Enbata: A la lumière du débat auquel vous avez participé au cours de ce colloque organisé par Autonomia Eraiki, en quoi est-ce intéressant de faire une comparaison entre le Pays Basque et la Corse?
Bernard Causse: L’Université de Corse a été créée en 1981 avec 350 étudiants. En 1988 elle en a 1.500 et va rapidement dépasser quantitativement les effectifs du campus Pays Basque. Aujourd’hui elle en accueille 5.000 pour une population de 310.000 habitants. Elle attire les étudiants étrangers. 400 sont issus de 60 nationalités différentes.
L’Université de Corse a développé une offre de formation, de recherche et de services aux étudiants, ancrée dans son territoire et accessible au plus grand nombre, une politique d’insertion professionnelle en synergie avec ces orientations, des liens étroits avec les entreprises, une offre de formation pluridisciplinaire consolidée dans un premier temps, fidèle à la vocation première de l’université comme lieu d’émancipation et de formation des es-prits, une politique de développement global indissociable du fait historique et culturel corse.
L’Université de Corse a su également s’insérer de manière proactive dans son environnement national, européen et mondial. Elle a 8 composantes de formation dont un institut de santé permettant la première année de médecine et une école d’ingénieurs. Elle a 5 composantes de recherche: 2 Unités Mixtes de Recherche (laboratoires) CNRS «Sciences Pour l’Environnement» et «Lieux, Identités, Espaces, Activités», Fédération de Recherche «Environnement et Société», 2 Unités Mixtes de Services «Stella Mare» et «Carghjese». Elle figure parmi les 18 premières Universités autonomes.
Enb.: Après des avancées pionnières dans les années 1980, notamment en énergies renouvelables, langue et culture corses, la politique de recherche, appuyée sur une identité scientifique forte, est articulée aujourd’hui autour de projets pluridisciplinaires labellisés au plus haut niveau par le CNRS?
B. C.: Effectivement huit projets pluridisciplinaires labellisés par le CNRS ont été mis en place à l’Université de Corse: Gestion et valorisation des eaux en Méditerranée, Feux de forêt, Energies renouvelables, Ressources naturelles, Dynamiques des territoires et Dé-veloppement durable, Identités et cultures, Processus de patrimonialisation, Technologies de l’information et de la communication.
L’université a développé des partenariats stratégiques avec le CNRS, l’INRA, l’INSERM, le CEA et l’INES. Un objectif essentiel: transformer la recherche en richesse à partir de projets structurants de valorisation: Myrte/ Paglia Orba, Stella Mare, Médiathèque culturelle de la Corse et des Corses et dépôts de brevets (ENR, Ressources Naturelles,etc).
L’Université de Corse a donc franchi des seuils de qualité importants avec, pour corollaire, des effets sur le territoire, notamment: choix thématiques précurseurs à l’échelon local et international (excellence territoriale d’où reconnaissance internationale), effet sur le niveau de qualification et donc sur le tissu économique, promotion de la langue et culture corses…
L’Université de Corse affirme une maturité qui lui permet aussi de tisser et consolider ses liens avec la société civile: Création d’une université inter-âges (plus de 200 inscrits), Faculté mondiale de l’eau , Universités citoyennes (2003, 2005, 2007, 2009, 2011).
L’impact de l’Université de Corse sur son territoire est aussi fortement lié à sa capacité d’innovation, souvent fondée sur l’identité.
Enb.: Ces initiatives sont la déclinaison d’une une vision de long terme du rôle et de la place des universités dans la société et dans la cité?
B. C.: L’innovation à l’Université de Corse aboutit non seulement à une reconnaissance académique pour l’institution, mais vise aussi à créer les conditions de possibilités d’une reconnaissance territoriale pour la Corse. C’est effectivement une vision de long terme du rôle et de la place des universités dans la société et dans la cité.
Au-delà des classements élitistes des grosses Universités, on voit que des petites Universités comme celle de Corte savent tirer leur épingle du jeu. On peut faire le même constat à La Rochelle ou à Perpignan.
Enb.: Que s’est-il passé au Pays Basque durant ces 25 ans où les choses avançaient considérablement en Corse?
B. C.: On a fait des études, des dossiers, des ateliers, des propositions. Sans succès. Rappelons que, dès 1990, les travaux de l’Agence de développement du Pays Basque préconisaient une université de plein exercice. Puis les travaux du Conseil de développement, l’inscription dans le Contrat territorial de 2008 d’actions pour le développement du campus du Pays Basque allaient dans le même sens. Mais l’action 6.1 du Contrat territorial sur la gouvernance est toujours au point mort.
Il y a eu la possibilité de créer une Université Technologique. Prenant appui sur l’IUT et sur l’ESTIA, elle avait le soutien des autres Universités technologiques, de l’Université de Mondragon, d’universitaires réputés de Toulouse, Clermont Ferrand, Bordeaux, La Ro-chelle.
Tous les efforts ont été bloqués par l’Université de tutelle et par les responsables politiques Palois de droite comme de gauche. Il n’y a pas eu de soutien politique local. Pire même, les universitaires locaux qui s’engageaient étaient menacés de sanctions.
Enb.: Les effectifs étudiants du campus basque stagnent ou baissent ces dernières années. Est-ce la conséquence du manque de gouvernance universitaire autonome que vous soulignez?
B. C.: Les effectifs étudiants n’ont pas beaucoup évolué malgré les efforts de l’IUT et de l’ESTIA pour créer des formations originales dans leurs domaines de compétences. Des équipes de recherche ont vu difficilement le jour en absence de moyens humains et de formations de troisième cycle. Il y a eu cer-tes des constructions de bâtiments mais un éclatement du Campus entre Bayonne et Anglet.
L’Université de Pau est aujourd’hui en crise. Elle n’a pas su profiter des atouts du Pays Basque. Elle n’est plus attractive et des fi-lières sur le site de Pau sont en perdition. Son budget est en déséquilibre. Elle est menacée de mise sous tutelle et si c’est le cas, il y aura de graves conséquences pour le campus du Pays Basque.
Nous avons perdu beaucoup de temps et laissé passer beaucoup d’opportunités. Mais nous avons des atouts comparables à ceux de la Corse, la possibilité de réseaux transfrontaliers, l’ouverture vers l’Amérique Latine…
Il me revient à l’esprit ce que disaient, il y a vingt ans, les thuriféraires de l’Université de Pau: «Vous voulez faire une Université de plein exercice comme à Corte. C’est ridicule et voué à l’échec». L’échec n’est pas là où certains l’attendaient.