Le 79ème anniversaire du bombardement a coïncidé avec la présentation de Gernika premier long métrage consacré à la tragédie. Le film a été sélectionné pour le festival de Malaga, ville natale de Picasso.
“C’était un lundi jour de marché…” Ainsi débutent d’innombrables évocations d’une radieuse journée de printemps subitement entrée dans l’histoire funeste de la “guerre moderne”. C’était le 26 avril 1937 à Gernika. Ce jour-là, la ville “sainte” des Basques viscéralement attachés à leurs libertés ancestrales, fut réduite en miettes par la Légion Condor allemande et l’Aviacion Legionaria italienne qui déployèrent leurs bombes sur une cible sans défense, sur requête des forces nationalistes franquistes espagnoles.
Mais ironie de l’Histoire, sa Casa de Juntas et son chêne mythique en réchappèrent.
Les morts et blessés se comptèrent par centaines(1). La ville déjà mentionnée dans un document daté du XIe siècle mais inconnue au-delà des frontières du Pays Basque (5.000 habitants à peine) prit brutalement une dimension planétaire. 79 ans plus tard Gernika a comme chaque année, célébré l’anniversaire de la tragédie(2).
La ville ne porte plus de stigmates tangibles de destruction, si l’on excepte la représentation en céramique du “Guernica” de Pablo Picasso fichée dans un pan de mur en plein centre-ville et les documents extraordinairement parlants réunis au Bake Muea (Musée de la Paix) tout proche.
Les populations civiles pour cibles
Ce 79ème anniversaire a coïncidé avec la présentation d’un film grand public sobrement intitulé Gernika, réalisé par le Biscayen Koldo Serra(3). Entièrement tourné l’an dernier, en Biscaye : Artziniaga, Bilbao, Barakaldo, Lekeitio…
Le long métrage devait affronter son premier jury le 26 avril dernier, non pas au Pays Basque mais à Malaga, ville natale de Pablo Picasso, lors de son festival annuel de cinéma. Un évènement dans la mesure où la catastrophe immédiatement médiatisée, des milliers de fois racontée au fil d’innombrables écrits (journalistiques, historiques, fictions) et sanctuarisée par l’œuvre de Pablo Picasso, n’avait jusqu’ici pas été transposée au cinéma. Koldo Serra a donc brisé ce tabou. Selon ses mots son film est “une fiction bâtie dans un cadre réel”, une évocation plus proche d’un film culte comme Casablanca que d’un Pearl Harbour guerrier, pour ne citer que ces deux classiques. C’est aussi un miroir de notre réalité aujourd’hui. L’un de ses personnages centraux est inspiré par George Steer, reporter d’origine sud-africaine qui de passage à Bilbao lors du bombardement, put quelques heures plus tard rallier Gernika encore fumante et plombée par l’odeur de la mort. L’on doit à ce correspondant du Times de Londres le premier reportage in situ publié dans la presse internationale. Il raconta l’horreur alpable. Il établit sans équivoque les responsabilités des forces franquistes (que ces dernières imputèrent immédiatement aux Républicains) et prédit que le “crime contre l’humanité” avec prise de populations civiles pour cibles et otages allait devenir la règle.
Jusqu’aux désastres actuels
Quelques semaines auparavant le bombardement de Durango (longtemps resté méconnu) avait si l’on ose dire, servi de “prélude”. Hambourg, Dresde, Coventry, Pearl Harbour, Hiroshima suivirent. Et combien d’autres, jusqu’aux désastres actuels qui transforment la Syrie en immense champ de ruines. Le réalisateur s’est donc appuyé sur la figure de George Steer entré dans la légende du journalisme de guerre, mais aussi sur les archives du Bureau de presse républicaine de Madrid et sur de multiples récits dont ceux de survivants. Jumelée avec la cité allemande de Pforzheim depuis 1989 (détruite par un raid de la Royal Air Force en 1945), Gernika abrite deux associations qui cultivent sa mémoire. Ce sont le centre de recherche pour la paix Gernika Gogoratuz et le collectif Gernika Batzordea. Le premier fut créé en 1987 sous les auspices du gouvernement basque, le second moins institutionnel, se dédie à l’organisation d’évènements impliquant directement la société civile. C’est ainsi que Gernika Batzordea avec Bake Bidea et Uharan (héritière du collectif Lokarri) fut co-organisateur du Forum social du 30 janvier 2016, consacré au processus de paix basque en présence de spécialistes intervenus en Colombie, Israël-Palestine et Indonésie, sous la présidence de l’avocat sud-africain Brian Currin. Forum tenu à Gernika où le 23 avril dernier, le maire d’Auswitchz, autre nom qui “parle” aux oreilles de l’humanité, se recueillait devant “le” chêne dont il plantera un rejeton chez lui, le 26 avril 2016. Ce sera la première pierre du futur “Parc de la réconciliation”, lieu de réflexion que la cité polonaise projette d’aménager. Non pas pour se complaire dans le passé mais afin de se projeter dans un futur qu’elle voudrait plus riant.
1. Le nombre de victimes, variable selon les sources, n’a pas été définitivement évalué.
2. Prix de la Paix 2016 décernés à José Mujica, ex-président de l’Uruguay et Francisco Etxebarria, médecin légiste-anthropologue d’Aranzadi.
3. “Gernika” sortie possible sur les écrans à l’automne.