En ce mois de décembre 2012, si par miracle la fin du monde nous épargne —ou plutôt nous accorde ce petit sursis que nous saurons fort intelligemment raccourcir encore à coup de gaz à effet de serre—, nous pouvons sereinement envisager la nouvelle année politique. Et quoi qu’il advienne en 2013, ce sera une année anniversaire. Vous me direz, mus par la sagacité proverbiale du lecteur ou de la lectrice d’Enbata, que chaque année est l’anniversaire de quelque chose ou de quelqu’un; certes et votre sagacité m’agace. Mais c’est en tant qu’abertzale que 2013 sera une année particulière.
Retour en arrière
2013 moins 50, nous voici en 1963. Bercé par le rythme tranquille de 15 années de croissance économique dont il reste pourtant en grande partie à la marge, le Pays Basque Nord dort alors profondément. Plus d’un demi-siècle de construction nationale française et deux conflits mondiaux ont soudé le sentiment d’appartenance à la France et ne reste de l’identité basque qu’un usage folkloriste ressurgissant durant les congés payés estivaux. Au plan politique, les partis conservateurs (en particulier la démocratie chrétienne) culminent à plus de 80%, atteignant même 95% dans les cantons du Pays Basque intérieur. L’expression nationaliste basque est nulle ou presque. Au Sud, la chape de plomb franquiste ne connaît pas encore de soubresaut majeur.
En 1957, un petit groupe d’étudiants basques ont fondé une revue, Embata, dont le nom correspond à un vent côtier. En 1960, le journal est devenu Enbata et a commencé à diffuser un message politique pour le moins incongru: il prône l’unité des sept provinces basques au sein d’une Europe fédérale. Quelle drôle d’idée… Dès l’origine, malgré son extrême confidentialité, le petit groupe peut compter sur le soutien de quelques personnalités tels que Jean Etcheverry-Ainchart ou Jean Errecart. De même, le médecin de Cambo Michel Labéguerie, élu député en 1962 avec le soutien du MRP, est l’un des fondateurs du jeune groupe. Il s’en éloignera progressivement dans les années suivantes mais en ce début de décennie, il représente la synthèse entre militantisme et jeunesse. Sa chanson «Gu gira Euskadiko gazteri berria» devient un hymne à la rupture des jeunes Basques avec leurs parents qui ont «vendu la terre» et «élevé leurs fils dans une langue étrangère». Elle va galvaniser une génération entière. Enfin un certain nombre de prêtres nationalistes basques apportent leur caution morale à cette dynamique, tel l’abbé Pierre Larzabal.
Du chêne de l’Aberri eguna de 1963…
Au Sud, ETA vient de naître. Le lien entre militants d’Enbata et d’ETA se tisse naturellement car ils sont de la même génération. En outre, dès que les militants du Sud ont besoin d’appui ou de refuge, ce sont les membres d’Enbata qui les prennent à leur charge. Le lundi de Pâques 1963, jour d’Aberri Eguna, Enbata se constitue en mouvement politique lors d’une cérémonie à Itxassou. Ce n’est guère un hasard si la charte et la motion politique présentées pour l’occasion sont accompagnées par la plantation d’un arbre par un militant d’Enbata, Ximun Haran, et l’un des fondateurs d’ETA, Julen de Madariaga. L’arbre est présenté comme étant un rejeton de celui de Gernika, il symbolise l’unité entre les deux parties du Pays Basque.
C’est parti! Elaboration d’un journal quasi ininterrompu jusqu’à aujourd’hui, propagation d’un projet politique résolument nouveau, premières campagnes électorales abertzale, soutien à ETA en particulier lors du fameux procès de Burgos et aux réfugiés par le biais de grèves de la faim mémorables… Enbata lance le premier mouvement politique abertzale en Iparralde.
… aux bourgeons d’aujourd’hui
Depuis ce 15 avril 1963 jusqu’à aujourd’hui, un demi-siècle est passé. De cette époque «héroïque», qualificatif qui sied à celle de ces pionniers si souvent brocardés «Enbata zikina», que retenir? C’est précisément ce à quoi il convient aujourd’hui de réfléchir. Les militants d’Enbata des années 1960 avaient déjà dépoussiéré un nationalisme aranien dont ils n’étaient même pas vraiment les rejetons, et en avaient fait un projet moderne et adapté au Pays Basque Nord. En 50 ans, le monde a changé, l’abertzalisme aussi. Ayant progressé à tous les niveaux, en particulier en représentativité au sein de la population —et ce bien que l’on puisse regretter que ces progrès ne soient pas plus rapides et plus décisifs—, il aborde l’année 2013 sous un jour séduisant: en passe de digérer ses divisions, il se met en ordre de marche pour les années à venir, prêt à aborder une phase nouvelle de l’histoire récente du Pays Basque.
Mais cinquante ans c’est aussi l’âge de la refondation idéologique. L’Aberri Eguna de 1963 avait posé des jalons, que l’on n’a jamais vraiment cherché à remettre en question. N’est-il pas l’heure de (re)travailler ensemble ces grandes problématiques que le monde pose à l’abertzalisme du XXIe siècle: quels contours institutionnels pour le Pays Basque au sein de l’Europe? quel territoire pour ce pays et sur quels critères? quelle identité basque à l’heure de la mondialisation?… et tant d’autres autour desquelles l’Aberri Eguna 2013 pourrait, en se fondant sur le passé, bâtir l’avenir.