Casser sa pipe, manger les pissenlits par la racine, partir les pieds devant, rester sur le carreau, finir entre quatre planches, aller ad patres, avaler son chapeau, son bulletin de naissance, sa chique, dévisser son billard, faire couic, mordre la poussière, perdre le goût du pain, boire le bouillon d’onze heures, sentir le sapin… Les métaphores françaises, telles des exutoires, ne manquent pas pour railler sur notre fin de vie. Pourtant, en attendant de pouvoir faire quelque chose contre la mort, se pourrait-il enfin que l’être humain, engoncé dans ses croyances, se débarrasse de ses affres en cessant sine die les amoncellements de ses hypocrisies et l’accumulation de ses peurs du jugement dernier?
La vie est sacrée. Mais l’est-elle jusqu’à souffrir à la mort ? La France avait déjà mal à ses différences. Aujourd’hui, plus que jamais, elle tergiverse quand il s’agit de légiférer pour mourir dans une certaine dignité(1). Si, dans les sociétés occidentales, nous sommes arrivés à pouvoir choisir le moment de notre procréation, nous sommes à la peine pour que tout un chacun tire sa révérence à l’heure choisie et sans mourir de faim et de soif. Aujourd’hui l’imbroglio de “l’affaire” Vincent Lambert jette un trouble sur cette société française dont la démocratie agonise, elle aussi.
Sénat vran !
“Sur le papier, le scénario était presque parfait. Tout comme l’Assemblée nationale l’avait fait le 17 mars, le Sénat allait adopter en première lecture à une large majorité transpartisane la proposition de loi des députés Alain Claeys (PS) et Jean Leonetti (Les Républicains) établissant de nouveaux droits pour les malades et les personnes en fin de vie. A l’exception de quelques ajustements, l’équilibre du texte de “rassemblement” voulu par le chef de l’Etat après deux ans et demi de consultations ne devait pas être remis en cause. Las. Les sénateurs ont rejeté lors du vote solennel, ce mardi 23 juin 2015, par 196 voix contre et 87 pour, le texte qu’une partie d’entre eux avait profondément modifié – voire même réécrit – une semaine plus tôt. Un épisode exceptionnel dans la vie parlementaire qui témoigne de la difficulté à dégager un consensus sur un tel sujet.”(2) Alors que 70 sénateurs de tous bords politiques ont soutenu des amendements visant à légaliser une aide active à mourir, la majorité des sénateurs de droite et du centre ont refusé d’aller dans ce sens en séance publique. A l’article 3, ils ont fortement modifié la mesure phare de la proposition de loi, qui visait à instaurer un droit du malade en fin de vie à une “sédation profonde et continue jusqu’au décès” sous certaines conditions. Ils n’ont gardé que l’expression “sédation profonde”. Inquiets d’une “dérive euthanasique” et d’une “possibilité d’engrenage” vers le suicide assisté( 3), ces réactionnaires ont aussi détricoté une autre mesure phare de la proposition de loi, l’obligation pour les médecins de respecter les directives anticipées des patients. La proposition de loi a donc été renvoyée à l’Assemblée nationale.
Faut-il souffrir pour mourir ?
Dans sa tribune libre(4), le sénateur Michel Amiel (non inscrit), et co-rapporteur du texte, a estimé qu’il avait été vidé de sa substance. Et pourtant, il n’y avait pas de quoi casser trois pattes à un canard. “Ce texte n’ouvrait pas au suicide assisté ni à l’exception d’euthanasie, solutions jugées expéditives et ne faisant qu’escamoter le problème de la mort reléguée au rang des tabous au même titre que la vieillesse, la maladie, et le handicap par une société qui ne doit renvoyer que l’image de la jeunesse, de la beauté et de la bonne santé.” Et de préciser plus loin : “Dans son ensemble, ce texte issu d’un travail approfondi de la commission était pour ceux qui vont mourir et non pour ceux qui veulent mourir”. C’est dire si les partisans de l’amélioration de la loi Léonetti de 2005 réfutent encore l’idée même de l’euthanasie. Il est vrai que l’histoire contemporaine sur ce sujet nous colle aux basques : le régime nazi avait euthanasié plus de 150.000 patients allemands, dont 6.000 enfants. Alors, sans nul doute, Stéphanie Hennette Vauchez( 5) a, en prenant le mors aux dents, posé le
débat dans sa profondeur. “Y-a-t-il un droit pour les personnes de décider du moment et des modalités de leur propre mort ?”.
La lumière au bout du tunnel ?
Chez nous, le procès d’assises en appel du docteur bayonnais Nicolas Bonnemaison du 2 au 23 octobre à Angers, fomenté sans nul doute par des lobbies à la solde de puissants intégristes catholiques, sous la houlette d’un procureur revanchard, nous interpelle. Ainsi, le Collectif citoyen Vivre Bayonne proposait le samedi 19 septembre à 10h30 à la MVC de Polo Beyris de donner des éclairages sur la question de la fin de vie notamment au travers des angles historiques, médicaux, philosophiques, éthiques, juridiques, politiques ou religieux… Y étaient invités un sénateur, un philosophe, un médecin en soins palliatifs, un psychologue, un membre du Conseil de l’Ordre et l’association Mourir dans la dignité. Il s’agissait moins d’interférer dans le contenu de ce dossier pénal que de pouvoir ergoter sur les modalités de notre passage de vie à trépas.
(1) En France, la “mort” est encadrée principalement par deux lois : la loi de 2002 sur le droit des malades et la Loi Léonetti du 22 avril 2005 relative aux droits des patients en fin de vie. L’idée générale est de favoriser les soins palliatifs, d’interdire l’“euthanasie active” et d’empêcher le médecin de pratiquer une “obstination déraisonnable” dans le soin des malades en fin de vie.
(2) François Beguin, le Monde du 24/06/2015
(3) En 2011, l’euthanasie active n’est légale que dans trois pays : les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg. Le suicide assisté est légal en Suisse ainsi que dans deux États américains. Cependant, nombre de pays interdisant l’euthanasie active ont légalisé l’arrêt des traitements à la demande du patient, interdit l’acharnement thérapeutique et institué des initiatives d’accompagnement des patients en fin de vie.
(4) Libération du 21 juin 2015.
(5) Libération du 16 juillet 2015.
Sans discuter des dossiers de l’affaire Bonnemaison, il lui est surtout reproché d’avoir agit seul, sans concertation avec l’équipe soignante ni avec les familles.
Beaucoup de soignants confrontés à la fin de vie trouve ce débat inutile: la loi Léonetti couvre déjà quasiment toute les situations. L’affaire Lambert est une situation exceptionnelle: le patient ne peut s’exprimer, pas de directive anticipée et surtout une famille déchirée.
Ainsi, les personnes reprochant à Bonnemaison d’avoir décidé de la fin de vie de ces malades sans aucune concertation ne sont en aucun cas à la solde de puissants intégristes catholique.