Foire d’empoigne

Trois dirigeants catalans exilés à Bruxelles : Clara Ponsati, Carles Puigdemont et Toni Comin. Les deux derniers, élus députés européens, ont été interdits d’entrée au Parlement européen.
Trois dirigeants catalans exilés à Bruxelles : Clara Ponsati, Carles Puigdemont et Toni Comin. Les deux derniers, élus députés européens, ont été interdits d’entrée au Parlement européen.

Les élections des maires et des présidents de régions confirment le résultat des scrutins du 26 mai. Pour limiter la casse, la droite espagnole s’allie avec l’extrême droite Vox. Le PSOE obtient des institutions européennes et des tribunaux la mise à l’écart des députés indépendantistes catalans exilés ou incarcérés. En Navarre, les socialistes veulent évincer la droite en s’alliant avec Geroa Bai, sans demander son soutien à EH Bildu. Le premier ministre espagnol tente de ne pas dépendre des indépendantistes catalans et basques pour obtenir une majorité au parlement. Une alliance avec Ciudadanos n’est pas exclue. Le vote de trois conseillers proches de Manuel Valls, empêche ERC de diriger Barcelone.

En alliance avec le PSOE son allié traditionnel, le PNV assoie son hégémonie sur la Communauté autonome basque, dans les députations, les principales villes et les capitales de provinces, qui ont élu leurs maires le 15 juin. EH Bildu bénéficie du soutien des élus de Podemos et le PP s’efface de la carte. Au total, le PNV dirige 122 municipalités, EH Bildu 83, le PSOE 11 et le PP 2 villages à l’extrême sud d’Araba. Avec des surprises : des maires EH Bildu arrivent aux commandes à Durango, Arrigorriaga et Galdakao, après plusieurs décennies de gouvernance PNV. Les indépendantistes perdent Bermeo au profit du PNV. Un accord entre la gauche et la droite abertzale permet d’évincer les espagnolistes à Labastida et Laguardia en Araba. Le PSOE se maintient à Eibar, Irun, Andoain et Pasaia.

Surprise dans l’enclave alavaise de Trebiño qui appartient à la province de Burgos : un maire indépendantiste basque est élu.

La Navarre voit le retour de la droite espagnoliste dans la capitale Iruñea, hier entre les mains d’EH Bildu. Grâce aux socialistes, cette même droite récupère d’importantes municipalités comme Eguesibar, Barañain, Burlata et Lizarra. Le Baztan conserve un maire EH Bildu.

La bataille de la présidence de la province a commencé. Premier round : l’ancien maire d’Altsasua, le PNV Unai Hualde, membre de Geroa bai, a été élu à la présidence du parlement navarrais, avec le soutien du PSOE, de Podemos, d’Izquierda-Ezkerra et d’EH Bildu qui a obtenu de siéger au bureau du parlement provincial. Mais Navarra+, la droite espagnoliste arrivée largement en tête(1), se tient en embuscade. Sa première initiative parlementaire vise à empêcher tous les hommages rendus aux preso durant les prochaine fêtes estivales… Leur fond de commerce anti-ETA leur manque beaucoup, alors ils jouent les prolongations. Deuxième round : les socialistes visent la présidence de la province. Le soutien de Podemos et de Geroa Bai est acquis, mais il leur faut obtenir au moins l’abstention des députés d’EH Bildu. Entre la peste et le choléra, entre le PSOE et le PP-UPN-Cs, il faut trancher. Dans l’école de la frustration qu’est la vie politique, entre deux maux, choisissons le moindre. C’est ce qu’a fait Valls à Barcelone pour écarter ERC. EH Bildu et ERC risquent demain de faire battre ou élire un socialiste à la tête de l’Espagne.

