
L’Edito du mensuel Enbata
Le Pays Basque nord est régulièrement identifié à l’échelle hexagonale comme un territoire laboratoire en matière de mobilisation sociale : dynamique volontariste de défense d’un modèle agricole avec la création de la chambre d’agriculture alternative EHLG, relance d’une dynamique climat par Bizi et diffusion du modèle Alternatiba, processus de paix inédit au niveau international, etc. Ces dernières années ont été marquées par un autre type d’influence : la transformation directe d’une partie des revendications du mouvement social en propositions de loi, amendements, lois, et ce à plusieurs échelles.
Quand l’Assemblée nationale française adopte une loi sur le foncier agricole portée notamment par le député abertzale Peio Dufau, c’est aussi la victoire des paysan·nes et militant·es qui, pendant des mois, ont occupé les terres d’Arbona pour dénoncer la vente spéculative à trois millions d’euros de douze hectares de terres évaluées à 100 000 €. Une mobilisation à double effet kiss cool : une victoire pour ELB et Lurzaindia, et une proposition de loi pour étendre la capacité de préemption de la SAFER et préserver l’usage agricole des terres, qui parvient à dégager une majorité dans l’hémicycle français.
Quand ce même hémicycle adopte en plein chaos gouvernemental la loi dite anti-Airbnb portée notamment par le député PS Iñaki Echaniz, c’est aussi la victoire des habitant·es d’Iparralde (qui se sont mobilisé.es pour s’opposer à la transformation de leurs logements en meublés de tourisme permanents en étant plus de 8 000 à défiler dans la rue pour le droit de vivre et se loger au Pays) et celle des associations, syndicats, élus volontaristes qui sont parvenus à trouver des solutions locales ambitieuses et déterminées comme le règlement de compensation.
Doit-on en conclure que les élu·es du Pays Basque ont des super pouvoirs que d’autres n’ont pas ailleurs ? Ce serait simpliste et béat. Cet aller-retour récurrent entre le champ et le Parlement est l’application d’une forme de radicalo-pragmatisme du mouvement social large qui ne cède ni à la mollesse réformiste, ni au fantasme révolutionnaire, et qui trouve un point d’équilibre stratégique permettant de transformer ses demandes en avancées concrètes, sans les tiédir ni se trahir. La capacité particulièrement forte ici de la société civile à s’organiser et à faire peser sa voix contribue à ce que les élus agissent en responsabilité . Elle permet d’obtenir des avancées majeures, et d’avoir une puissance d’influence qui dépasse largement les limites de l’Adour.
Cet aller-retour récurrent entre le champ et le Parlement
est l’application d’une forme de radicalo-pragmatisme
du mouvement social large
qui trouve un point d’équilibre stratégique
permettant de transformer ses demandes
en avancées concrètes, sans les tiédir ni se trahir.
En novembre, l’association de défense des locataires Alda était auditionnée au Parlement européen par la Commission spéciale sur la crise du logement dans l’Union européenne, qui doit orienter l’avis du Parlement sur sa politique logement des années à venir. Pour l’audition dédiée à l’impact des meublés de tourisme sur l’offre de logements, parmi tous les acteurs de la société civile d’Europe agissant sur cette question, c’est Alda qui a été retenue, les trois autres intervenants représentant les lobbies des meublés de tourisme, le secteur hôtelier et les municipalités. C’est parce qu’Iparralde a connu cette mobilisation collective singulière et a obtenu des solutions volontaristes et ambitieuses qu’elle est désormais un cas d’école à l’échelle européenne sur la question de la lutte contre les meublés de tourisme.
Malgré la crise institutionnelle actuelle, notre capacité à peser collectivement est un antidote à la vague réactionnaire et doit soigneusement être cultivée, pour que nos idées continuent de passer directement des champs au(x) parlement(s).
