L’organisation administrative française constituée de multiples entités disséminées sur tout le territoire est d’une lourdeur tout à fait exceptionnelle ! Eprise de contrôles compulsifs, s’auto-légitimant elle même, elle constitue une entrave redoutable à tout changement. Plusieurs gouvernements dans les dernières décennies ont vainement tenté d’en modifier la structure, mais ils n’ont réussi qu’à rajouter quelques strates supplémentaires à l’édifice.
Au final, elle se rapproche de l’hydre de Lerne monstre à multiples têtes dont une, est immortelle et c’est bien le problème. Nos actuels gouvernants se sont à leur tour attelés à la tâche et depuis trois ans, ils peinent à réaliser ce qui devait être LA réforme du quinquennat. A peine émise l’idée de supprimer les conseils généraux que les voilà de retour, à peine imaginée la mise en place de seuils pour métropoles ou intercommunalités que les voilà explosés… comme si une malédiction devait à chaque fois s’abattre sur la moindre tentative de transformation
!
Seule la diminution du nombre des régions est acquise, et pour ce qui nous concerne nous vivrons dès janvier 2016 dans une région qui englobera 12 départements et qui atteindra près de 6 millions d’habitant(e)s!
Ce sera la plus grande région de France, sa taille sera similaire à l’Autriche.
Ceci posé, il eut convenu, me semble-t-il, d’avoir une vision sur la gouvernance d’un tel territoire, et de maintenir le cap avec fermeté. C’était l’occasion de redistribuer les cartes, d’imaginer un véritable gouvernement de région un peu comme sont organisés les 16 länder de la République fédérale allemande ou, plus près de nous, les 17 communautés autonomes de l’Etat espagnol.
Mais nos futures régions seront toujours aussi assujetties à l’Etat centralisateur et l’empilement des circuits de décisions ne s’en trouvera pas affaibli pour autant.
De plus, à quelques mois du grand saut, l’ensemble des directions régionales d’Etat sont plongées dans une profonde perplexité.
Nul ne sait vraiment comment elles seront regroupées et l’on sent poindre une anxiété qui pourrait bien prendre une autre tournure à la rentrée. Et de s’interroger : le regroupement de l’ensemble des directions sur Bordeaux est-il vraiment envisagé ? Ce qui pose des questions sur la capacité de la métropole à les accueillir, ce qui ne sera pas sans conséquences sur la vie des dizaines de milliers de fonctionnaires concernés.
Autre option, la possibilité que certaines directions ne migrent pas sur les bords de Garonne, mais concentrent leurs services à Limoges ou à Poitiers. Il y aura aussi, bien sûr, mouvement de fonctionnaires mais cela aurait le mérite de ne pas frapper économiquement des capitales régionales avec le départ de milliers de personnes… et puis les bâtiments jusqu’ici consacrés à ces activités s’en trouveraient moins désertés.
Si Bordeaux semble géographiquement assez bien placé pour l’ensemble du territoire concerné, il n’en va pas tout à fait de même pour Poitiers ou Limoges quand on se situe à son extrême sud. Or à chaque dossier d’importance, il n’est pas rare de devoir se déplacer à deux ou trois reprises pour des questions qui, si les compétences étaient mieux réparties et surtout moins encadrées, pourraient être résolues localement.
“Tout ce qui est bon pour Paris est bon pour la France”, cette vieille citation n’a rien perdu de son actualité et son corollaire évident est que ce qui est décidé à Paris doit s’imposer à toute la France. Et de fait, toutes les institutions, quelle qu’en soit l’échelle, sont absolument dépendantes de l’Etat, un Etat qui refuse de laisser s’exprimer tout particularisme local dans une sorte de paranoïa utile pour faire perdurer un pouvoir uniforme et autoritaire. L’héritage de Napoléon est encore vivace et son obsession d’un contrôle efficace de chaque département imprègne encore fortement le corps préfectoral.
La considération pour les élu(e)s demeure relativement faible, et cela conduit souvent à des comportements d’assujettis qui sont, à mon sens, une des faiblesses de notre démocratie. Le pouvoir qui viendrait de l’élection est un leurre car c’est sous la houlette administrative que les élu(e)s de terrain se doivent d’évoluer.
Ce qui a manqué dans cette réforme bientôt consacrée par le vote de la loi NOTRe*, c’est une véritable ambition politique pour réussir la transformation de l’Etat, une révolution copernicienne mettant un terme au mythe du pouvoir central “dépersonnalisé, juste et universel”.
La grande réforme territoriale qui aurait pu conduire la France dans la modernité restera dans l’Histoire comme un étrange chambardement bien incapable de terrasser l’hydre de Lerne !
*NOTRe : Nouvelle organisation territoriale de la République.