La borne de Pausasac au point de jonction du Béarn, de la Navarre et de la Soule (aux confins du Pays de mixe et du bailliage de Sauveterre) reste le symbole identitaire basque et béarnais, en ces temps de redécoupages cantonaux devenus théâtre d’enjeux politiques inavoués. Journaliste, Anne-Marie Bordes sait se muer en historienne. Ecoutons-la.
Emmanuel de Serviez ? Ce général fut nommé préfet des Basses-Pyrénées en 1801. Peu après son installation à Pau (une grande rue paloise porte son nom) le militaire brossait le tableau de son département, loin de constituer une entité “parfaite” du fait notamment de frontières problématiques avec les Landes et les Hautes-Pyrénées (1). Rien d’exceptionnel cependant car assurait-il, le grand échiquier créé au niveau du pays fut victime de “considérations particulières”, d’“influences locales” et d’“erreurs topographiques”.
Les Basses-Pyrénées comptaient alors 664 communes, cinq arrondissements: Pau, Oloron, Mauléon, Bayonne et Orthez. Avec ses 13.190 habitants Bayonne damait le pion à Pau (9.000 âmes à peine) qui s’enorgueillissait d’être la patrie du roi Henri IV. Navarrenx et Sauveterre dépassaient à peine le seuil du millier d’habitants que Saint-Palais était loin d’atteindre. Le préfet ne mentionnait pas Iholdy.
Béarnais et Basques étaient-ils faits pour s’entendre ? Cette double identité trouvait grâce à ses yeux du fait justement des énormes disparités qu’il fallait aplanir dans un vaste mouvement afin de “rendre homogènes toutes les parties d’un tout”. De ses administrés le préfet disait qu’ils étaient “respectivement étrangers les uns chez les autres, malgré leurs anciennes relations”. Souvent jaloux de sa liberté et fier de son passé, le Béarnais parlait ainsi un idiome “composé de celte, latin, espagnol alors que le peuple entend assez généralement le français”. Les Basques quant à eux avaient “l’apparence d’une colonie étrangère, transplantée au milieu de nous plutôt que d’une portion de français civilisés et habitués à vivre sous les mêmes lois et le même gouvernement (…) Ils n’entendent généralement que leur propre langue”.
Pouvoir et esprit d’indépendance
Deux siècles ont passé depuis cet état des lieux où Emmanuel de Serviez reconnaissait être impressionné par “l’esprit d’indépendance” basque. Tel était aussi le constat exprimé par un évêque du diocèse de Bayonne Lescar et Oloron voici une vingtaine d’années. “J’ai enfin compris peu après mon arrivée, avouait le prélat, ce qui d’une certaine façon distingue les deux communautés : le Béarnais a puisé le goût du pouvoir dans son histoire glorieuse (berceau d’un roi, royaume de Navarre…) alors que le Basque a préféré cultiver son esprit d’indépendance”.
Saint-Palais et Iholdy côté Basse-Navarre, ajoutés à Sauveterre et Navarrenx côté béarnais constitueront-il jamais ce canton de 25.000 habitants dont l’ébauche a défrayé la chronique ces dernières semaines ? Question sans réponse tant le flou règne dans cette affaire. A quand (si tant est qu’il ait jamais lieu), le débat monographique prévu sur les redécoupages cantonaux au Conseil général ? Débat déjà deux fois reporté. L’ébauche de cet appariement décrié n’a pas pour autant fait sortir les populations de leurs gonds, excepté les élus de droite et du centre qui incriminent un noyau dur d’élus socialistes béarnais, et le monde abertzale qui revendique avec force la reconnaissance territoriale spécifique que l’Etat leur refuse.
Modernité et proximité
En Béarn le conseiller général de Navarrenx Jacques Pedehontaa pour qui modernité rime avec proximité, a pris les devants avec son association Touche pas à mon canton. Il veut doter sa commune, Laas, d’un statut de principauté susceptible de pérenniser sa visibilité. Pour la conseillère générale du canton de Sauveterre, Denise Saint-Pée, “l’essentiel est de préserver les identités culturelles et de ne pas abandonner la ruralité à son sort, à partir de quoi des partenariats existent”. La ligne séparant les entités béarnaise et basque dans le canton-à-quatre, bien que pérenne dans les têtes, est quasiment invisible sur le terrain, l’unique signe distinctif tenant à l’architecture traditionnelle. Il existe pourtant une pierre (la borne frontière de Pausasac) fichée dans le sol, sur une ligne de crête aux confins d’Osserain et d’Arbouet-Sussaute, au point de conjonction du Béarn, de la Soule et de la Navarre, là même où les souverains des trois pays limitrophes se réunirent en 1462. Déjà sur pied en 1395, la pierre (la peyre) a eu tout le temps de donner du sens à cette longue histoire.
(1) Statistiques du département des Basses-Pyrénées par le général Serviez. Réédité en 1991 par C. Lacour Editeur , Nîmes.
On dit même que le nom viendrait d’un très vieil ancêtre d’Iñaki Perurena, qui fatigué de porter la pierre aurait entendu d’un de ces accompagnateur : “Pausa zak”. Depuis la pierre n’a pas bougé !