En Catalogne

La politique catalane a été dominée par la réélection d’Ada Colau (Podemos), maire de Barcelone. Elle disposait du même nombre d’élus (10) que le candidat ERC Ernest Maragall, arrivé en tête en nombre de voix. L’élection du candidat indépendantiste paraissait difficile, mais les discussions avaient commencé entre socialistes, républicains et alternatifs de Podemos. Tout a volé en éclat avec la proposition de Manuel Valls, élu avec le soutien de Ciudadanos. Pour éviter l’élection d’un maire indépendantiste catalan, l’ancien premier ministre français a proposé que 3 élus de son groupe qui en compte 6, votent sans condition en faveur d’Ada Colau. Celle-ci a donc été élue maire avec le soutien des socialistes. Le groupe municipal de Ciudadanos a volé en éclat et Manuel Valls ne dispose plus que de trois élus. Celui qui défilait hier à Madrid aux côtés du PP, de Ciudadanos et de l’extrême droite Vox, en faveur de l’indivisibilité de l’Espagne, passe pour le sauveur de la patrie. Mais Ciudadanos ne supporte pas qu’il ait fait élire une maire de gauche qui s’est empressée de remettre le fameux ruban jaune(2) au fronton de sa mairie et dans le métro. Ciudadanos a mis à la porte Manuel Valls qui se rapproche du PSOE où il ambitionne d’occuper un important poste ministériel.

Après 51 sessions durant quatre mois et l’audition de 422 témoins, le procès des douze dirigeants indépendantistes catalans s’est achevé à la mi-juin sur des réquisitions énormes : entre quinze et vingt cinq ans de prison. La plupart des prévenus demeurent incarcérés. Pour le ministère public, l’organisation du référendum et la déclaration d’indépendance furent “un coup d’Etat” violent, mis en oeuvre par un gouvernement régional agissant comme “une organisation criminelle”. Parmi ces preso, il est exclu que les cinq qui sont députés et sénateur aient le droit de siéger. Toutefois, le bureau du parlement espagnol a décidé que la majorité absolue était maintenue à 176 voix.

L’ancien vice-président du gouvernement catalan Oriol Junqueras, toujours en prison, ne pourra être membre du parlement européen, et donc bénéficier d’une immunité parlementaire. Ainsi en a décidé le 14 juin la Cour suprême espagnole.

Deux eurodéputés en exil, Carles Puigdemont et Toni Comín, se sont présentés le 29 mai à la porte du parlement européen. L’entrée leur a été refusée suite à une lettre envoyée par le PP, le PSOE et Ciudadanos : ils ne disposaient pas de l’accréditation délivrée par Madrid. Le Parlement européen se retranche derrière le droit des Etats pour justifier sa décision. Les éternels europhiles apprécieront. La Cour européenne des droits de l’homme a rejeté le 28 mai la demande de 76 députés du parlement catalan qui présentaient un recours contre une décision de la Cour constitutionnelle espagnole. Cette dernière juridiction avait rendu illégale la session du 9 octobre 2017 du parlement catalan qui déclarait l’indépendance de la Catalogne, après le référendum d’autodétermination du 1er octobre. Là encore, les éternels europhiles apprécieront.

En Espagne

Il semble que dans la coulisse, les négociations entre ERC (15 députés) et PSOE (123) se poursuivent. Pedro Sanchez, premier ministre socialiste, ne parvient pas à obtenir une majorité qui lui permettrait de diriger le pays. Podemos (42 élus) cherche à entrer dans le futur gouvernement, mais Pedro Sanchez fait la moue, il propose de simples postes techniques. Podemos demande alors un report de l’investiture du chef de l’exécutif à la rentrée. Les 6 députés PNV traînent des pieds, ils demandent aux socialistes des garanties pour éviter un accord des socialistes avec Ciudadanos (57 députés) qui marquerait un virage centralisateur de l’Espagne, catastrophique pour les “nationalités” dominées. Un tel accord permettrait de marginaliser la droite (le PP et ses 66 députés et Vox, 24). Juan Luis Cebrián, fondateur du quotidien social-démocrate El País et sorte de statue du commandeur de la vie politique espagnole, appelle de ses voeux ce pacte entre PSOE et Ciudadanos. L’ancien premier ministre PP Mariano Rajoy propose la même chose. Les deux députés de Navarra+ offrent leur abstention pour faciliter l’élection de Pedro Sanchez, mais exigent le renvoi de l’ascenseur en Navarre pour que leur candidat préside la province. Les 7 députés de JxCat, les 15 députés d’ERC, comme les 4 députés EH Bildu qui leur emboîtent le pas, ne sont pas près de signer un chèque en blanc à Pedro Sanchez. Ce dernier se trouve face à une situation complexe : comment se passer des indépendantistes catalans et basques ? ERC l’a bien compris et, malgré une bonne partie de ses dirigeants en prison, tente de tirer partie de la situation, sachant que demain, un retour de la droite sera pire. Et entre deux maux… Une simple abstention des députés ERC et EH Bidu au parlement espagnol permettrait l’élection d’un premier ministre socialiste. Les indépendantistes tiendraient dès lors le chef du gouvernement espagnol comme la corde tient le pendu. Les socialistes rêvaient de congeler le conflit catalan, mais il revient tel un boomerang sur le devant de la scène. Quelques caciques du PP prônent même l’abstention de leurs députés plutôt que le vote contre, afin d’éviter cette dépendance ou un vide gouvernemental. Face à un tel imbroglio et de telles fragilités, Pedro Sanchez décidera à la mi-juillet s’il tente ou non de se faire élire et avec quelle majorité.

