Irresponsabilité et apologie de la violence

France-EspagneConférence d’Aiete, déclaration de Bayonne, conférence à l’Assemblée nationale, autant de jalons qui ont marqué la demande pressante faite par la gauche abertzale aux deux Etats pour qu’ils agissent enfin en faveur de la résolution du conflit politique basque. L’immobilisme des gouvernements espagnol et français est source de frustration et de crispation.

Le contexte politique global conforte le pari que nous avons fait avec le changement de stratégie, mais la réalité est que l’irresponsabilité des acteurs en présence pourrait bien nous le faire perdre.

Quatre ans après la conférence d’Aiete et la décision unilatérale d’ETA de mettre un terme à sa lutte armée, le bilan du processus de résolution est franchement décevant. En Hegoalde, aucun des acteurs majeurs de la scène politique et sociale n’a véritablement évolué dans ses positions. C’est évidemment vrai du camp espagnoliste (PP, PSOE). Mais même dans le camp abertzale, le moins qu’on puisse dire c’est que des acteurs comme le PNV ou ELA n’ont pas été à la hauteur du moment.

Dans ce panorama décevant, un bémol positif, là où personne ne s’y attendait : en Iparralde. En effet, il faut reconnaître à l’ensemble des responsables politiques d’Iparralde qui ont participé à la Conférence d’Aiete une prise de responsabilité forte. La sincérité de leur engagement en faveur d’Aiete a permis de mettre en forme une feuille de route du processus vis-à-vis de l’Etat français formalisée par la déclaration de Bayonne rendue publique il y un an, et a fortement contribué à l’organisation de la conférence de juin dernier à l’Assemblée nationale à Paris. Pour en revenir à Hegoalde, rappelons-nous le discours dominant en vigueur quand la lutte armée était encore active : à partir du moment où la violence (de l’ETA évidemment…) cesserait, tout deviendrait possible.

Pari du vivre-ensemble

Malheureusement, la gauche abertzale avait historiquement raison. Le noeud du problème politique en Euskal Herria n’a jamais été la lutte armée, cette dernière n’était qu’un prétexte pour justifier le statu-quo. L’heure des bilans implique également de se remémorer le sens et l’objectif des choix réalisés. Quand on regarde l’histoire, on se rend compte que, depuis les guerres carlistes du XIXème siècle, en passant par la guerre civile, il n’y a pas eu en Hegoalde une seule génération qui n’ait pris légitimement les armes en défense des droits inaliénables du peuple basque. Voilà le sens profond du changement de stratégie de la gauche abertzale : offrir aux nouvelles générations une opportunité de construire dans ce pays un espace pacifié du vivre ensemble.

Ceci étant, nous faisons un énorme pari, en considérant qu’il est possible aujourd’hui d’arracher le droit à l’autodétermination par des voies politiques. Malgré tout, le contexte politique global conforte ce pari, dans le sens où il a permis d’apporter des réponses positives à deux questions fondamentales. Le droit à l’autodétermination pour nos nations est-il envisageable dans l’Europe actuelle ? Oui, c’est ce que nous a montré le cas écossais.

Est-il possible de configurer une confrontation de nature strictement politique, en mettant l’État central le dos au mur, grâce à une mobilisation massive de la société civile ? Oui, c’est ce que nous montre le cas catalan.
Le contexte politique global conforte le pari que nous avons fait avec le changement de stratégie, mais la réalité est que l’irresponsabilité des acteurs en présence pourrait bien nous le faire perdre. A commencer par celle des Etats espagnol et français. A la veille des élections législatives espagnoles de décembre prochain, les opérations policières se sont multipliées ses derniers temps : Biarritz, Ossès, Baigorri, et récemment Paris avec l’arrestation d’Egoitz Urrutikoetxea.

Politique-fiction

Alors qu’ETA se montre disposée à participer à une procédure de désarmement en bonne et due forme, les autorités espagnoles et françaises s’obstinent à vouloir convaincre les opinions publiques qu’il est possible d’en finir avec ETA grâce à l’intensification des opérations policières. Mais qui peut sérieusement penser qu’en arrêtant quelques supposés responsables de plus, on peut liquider définitivement ce que représente une organisation qui, malgré les pires moments de répression comme ceux traversés durant le franquisme, a à son actif une trajectoire de plus de 50 ans de lutte ?

Faisons maintenant un peu de politique-fiction, et allons jusqu’au bout de la logique des États espagnols et français, en essayant de visualiser les conséquences du scénario qu’ils voudraient mettre en scène. Imaginons qu’ETA soit définitivement décapitée, totalement déstructurée, mais avec un arsenal qui traîne dans la nature, et des centaines de prisonniers croupissant en prison. Imaginons aussi que la situation politique reste complètement bloquée, que contrairement à d’autres endroits comme en Écosse, il n’y ait eu en Euskal Herria aucune avancée sur des droits démocratiques comme le droit à l’autodétermination. Quel est alors l’enseignement qu’en tireront nos propres enfants ? Ils penseront au mépris des États, au cynisme des donneurs de leçons “d’éthiques” qui n’auront pas bougé, et concluront que le pari de leurs aînés consistant à essayer de trouver un débouché aux revendications du peuple basque par les voies politiques et démocratiques aura été une erreur. Et malheureusement, si le devenir du processus de résolution s’avérait être celui que je viens d’envisager, nous ne pourrons que leur donner raison.

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