Il est des guerres dont on parle beaucoup. Celle du Yémen n’en fait pas partie. Elle n’est pas non plus, loin s’en faut, une guerre juste. Voici l’histoire et les raisons de ce conflit. Un point essentiel pour qui veut en comprendre la nature: cette guerre est une guerre contre les civils.
Le Yémen est le plus pauvre des pays du Golfe ; avant le déclenchement de la guerre, plus de la moitié de sa population vivait déjà sous le seuil de pauvreté. Et c’est contre ce pays exsangue que l’Arabie Saoudite, dont le PIB par habitant est le plus élevé de la planète, se déchaine depuis près d’un an.
A ses côtés, une coalition regroupant la plupart des autres monarchies pétrolières, le très peu recommandable Soudan, les mercenaires de Blackwater tristement célèbres pour leurs exactions en Irak, des mercenaires colombiens, etc. Cette coalition qui regroupe des monarchies obscurantistes et des criminels de guerre, et qui détruit littéralement l’une des seules républiques du monde arabes, devrait faire figure d’épouvantail.
Mais les grandes puissances occidentales lui prêtent pourtant assistance. Le prix Nobel de la paix Obama vient ainsi de doubler le nombre de ses conseillers militaires auprès de l’Arabie Saoudite et d’autoriser une vente d’armes pour un montant de 1,29 milliards de dollars ; la flotte américaine aide par ailleurs à maintenir un blocus aux conséquences terribles pour la population. Je proposerai dans ma prochaine chronique quelques éléments d’analyse et me bornerai ici à un triste état des lieux de cette guerre oubliée…
Guerre civile depuis 1994
Le Yémen est un jeune pays de 26 millions d’habitants, né en 1990 de la fusion de la République Arabe du Yémen au nord, et de la République Démocratique Populaire du Yémen au sud. A peine créé, le pays fut déstabilisé par la première guerre du Golfe qu’il avait pourtant choisi de ne pas soutenir. Furieuse, l’Arabie Saoudite coupa les aides qu’elle versait à son voisin et expulsa les ressortissants yéménites qui travaillaient sur son territoire. Le Yémen dut faire face au retour massif de 800.000 personnes. Dans ces conditions, l’intégration du Sud dans la nouvelle entité ne put se faire dans de bonnes conditions, et une guerre civile
éclata en 1994.
En 2011, un vent d’espoir souffla lors des printemps arabes et le Président Saleh, au pouvoir depuis 1990, fut contraint de démissionner. Le vice président Hadi fut alors chargé de mettre en place un plan de transition. Les Houthis avaient joué un rôle important lors des révoltes de 2011. Ce mouvement armé du nord du Yémen, qui revendique une identité culturelle et religieuse zaydite (une branche du chiisme) y avait gagné un fort capital de sympathie, bien au-delà de la base habituelle. Mécontents du plan de transition, ils prirent la tête d’un mouvement de contestation avec de nombreux soutiens, y compris au sein des forces sécessionnistes du sud. En septembre 2014, ils s’emparèrent de la capitale Sanaa avec le soutien de forces restées fidèles à l’ancien président Saleh. Grisés par leurs succès, ils renversèrent le gouvernement de Hadi en février 2015 et tentèrent d’instaurer un conseil révolutionnaire. C’était le mouvement de trop car les habitants du sud n’étaient pas prêts à accepter la tutelle de ce mouvement nordiste. En réponse à un appel du gouvernement Hadi à “protéger le Yémen et son peuple contre l’agression Houthiste et à le soutenir dans son combat contre Al-Qaïda et ISIS”, l’Arabie entra en guerre le 26 mars 2015.
Cette guerre est avant tout
une catastrophe humanitaire.
On compte déjà près de 8.000 morts
après moins d’un an de guerre.
Selon le CICR, la situation en août 2015,
après seulement cinq mois de conflit,
était comparable à celle de la Syrie
après quatre ans de guerre.
Au bord de la famine
Cette guerre est avant tout une catastrophe humanitaire. On compte déjà près de 8.000 morts après moins d’un an de guerre. Selon le CICR, la situation en août 2015, après seulement cinq mois de conflit, était comparable à celle de la Syrie après quatre ans de guerre. Les souffrances endurées par la population atteignent selon l’ONU un niveau “presque incompréhensible” ; un article du Guardian publié en octobre 2015 rapportait que pas moins de 93% des morts et des blessés étaient des civils. Et la situation ne fait qu’empirer puisque, selon Oxfam, le blocus aérien et maritime place plus de six millions de yéménites au bord de la famine et que près de 80% de la population nécessite une assistance humanitaire. Les habitants sont de plus pris au piège puisque les portes de l’Arabie Saoudite et d’Oman leur sont hermétiquement fermées, les deux Etats ayant construit des murs ou clôtures de protection à leurs frontières avec le Yémen. La situation est cependant si critique que des dizaines de milliers de personnes ont fui vers la Somalie, qui n’est pourtant pas connue pour être un havre de paix. Pour Ban Ki-moon, l’indifférence avec laquelle ce drame se déroule “bafoue la raison d’être des Nations Unies”.
Complices
Si encore il ne s’agissait que d’indifférence ! J’ai évoqué plus haut le rôle des Etats-Unis, mais ils ne sont pas les seuls à se rendre complices de ces exactions ; la France et l’Angleterre continuent elles aussi d’alimenter le conflit par leurs ventes d’armes à Riyad. Et si l’on interroge Valls à ce sujet, il répond un brin agacé : “est-il indécent de se battre pour notre économie, nos emplois ?”. Heureusement, certains en Europe ont tendance à le penser et un projet de loi devant être mis au vote au Parlement européen le 25 février, stipulant en particulier que “les échanges d’armes importants entre les pays membres de la Communauté européenne tels l’Angleterre, la France, l’Espagne, l’Allemagne et les différents pays impliqués dans cette guerre (l’Arabie-Saoudite et ses alliés de la Coalition) sont fortement critiquables et doivent être suspendus immédiatement.”
Je reviendrai dans ma prochaine chronique sur l’issue de ce vote et tenterait d’apporter quelques éléments d’explication à ce conflit absurde qui fait le jeu des forces djihadistes locales, dont, rappelons-le, les frères Kouachi s’étaient réclamés.