Les indépendantistes tiendraient le chef du gouvernement espagnol
comme la corde tient le pendu.
Les socialistes rêvaient de congeler le conflit catalan,
mais il revient tel un boomerang sur le devant de la scène.
Quelques caciques du PP
prônent même l’abstention de leurs députés
plutôt que le vote contre,
afin d’éviter cette dépendance ou un vide gouvernemental.
Face à un tel imbroglio et de telles fragilités,
Pedro Sanchez décidera à la mi-juillet
s’il tente ou non de se faire élire et avec quelle majorité.

Portes qui claquent et sièges éjectables

Tous ces débats se déroulent sur fond de remise en cause de l’unité nationale et de restructuration de la carte politique à droite. Le PP et Vox n’hésitent pas à signer le 7 juin un accord pour accéder au pouvoir ou s’y maintenir dans plusieurs régions et villes importantes comme Almeria, Burgos, Murcia, etc. Quatre jours plus tard, Ciudadanos se met d’accord avec la droite et l’extrême droite pour diriger la communauté autonome et la ville de Madrid. Exit l’emblématique Manuela Carmena, maire Podemos de la capitale, elle quitte son fauteuil le 15 juin. Finalement, la droite espagnole que l’on disait si affaiblie, se maintient. Mais à quel prix ? Démissions et sanctions secouent Ciudadanos où les portes claquent. La tendance libérale ou la moins réactionnaire ne supporte pas les alliances avec une extrême droite aux relents franquistes. Les conflits se prolongent jusqu’au parlement européen où là aussi, on ne trouve pas une majorité sous le sabot d’un cheval. L’alliance entre Ciudadanos et Vox affaiblit la position du parti d’Emmanuel Macron à Bruxelles. Mais le 25 juin, coup de théâtre : Vox rompt les accords signés avec le PP parce que leur application laisse à désirer. Le parti d’extrême droite fait fonctionner les sièges éjectables et laisse en plan les maires élus qui tenteront de gouverner en minorité. Cela calme les tensions qui embrasent Ciudadanos, mais fragilise les municipalités de Grenade, Teruel, Sarragosse, Badajoz, Almeria, etc. Le PP devait gouverner la communauté autonome de Madrid : patatras le 26 juin, Vox exige la mise en oeuvre d’un programme d’extrême droite radical et brise l’alliance. La candidate PP ne dispose plus de majorité. En Castilla-León, Ciudadanos rompt avec le PP et perd la seule communauté autonome qu’il pouvait diriger. L’onde choc de Vox prend en Espagne des allures de séisme. A droite comme à gauche, le grand mercato frise la foire d’empoigne. Paradoxalement, la situation en Pays Basque et en Catalogne paraît relativement calme et stable. En Espagne, convulsions et recompositions sont de mise. Un privilège que goûtent nombre d’Etats européens réputés ingouvernables. Mais les crises qui déstabilisent les empires offrent éventuellement aux petits peuples sans Etat des opportunités pour tirer leur épingle du jeu.

(1) Après le scrutin du 26 mai, lors du recomptage des voix, Navarra+ a obtenu un député de plus (20), au détriment d’EH Bildu (7).

(2) Symbole de solidarité avec les élus exilés et prisonniers politiques catalans, interdit sur les bâtiments institutionnels par un tribunal espagnol, pendant la période électorale.

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