer, (ONG Conciliation Resources), impliqué dans le processus de paix du pays andin où l’on compte des millions de personnes déplacées, 265.000 morts, 6.000 à 6.500 guerrilleros Farc…
Lors de sa visite officielle en Colombie fin janvier 2017, François Hollande, président de la République française, y a félicité son homologue Santos pour ses “efforts de paix” et rencontré des Farc prêts à être démilitarisés.
Coup de théâtre et expectative
Lors du Forum l’avocat Enrique Santiago, assesseur juridique des Farc lors des négociations de paix a brossé le tableau extraordinairement complexe du processus.
Tandis que Véronique Dudouet (Fondation allemande Berghof) a souligné le fait que l’absence de réciprocité (comme au Pays Basque) accroît la difficulté.
Elle a rappelé les clefs essentielles d’un désarmement négocié au vu de l’expérience internationale : faisabilité / transparence, garanties de sécurité pour toutes les parties, garanties/volonté politique, supervision/contrôle, implication/appropriation de la société dans le processus.
Ce Forum, trois mois après l’opération de Louhossoa du 16 décembre 2016, a été précédé d’un coup de théâtre (2).
L’expectative a grandi d’autant.
En effet, Le Monde annonçait au matin du 17 mars un “désarmement d’ETA imminent pour le 8 avril”, selon les propos que lui avait tenus l’“artisan de paix” Txetx Etcheverry. Ce dernier rappelons-le, avait été mis en examen puis relâché après sa participation à l’opération de Louhossoa, comme son compagnon de route Michel Berhocorigoin, venu témoigner à Biarritz.
L’autre “artisan de paix” présent, n’était autre que Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue française des droits de l’homme et du citoyen. Ils n’ont pas mâché leurs mots. Jean-René Etchegaray, président de la Collectivité territoriale Pays Basque et en préambule, Michel Veunac maire de Biarritz, non plus.
Rappelons ici que de nombreux élus de tous bords se sont publiquement exprimé, depuis plusieurs mois, en faveur du processus en cours.
Ajoutons-y le témoignage imprégné d’humanisme de Serge Portelli, président de la Cour d’Appel de Versailles et celui de Bake Bidea, avec sa présidente Anaiz Funosas.
Quelques extraits…
Michel Berhocoirigoin. “Louhossoa aura été une rencontre entre une action et l’attente des gens. Nous avons maintenant l’obligation d’aller plus loin (…) Nous sommes partisans d’un désarmement total, vérifié, sans contreparties politiques, ce qui ne veut pas dire que les prisonniers, les réfugiés et les victimes seront passées en pertes et profits (…) Nous voulons croire que l’État français est capable de nous entendre, qu’il va bouger. Cinq années ont été gâchées il faut clôre ce dossier avant les présidentielles ! Nous disons à l’État : l’idéal serait de le faire avec vous, faute de quoi ce sera fait avec d’autres dans le cadre d’une démarche unilatérale (…) Le 9 avril ETA ne sera plus une organisation armée, la porte reste ouverte…”
Jean-René Etchegaray. “Depuis la Conférence d’Aiete rien ; nous avons perdu cinq ans (3). Ce silence est insupportable car nous nous sommes exprimés légalement. Le 16 décembre, à Louhossoa a été capital, il marque un avant et un après. Nos espoirs de voir l’Etat intervenir ne seront peut-être pas vains, le 8 avril nous serons là ! (…) Nous sommes dans le dernier conflit d’Europe occidentale, trois générations sacrifiées, ça suffit ! J’aimerais que l’État français soit souverain, qu’il n’attende pas l’autorisation du gouvernement espagnol…”
Serge Portelli. “Il est capital que l’argument des armes disparaisse dans la tête des juges (…) Après le désarmement le panorama changera, le gouvernement, mais aussi la police, les juges, devront reconsidérer leur argumentaire. Ils vivent dans le passé alors que les choses ont changé avec Aiete. Le désarmement devrait créer un choc, un sans-retour permettant d’engager d’autres dossiers sachant que les négociations seront longues et compliquées…”
Anaiz Funosas. “Louhossoa nous a mis devant nos responsabilités : construire le vivreensemble (…) Un processus qui s’enlise est un processus qui n’avance que dans un sens et engendre des risques de violence renouvelée. Plus nous avancerons ensemble, plus nous réfléchirons ensemble, moins il y aura de chances pour que cette violence se réactive. Le 8 avril débouchera sur la mise en place de nouvelles bases…”
Michel Tubiana : “Ce que nous sommes en train d’exiger c’est un moment de conscience humaine où nous affirmons notre volonté de construire une situation nouvelle. Lors de la Conférence de Paris, j’en appelais à la Raison qui entend le passé, tient compte de l’instant et possède la force d’imaginer l’avenir (4). Aiete a signifié le primat de la voie démocratique (…) Cela, sans nier que nous devons l’examen sans complaisance du passé à ceux qui l’ont subi et à ceux qui vont suivre (…) Nous ne lâcherons pas ! Il est encore temps que nous nous entendions avec le gouvernement français sur les questions de vérification, de mise en sûreté des armes dans les mains de l’autorité française et sur le fait que les accompagnants de cette restitution n’aient pas à payer pour leur présence (…) Président, gouvernement, le 8 avril , nous vous invitons à réserver vos places avec nous…”
Au sortir du Forum, la question, évidemment restée sans réponse, concernait le déroulé de la journée du 8 avril.
(1) Gracieusement mis à disposition par la Ville.
(2) Louhossoa: opération embryonnaire de désarmement stoppée par la police.
(3) Conférence internationale de paix du 17 octobre 2011 à Saint-Sébastien, suivie du cessez-le-feu définitif d’ETA.
(4) Conférence Humanitaire de Paris à l’Assemblée Nationale, le 11 juin 2015.
Forum : Le désarmement au service du processus de paix 17 et 18 mars – Biarritz Table ronde n°2 le 18/03/2017 “Les principes d’un processus de désarmement ” Kristian Herbolzheimer, Conciliation Resources